Des poèmes de Guantánamo

Death Poem par Jumah al Dossari

Take my blood.
Take my death shroud and
The remnants of my body.
Take photographs of my corpse at the grave, lonely.
Send them to the world,
To the judges and
To the people of conscience,
Send them to the principled men and the fair-minded.
And let them bear the guilty burden, before the world,
Of this innocent soul.
Let them bear the burden, before their children and before history,
Of this wasted, sinless soul
Of this soul which has suffered at the hands of the "protectors of peace".

Le poème de Jumah al Dossari est lu ici par Riz Ahmed, l’acteur qui apparaît dans le film Road to Guantánamo. Jumah al Dossari, qui a été libéré en 2007, a été détenu à Guantánamo durant plus de cinq ans et était maintenu à l’isolement depuis la fin 2003. Il a tenté de mettre fin à ses jours plus d’une douzaine de fois.

Ce poème fait partie d’une lettre annonçant son suicide que Jumah al Dossari avait laissée à l’intention de son avocat lorsqu’il avait perdu tout espoir de revoir sa famille. Il vit maintenant en Arabie Saoudite où il suit ce que les autorités saoudiennes désignent sous le nom de programme de réforme et de réinsertion des anciens détenus de Guantánamo.

Le poète lauréat, Andrew Motion, évoque l’œuvre d’Abdur Rahim Muslim Dost. Muslim Dost, de nationalité afghane, a été libéré de Guantánamo en 2005 et il est retourné au Pakistan.

En octobre 2006, peu après avoir publié avec son frère un mémoire sur leur détention à Guantánamo, il a été de nouveau arrêté par les services de renseignements pakistanais et il a « disparu » durant plusieurs mois. On sait maintenant qu’il se trouve détenu dans une prison pakistanaise.

Abdulaziz ne souhaite pas donner son nom de famille. Il venait de finir ses études à l’université de Riyad, sa ville natale, quand a débuté la guerre d’Afghanistan en 2001. Il est alors parti en Afghanistan où il a retrouvé son frère et tous deux cherchaient à regagner l’Arabie saoudite lorsqu’ils ont été pris par l’Alliance du Nord. Après un emprisonnement avec torture en Afghanistan, ils ont été envoyés à Guantánamo début 2002. Tandis que son frère a été libéré, Abdulaziz s’y trouve encore.

Oh, obscurité de la prison

Oh, obscurité de la prison, dresse ta tente
Nous aimons l’obscurité.
Car après les heures sombres de la nuit,
L’aube de la fierté se lèvera.
Que le monde disparaisse, avec ses merveilles,
Du moment que nous avons la faveur divine.
Un homme peut perdre l’espoir face à un obstacle,
Mais nous savons que Dieu a un projet.
Même si les liens sont serrés et qu’il semble
[impossible de les rompre,
Ils finiront par se briser.
Celui qui persévère atteindra son but ;
Celui qui ne cesse de cogner à la porte réussira à entrer.
Oh, crise, tu peux frapper encore !
Le matin va bientôt faire irruption.
Je ne me plaindrai pas
Je ne me plaindrai à personne et n’espérerai la grâce de nul autre que Dieu.
Aidez-moi, mon Dieu, mon coeur est ravagé par les soucis.
Je ne plaindrai qu’à Vous, même si les mers se lamentent de se voir asséchées.
Mon esprit se meut librement dans les cieux, tandis que mon corps est ligoté par des chaînes.
Louez Dieu, car il m’a rendu patient dans l’adversité et reconnaissant dans le bonheur.
Louez Dieu, car il a disposé sur mon sein un jardin et un verger qui ne me quitteront jamais.
Louez Dieu, car il m’a donné la foi et a fait de moi un musulman.
Louez Dieu, maître de l’univers.

Jumah al Dossari est originaire du Bahreïn. Agé de 35 ans et père d’une petite fille, il est resté à Guantánamo plus de cinq années. Soumis à de mauvais traitements physiques et psychologiques, maintenu à l’isolement à partir de 2003, il a fait une douzaine de tentatives de suicide. Il a rédigé pour son avocat un témoignage long et détaillé sur ses souffrances.

Poème de mort

Prenez mon sang
Prenez mon linceul
Et tous les restes de mon corps.
Photographiez mon cadavre dans la tombe, solitaire.
Faites parvenir tout cela au monde entier,
Aux juges
Et à ceux qui gardent une conscience,
Aux hommes pourvus de principes et d’esprit d’équité.
Et faites-leur porter, devant le monde, la lourde culpabilité
De cette âme innocente.
Devant leurs enfants et devant l’histoire, faites-leur porter le fardeau
De cette âme dévastée et innocente,
Cette âme qui a tant souffert aux mains des défenseurs de la paix.

Moazzam Begg est un musulman britannique, né en 1968. Arrêté au Pakistan en 2002, il a été emprisonné successivement à Bagram (Afghanistan) puis à Guantánamo, où il est resté de janvier 2003 à janvier 2005. Il a raconté son expérience dans un livre Enemy Combatant : A British Muslim’s Journey to Guantanamo and Back.

Retour au foyer

Ce voyage, commencé sans guide,
S’achève par un emprisonnement sans motif
Allongé dans ma cellule, je veille
Mais la joie est feinte, ainsi que les sourires
C’en est fini de la liberté
Les larmes ont rempli ma coupe de chagrin
Ma maison est une cage, une cage en acier
Ce qui rend la réalité visible irréelle
Les rêves ont disparu, les espoirs se sont brisés,
Quoique, dans cette condition nouvelle, chacun trouve à s’enorgueillir
Car il y a de la ruse dans la détention et tout le reste :
Se sentir si petit et tenu pour si important
De ces années de larmes et ces journées de labeur
Il ne reste que la peur et les dépouilles arrachées par le tyran
La destinée s’impose à nous
Et chacun doit affronter seul cette farce
Maintenant, il est dit : la patience est une longue vertu
Mais une vertu en fer forgé ;
Aussi la poésie se met-elle en mouvement
(et qui sait si elle ne sera pas appréciée)
Je continue donc à crayonner
En pensant, mais sans savoir quand,
Que le rêve commence, le cauchemar s’achève
Et que je retrouve mon foyer bien aimé.

Sami al Hajj, d’origine soudanaise, couvrait la guerre d’Afghanistan en tant que journaliste d’Al Jazira quand il a été arrêté. Entre janvier et juin 2002, il a été emprisonné et torturé dans les prisons de Bagram et Kandahar, aux mains des forces américaines, puis envoyé à Guantánamo où il se trouve encore. Son état physique et mental est très préoccupant.

Menotté et humilié

Quand j’entendais les pigeons roucouler dans les arbres,
Des larmes chaudes coulaient sur mon visage.
Quand l’alouette chantait, je composais par la pensée
Un message pour mon fils Mohammad.
Mon fils, je suis accablé.
Dans mon désespoir, le seul réconfort me vient d’Allah.
Les bourreaux se jouent de moi
Ainsi qu’ils évoluent partout librement dans le monde.
Ils veulent que j’espionne mes compatriotes,
En prétendant que serait une bonne chose.
Ils m’offrent de l’argent et une terre
Et la liberté pour me rendre où je le veux.
Leur offre retient mon attention
Comme le ferait un éclair dans le ciel.
Mais cette offre est un vilain serpent,
Qui crache l’hypocrisie en guise de venin.
Ils ont élevé des monuments à la liberté, notamment
À la liberté d’opinion, ce qui est beau et bon.
Mais je leur ai dit que ces constructions
N’apportent pas la justice.
Amérique, tu chevauches sur le dos des orphelins
Et tu les terrorises chaque jour.
Bush, faites attention.
Le monde sait reconnaître un menteur arrogant.
J’adresse à Allah mes plaintes et mes larmes.
Ma maison me manque et je suis écrasé.
Mohammad, ne m’oublie pas.
Défends la cause de ton père qui craint Dieu.
Je suis menotté et humilié.
Comment puis-je encore composer des vers ? Comment écrire ?
Après les menottes et les nuits de souffrance, et les larmes,
Comment pourrais-je écrire de la poésie ?
Mon âme est comme sur une mer déchaînée, étreinte par
l’angoisse,
Pleine de passion violente.
C’est moi qui suis prisonnier, mais les crimes sont ceux de mes geôliers.
Je suis submergé par l’inquiétude.
Oh, Dieu, unissez-moi avec mon fils Mohammad.
Oh, Dieu, faites triompher les justes.

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