Écrire Une journaliste est poursuivie pour diffamation en ligne

Le 14 mai, Maria Ressa, défenseure des droits humains et rédactrice en chef du journal en ligne Rappler, a été officiellement mise en accusation par un tribunal pour diffamation en ligne. Arrêtée le 13 février, elle avait été libérée sous caution après avoir passé une nuit en détention. Un mois plus tard, le 29 mars, elle avait de nouveau été arrêtée pour des accusations d’infraction à la Loi anti-prête-noms (Anti-Dummy Law), texte limitant la propriété des médias de masse aux Philippins et aux entreprises appartenant à des Philippins. Maria Ressa fait également l’objet de poursuites pour quatre chefs d’accusation de fraude fiscale présumée liés à son utilisation de mécanismes financiers dont les recettes ne donnaient, d’après elle, pas lieu à une déclaration fiscale, car elles ne généraient pas de revenus imposables.

Rappler publie régulièrement des articles critiques à l’égard du président Rodrigo Duterte et de son gouvernement, et l’arrestation de Maria Ressa et les poursuites à son encontre s’inscrivent manifestement dans le cadre d’une vaste campagne visant à faire taire les détracteurs des autorités.

Maria Ressa et Reynaldo Santos Jr, ancien journaliste de Rappler, sont poursuivis pour des accusations de diffamation, en ligne en raison d’un article publié sur Internet en mai 2012, plusieurs mois avant l’adoption de la Loi philippine relative à la cybercriminalité. Ils ont tous deux déposé une requête en irrecevabilité à la suite de cette plainte, lorsque le ministère de la Justice philippin a soutenu que le délai de prescription – c’est-à-dire le délai pour porter plainte après le moment où l’acte en question a été commis – pour la diffamation en ligne était de 12 ans, et non pas d’un an comme pour la diffamation ordinaire. Le 12 avril, le tribunal régional de Manille a rejeté cette requête et a confirmé la position du ministère de la Justice quant au délai de prescription. Une deuxième audience a eu lieu le 14 mai, durant laquelle Maria Ressa et Reynaldo Santos ont tous deux refusé d’indiquer s’ils plaidaient coupables ou non coupables. Conformément aux règles de procédure, le tribunal a alors considéré qu’ils plaidaient non coupables.

Maria Ressa a été arrêtée pour diffamation en ligne dans la soirée du 13 février 2019. Le service judiciaire compétent était fermé à cette heure-là, et elle n’a donc pu payer sa caution au tribunal pour sa libération provisoire que le lendemain matin.

Un mois plus tard, le 29 mars, elle a de nouveau été arrêtée pour des accusations d’infraction à la Loi anti-prête-noms (Anti-Dummy Law), texte limitant la propriété des médias de masse aux Philippins et aux entreprises appartenant à des Philippins. Le directeur de publication de Rappler et cinq autres membres du conseil d’administration du journal ont également été inculpés. Maria Ressa a été libérée plus tard dans la journée, après avoir versé une caution de 90 000 pesos philippins pour sa libération provisoire ; les six autres personnes ont versé une caution du même montant, anticipant la délivrance de mandats d’arrêt à leur encontre. Le Bureau national d’enquête des Philippines est à l’origine de la plainte déposée contre Maria Ressa et d’autres dirigeants de Rappler. Il a affirmé que ces personnes avaient enfreint la Loi anti-prête-noms en délivrant des certificats philippins de dépôt (instrument financier qui permet aux étrangers d’investir dans les entreprises philippines sans en posséder de part ni être impliqués dans la gestion quotidienne) à Omidyar Network, un investisseur étranger. La Cour d’appel fiscale des Philippines a rejeté l’argument selon lequel les certificats philippins de dépôt constituaient une participation étrangère au capital de l’entreprise, car Omidyar Network avait fait don de ces certificats à 14 responsables philippins de Rappler.

En décembre 2018, un autre mandat d’arrêt a été décerné contre Maria Ressa. Maria Ressa et Rappler Holdings, dont elle est la présidente, ont été inculpés d’infraction au Code fiscal en 2015, en lien avec des fonds reçus via les certificats philippins de dépôts.

Maria Ressa est actuellement poursuivie dans le cadre de huit procédures judiciaires : elle fait l’objet de poursuites pour cinq chefs d’accusation de fraude fiscale, un chef d’accusation de diffamation en ligne, un chef d’accusation d’infraction à la Loi anti-prête-noms, et elle fait l’objet d’une plainte pour diffamation. Toutes ces procédures font partie des 11 affaires dans le cadre desquelles Maria Ressa, Reynaldo Santos, Rappler Holdings, Rappler Inc. et le conseil d’administration de Rappler sont poursuivis. Toutes ces affaires sont toujours en instance devant plusieurs tribunaux.

Le 24 juillet 2017, dans son discours annuel sur l’état de la nation, le président Rodrigo Duterte a affirmé que Rappler appartenait à des étrangers, ce qui signifiait que le journal était en infraction au regard de la Constitution. Au cours des semaines qui ont suivi, le président a réitéré ces propos. En janvier 2018, la Commission des opérations boursières des Philippines a annulé l’enregistrement de Rappler à titre provisoire, estimant que le journal avait enfreint la règlementation relative à la participation étrangère au capital des entreprises. En février 2018, un porte-parole de la présidence a déclaré que Rodrigo Duterte en personne avait ordonné au personnel chargé de sa sécurité d’interdire l’entrée du palais présidentiel à Pia Ranada, journaliste de Rappler, et à Maria Ressa, rédactrice en chef du journal.

Le harcèlement que subit Maria Ressa illustre une fois de plus la façon dont le gouvernement de Rodrigo Duterte s’en prend aux personnes les plus critiques à son égard en les soumettant à des poursuites à caractère politique. L’attaque contre Maria Ressa et Rappler fait suite à l’arrestation et à la détention, en février 2017, de la sénatrice Leila de Lima, également très critique à l’égard de la « guerre contre la drogue », sur la base d’accusations fondées sur des considérations politiques. Cela fait maintenant deux ans que cette sénatrice est incarcérée.

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