Écrire Un ukrainien débouté en appel

Le 7 février, la Cour suprême de Bouriatie a rejeté l’appel d’Alexandre Martchenko contre l’amende administrative qui lui avait été infligée pour avoir « jeté le discrédit sur les forces armées russes ».

Cet homme va former un recours contre cette décision. Après avoir interjeté appel de son amende, Alexandre Martchenko a été placé à l’isolement pour six mois sur la base de motifs fallacieux. Il est toujours privé de contacts avec sa compagne. Le 17 février, il a été transféré à la colonie pénitentiaire FKU IK-2, dans la capitale de la République de Bouriatie, Oulan-Oude.

Alexandre Martchenko, citoyen ukrainien, a dit à ses avocats s’être rendu pour raisons personnelles à Donetsk, dans la région de l’est de l’Ukraine occupée par la Russie, en décembre 2018, depuis Kiev, la capitale ukrainienne, en passant par la Russie. À son retour, le 18 décembre 2018, il a été enlevé par des hommes masqués alors qu’il repassait la frontière russe. Selon Alexandre Martchenko, ces hommes lui ont placé un sac sur la tête, lui ont confisqué son téléphone portable et d’autres effets personnels, et l’ont conduit dans une prison secrète appartenant à l’autoproclamée « République populaire de Donetsk ». Sur place, il a été détenu au secret au sous-sol, dans une cellule dénuée de fenêtre, de lit, de toilettes et d’eau courante. Dès le premier jour de son enlèvement, Alexandre Martchenko a été soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, notamment à des décharges électriques, jusqu’à ce qu’il accepte de lire devant une caméra des « aveux » l’incriminant.

Le 18 février 2019, on lui a fait signer des documents par lesquels il attestait ne pas avoir à se plaindre du traitement qui lui avait été réservé par le « ministère de la Sûreté de l’État de la République populaire de Donetsk », puis il a été conduit à la frontière russe et remis au Service fédéral de sécurité (FSB) de la Russie. Des agents du FSB lui ont mis un sac sur la tête et l’ont conduit au siège régional du FSB à Krasnodar, à plusieurs heures de route. Une fois sur place, il a été interrogé au sujet d’un homme qu’il affirme n’avoir jamais rencontré. Selon ce qu’il a raconté à ses avocats, après cet interrogatoire, des agents du FSB l’ont emmené à un poste de police, où il a passé la nuit suivante.
Sur la base d’une accusation d’infraction administrative forgée de toutes pièces par la police, un tribunal a prononcé le lendemain le placement en détention d’Alexandre Martchenko pour une durée de 10 jours. Par la suite, la police a inventé deux autres infractions administratives à son encontre – à chaque fois le jour où il devait être remis en liberté car il avait terminé de purger sa précédente période de détention administrative (les 1er et 16 mars 2019) – et il a été maintenu en détention.

Durant cette détention administrative arbitraire, des membres du FSB, en collaboration avec des « responsables de la sécurité » de la « République populaire de Donetsk », ont interrogé Alexandre Martchenko à maintes reprises et lui ont fait signer des « aveux ». Ils ont proféré des menaces contre lui et sa famille, et l’ont privé du droit de consulter un·e avocat·e. Le 1er mai 2019, un tribunal a placé Alexandre Martchenko en détention provisoire, initialement pour deux mois, sur la base d’accusations de contrebande. Ce placement en détention a par la suite été reconduit à plusieurs reprises. Le 6 décembre 2019, Alexandre Martchenko a été inculpé d’espionnage. Le 26 novembre 2020, le tribunal régional de Krasnodar l’a déclaré coupable en vertu de l’article 276 du Code pénal russe (« espionnage ») et l’a condamné à 10 ans d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire à régime sévère. Tous ses recours ont été rejetés.

En 2016, Alexandre Martchenko a subi une ablation de la thyroïde parce qu’il souffrait d’un cancer. Depuis cette intervention chirurgicale, il a besoin de recevoir un traitement médicamenteux quotidien, et de faire des analyses sanguines mensuelles et d’autres examens médicaux tous les trois mois. Or, depuis le début de sa privation de liberté en 2018, il n’a eu droit qu’à un seul examen sanguin, organisé par sa famille, en juillet 2021. Selon les avocats d’Alexandre Martchenko, les autorités carcérales lui ont refusé les médicaments dont il a besoin à au moins deux occasions, et ce pendant des périodes prolongées : la première fois en avril-mai 2021, alors qu’il se trouvait au centre de détention provisoire SIZO-1 et à la colonie pénitentiaire IK-14 à Krasnodar, et la deuxième du 12 au 28 décembre 2021, tandis qu’il était incarcéré à SIZO-1 à Oulan-Oude, en Bouriatie. Sa santé s’est fortement dégradée du fait de cette privation de médicaments vitaux.

À la colonie pénitentiaire IK-8, il s’est vu refuser les examens médicaux réguliers que son état requérait, et c’est sa famille qui a fourni à ses frais les médicaments vitaux dont il avait besoin. La privation de soins médicaux peut s’apparenter à une forme de torture ou d’autre mauvais traitement. D’après les avocats d’Alexandre Martchenko, l’administration de SIZO-1 à Oulan-Oude a proféré des menaces de mort contre lui et l’a menacé de violences sexuelles. Il aurait par ailleurs été placé dans une cellule disciplinaire pendant 15 jours avec un homme atteint de tuberculose, pour avoir essayé de contacter le consul ukrainien. En 2022, la direction de la colonie pénitentiaire IK-8 l’a placé en cellule disciplinaire ou à l’isolement huit fois au moins, et l’a privé de tout contact avec sa compagne.

Amnesty International et d’autres organisations qui surveillent les droits humains sur le terrain ont recensé plusieurs cas de personnes privées de liberté par le « ministère de la Sûreté de l’État » dans l’est de l’Ukraine occupé par la Russie. Le « ministère » en question a placé ces personnes en détention secrète et les a soumises à des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements afin de leur arracher des « aveux », utilisés par la suite pour les déclarer « coupables ». Pour en savoir plus sur ces pratiques, veuillez lire le rapport conjoint d’Amnesty International et Human Rights Watch, intitulé You Don’t Exist : Arbitrary detentions, enforced disappearances, and torture in eastern Ukraine, https://www.amnesty.org/fr/documents/eur50/4455/2016/en/.

Le 4 mars 2022 a été adoptée une nouvelle loi érigeant en infraction la « diffusion délibérée de fausses informations » au sujet des forces armées russes (article 207.3 du Code pénal) et le fait de « jeter le discrédit » sur les forces armées russes (article 280.3 du Code pénal et article 20.3.3 du Code des infractions administratives). Toute personne accusée de tels « crimes » est passible d’amendes d’un montant exorbitant ou d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans.

Dans les trois jours suivant l’adoption de cette loi, qui interdit de fait d’utiliser le mot « guerre » et d’appeler à la paix, plus de 140 personnes ont été placées en détention en vertu de ces nouvelles dispositions. En décembre, plus de 180 poursuites pénales pour « diffusion délibérée de fausses informations » et plus de 100 pour « discrédit » avaient été engagées, ainsi qu’au moins 5 518 poursuites administratives pour « discrédit ». Les personnes ayant fait l’objet de sanctions administratives pour « discrédit » risquent des poursuites pénales la fois suivante.

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