Écrire Un journaliste ouzbek risque d’être extradé

Le journaliste et poète Narzoullo Akhounjonov a été arrêté par la police des frontières ukrainienne le 20 septembre : il faisait l’objet d’une notice rouge d’Interpol émise à la demande de l’Ouzbékistan. Il est maintenu en détention provisoire, dans l’attente d’une demande d’extradition officielle des autorités ouzbèkes. S’il est renvoyé de force en Ouzbékistan, il risque d’être torturé et de subir des mauvais traitements.

Le 20 septembre, la police des frontières ukrainienne a arrêté le journaliste et poète ouzbek Narzoullo Akhounjonov à l’aéroport de Kiev-Jouliani. Il était arrivé avec son épouse et ses cinq enfants sur un vol en provenance d’Istanbul, en Turquie. La famille vivait en Turquie depuis 2013, ayant demandé l’asile après que Narzoullo Akhounjonov eut été contraint de quitter l’Ouzbékistan pour fuir la détention arbitraire et les poursuites dont il était la cible en raison de son journalisme d’investigation critique. Narzoullo Akhounjonov est convaincu qu’il continuait d’être surveillé en Turquie par le Service de la sécurité nationale (SSN) et il a reçu des menaces de mort en lien avec son travail de journaliste critique. Craignant pour la sécurité de sa famille, il a décidé de fuir en Ukraine pour solliciter une protection. Sa demande d’asile en Ukraine est en cours d’examen.

En détention, Narzoullo Akhounjonov a appris qu’il avait été arrêté sur la base d’une notice rouge d’Interpol émise à la demande de l’Ouzbékistan en 2014, en relation avec une affaire de fraude datant de 2009. Narzoullo Akhounjonov a toujours nié ces accusations et déclaré que les autorités les ont portées à son encontre en vue de le sanctionner pour son travail d’investigation sur les allégations d’actes de torture imputés à des agents du SSN. Les autorités ouzbèkes demandent fréquemment des notices rouges d’Interpol visant des opposants politiques et des journalistes indépendants à l’étranger, en vue de les poursuivre en justice pour des accusations forgées de toutes pièces et motivées par des considérations politiques.

Le 27 septembre, le tribunal du quartier de Solomyanski à Kiev a condamné Narzoullo Akhounjonov à 40 jours de détention provisoire dans l’attente de recevoir une demande d’extradition officielle des autorités ouzbèkes. S’il est renvoyé de force en Ouzbékistan, il risque de subir des atteintes aux droits humains dès son retour – détention au secret, torture et autres mauvais traitements, procès inique et incarcération dans des conditions constituant un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Selon sa famille, la vue de Narzoullo Akhounjonov se dégrade rapidement. Il a besoin de soins médicaux de toute urgence. La prochaine audience en appel concernant sa détention aura lieu le 19 octobre.

Les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique sont fortement restreints en Ouzbékistan. D’éminents défenseurs des droits humains, des détracteurs du gouvernement et des journalistes indépendants sont soumis à des mesures de harcèlement et d’intimidation, à une surveillance systématique, à des arrestations, à des coups et à des campagnes de diffamation. Beaucoup ont dû fuir à l’étranger, tandis que d’autres se sont vus interdire de quitter le pays. Les défenseurs des droits humains et les journalistes indépendants, à l’étranger comme à l’intérieur du pays, sont toujours, eux et leurs familles, la cible de campagnes médiatiques acharnées et répétées sur les sites Internet contrôlés par le gouvernement ou lui appartenant, à la télévision nationale et dans la presse officielle.

Amnesty International reçoit des informations crédibles et persistantes faisant état d’actes de torture et d’autres mauvais traitements pratiqués de manière habituelle et généralisée par des agents des forces de sécurité et du personnel pénitentiaire. Ces actes seraient commis au moment de l’arrestation des personnes, lors de leur transfert, en garde à vue, pendant leur détention provisoire et au sein des établissements carcéraux.

La torture est utilisée pour contraindre des suspects et des détenus, notamment des hommes et des femmes inculpés de vol, d’escroquerie ou de meurtre, entre autres infractions pénales, à « avouer » un crime ou à mettre en cause d’autres personnes. Les personnes inculpées ou déclarées coupables d’infractions hostiles à l’État ou liées au terrorisme, notamment celles qui sont renvoyées de force en Ouzbékistan, sont particulièrement exposées à la torture, en détention provisoire comme en prison à la suite de leur condamnation.

Les autorités ouzbèkes continuent d’assurer le retour – notamment via une procédure d’extradition – de nombreux citoyens ouzbeks qu’elles identifient comme des menaces à l’« ordre constitutionnel » ou à la sécurité nationale. En octobre 2016, les pouvoirs publics ont informé Amnesty International qu’ils ont obtenu le rapatriement de 542 personnes entre janvier 2015 et juillet 2016. Afin d’obtenir gain de cause, le gouvernement ouzbek donne aux États sollicités des « assurances diplomatiques », promettant d’ouvrir sans restriction les lieux de détention aux observateurs indépendants et aux diplomates. Amnesty International s’oppose à l’usage de ces « assurances diplomatiques » contre la torture et des atteintes similaires, en vue de faciliter ces transferts. En effet, dans la pratique, les autorités ouzbèkes n’honorent pas ces promesses.

Les agents du Service de la sécurité nationale (SSN) continuent d’enlever en secret des personnes à l’étranger et de les renvoyer en Ouzbékistan. De nombreuses personnes enlevées ou renvoyées de force en Ouzbékistan sont placées en détention au secret, souvent sans que leur lieu de détention ne soit révélé. Elles sont soumises à la torture ou à d’autres mauvais traitements, dans le but de les faire passer aux « aveux » ou de les contraindre à dénoncer des tiers.

L’Ukraine est tenue au titre du droit international – plus précisément au titre du principe de non-refoulement – de ne pas renvoyer une personne dans un pays où elle risque d’être soumise à la torture ou à d’autres mauvais traitements à son retour. Cette règle de droit international coutumier s’applique à tous les États, quelles que soient leurs obligations respectives au regard des traités. Cela fait également partie des obligations de l’Ukraine au titre des traités auxquels elle est partie, notamment la Convention européenne des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que la Convention de l’ONU relative au statut des réfugiés et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

L’article 3 de la Convention contre la torture énonce que les États sont explicitement tenus de ne pas expulser, refouler, ni extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture, et précise que les États sollicités sont tenus d’évaluer avec soin le risque de torture dans les cas individuels : « Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. » Les recherches d’Amnesty International démontrent qu’en Ouzbékistan des éléments crédibles et cohérents pointent un ensemble de violations de ce type.

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