Philippines, il faut enquêter sur la mort de deux militants et lutter contre la violence dans la province du Negros

Philippines - il faut enquêter sur la mort de deux militants et lutter contre la violence dans la province du Negros

Le gouvernement du président Marcos doit mener une enquête efficace et indépendante sur la mort des militants Ericson Acosta et Joseph Jimenez, à la lumière des allégations la présentant comme un cas d’exécutions sommaires.

Les autorités doivent s’engager à respecter et à faire respecter le droit international relatif aux droits humains et les normes en la matière, dans le contexte des violences commises entre les Forces armées des Philippines (AFP) et la Nouvelle armée du peuple (NPA) dans la province du Negros occidental, dans la région des Visayas, notamment en respectant le droit à la vie et en permettant à l’aide humanitaire d’accéder sans entrave aux populations affectées. La NPA doit également mettre un terme à toutes les atteintes aux droits humains, et notamment aux exécutions sommaires.

Le 30 novembre 2022, le 94e régiment d’infanterie de l’armée philippine a publié une déclaration affirmant que deux rebelles de la NPA avaient été tués dans la journée au cours d’un affrontement armé à Kabankalan, dans la province du Negros occidental. L’une des victimes a plus tard été identifiée comme étant le militant et consultant pour la paix Ericson Acosta. Selon l’armée philippine, les corps d’Ericson Acosta et Joseph Jimenes auraient été retrouvés à la suite d’un affrontement avec 10 rebelles communistes ayant eu lieu après que l’armée eut reçu des informations d’habitants l’informant de la présence de rebelles dans la zone.

Cependant, dans une déclaration distincte, le Front démocratique national (NDF), branche politique du Parti communiste des Philippines (CPP), dont la NPA est le bras armé, a affirmé que Ericson Acosta et Joseph Jimenez avaient été capturés vivants. Le groupe a ajouté que les deux hommes étaient présents dans la zone pour « s’informer sur la situation des ouvriers agricoles dans le sud du Negros et partager les nouvelles informations concernant l’accord global sur les réformes socio-économiques (CASER) ». Le CASER était un accord entre le gouvernement des Philippines et le NDF, proposé durant les négociations de paix auxquelles le gouvernement a mis fin au début de l’année 2017.

Selon des informations reçues par la suite et contrairement à ce qu’avait déclaré l’armée philippine, Ericson Acosta et Joseph Jimenez auraient été saisis de force dans la maison qu’ils occupaient, puis déclarés morts plus tard dans la journée. Les résultats de l’autopsie ne sont pas encore disponibles, mais l’organisation de défense des droits humains Karapatan a affirmé que les corps d’Ericson Acosta et Joseph Jimenez présentaient des signes de coups, de couteau notamment. Le propriétaire de la maison et sa famille auraient été portés disparus après l’homicide.

La mort d’Ericson Acosta et Joseph Jimenez s’inscrit dans un contexte de multiplication des affrontements entre l’AFP et la NPA dans la province du Negros occidental depuis le début du mois d’octobre. Des organisations et des médias ont signalé des atteintes aux droits humains, y compris des exécutions sommaires, dans le cadre de ce conflit, imputables à la fois à l’AFP, accusée d’exécutions extrajudiciaires de militant·e·s, et aux rebelles de la NPA, ayant sommairement exécuté des « contre-révolutionnaires [1] ». L’« état de calamité publique » a été décrété dans la ville d’Himamaylan, où des milliers d’habitants et habitantes ont fui face à l’escalade de la violence. Les équipes de secours ont déclaré rencontrer des difficultés à apporter leur aide à la population bloquée dans la ville, en raison des restrictions [2] imposées par l’AFP. Ericson Acosta avait été ciblé précédemment par le gouvernement pour son militantisme. En 2011, il avait été arrêté et détenu par l’AFP dans la province de Samar. Des agents l’avaient interrogé et avaient menacé de le tuer s’il n’avouait pas être membre de la NPA. Plus tard, il avait été inculpé de possession illégale d’explosifs, puis libéré en 2013, les charges retenues contre lui ayant été abandonnées par le ministère de la Justice en raison de « graves irrégularités ». En 2021, la compagne d’Ericson Acosta, Kerima Tariman, avait été tuée [3] lors d’un affrontement entre l’AFP et la NPA dans la ville de Silay, au Negros occidental.

Avant les récents affrontements, plusieurs militant·e·s et défenseur·e·s des droits humains ont été tués au Negros occidental. En 2018, l’avocat spécialisé dans la défense des droits humains Benjamin Ramos a été abattu dans la ville de Kabankalan par des assaillants dont l’identité est toujours inconnue. Deux ans plus tard à Bacolod, la militante Zara Alvarez a été tuée de la même manière. Les observateurs et observatrices ont souligné que l’augmentation de ces homicides, non seulement dans le Negros occidental mais aussi dans le reste du pays, s’était accompagnée d’une intensification du « marquage rouge » (c’est à dire le fait d’associer des personnes ou des groupes au mouvement communiste armé), après la rupture des pourparlers en 2017 et la création en 2018 du Groupe de travail national pour mettre fin au conflit armé communiste local (NTF-ELCAC) ayant adopté l’approche « whole of nation » (« toute la nation ») pour mettre fin à l’insurrection mais ayant également pratiqué le « marquage rouge » contre des groupes ou des personnes.

Amnesty International appelle le gouvernement des Philippines à veiller à ce qu’une enquête efficace, indépendante et impartiale soit menée sur les allégations crédibles et inquiétantes selon lesquelles Ericson Acosta et Joseph Jimenez auraient été capturés vivants puis tués. Si ces allégations étaient confirmées, ces actes constitueraient une grave violation et toute personne contre laquelle il existe des éléments de preuve suffisants et recevables devra être poursuivie en justice dans le cadre d’un procès équitable. Toutes les parties impliquées dans les affrontements actuels doivent s’engager à mettre fin aux violations et aux abus, et à respecter le droit international relatif aux droits humains et les normes en la matière.

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