Écrire Il faut abandonner les charges contre un avocat poursuivi devant un tribunal militaire

Abderazzak Kilani, éminent avocat et ancien bâtonnier de l’Ordre national des avocats de Tunisie, comparaîtra devant le tribunal militaire de première instance de Tunis le 12 mai. Le 2 janvier 2022, les forces de sécurité l’ont empêché d’exercer ses fonctions d’avocat en s’opposant à ce qu’il rende visite à un client détenu arbitrairement, Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice.

Abderazzak Kilani est poursuivi sur la base d’un « échange verbal » qu’il a eu avec des policiers à cette occasion. S’il est déclaré coupable, il encourt jusqu’à six ans d’emprisonnement. Son procès constitue un dangereux précédent et une attaque contre le droit à un procès équitable en Tunisie.

Amnesty International appelle les autorités à abandonner les charges dénuées de fondement à son encontre et à cesser de poursuivre des personnes civiles devant des juridictions militaires.

Abderazzak Kilani est avocat, ancien bâtonnier de l’Ordre national des avocats de Tunisie, ancien ministre chargé des Relations avec l’Assemblée nationale constituante de 2011 à 2013 et ancien ambassadeur de Tunisie auprès des Nations unies à Genève de 2013 à 2014. Il fait également partie du groupe d’avocats chargés de la défense de Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice et haut responsable du parti Ennahdha, que les autorités ont détenu arbitrairement durant 67 jours avant de le libérer sans inculpation, le 7 mars 2022. Tout au long de sa détention, celui-ci s’est vu dénier le droit de consulter ses avocats.

Le 31 décembre 2021, les autorités ont arrêté Noureddine Bhiri devant son domicile, à Tunis, et l’ont emmené dans un lieu tenu secret. Son épouse, également avocate, témoin de l’arrestation, a immédiatement sollicité l’aide de ses confrères et consœurs. Abderazzak Kilani a alors commencé à coordonner le groupe d’avocats chargés de défendre Noureddine Bhiri.

Le 2 janvier, Abderazzak Kilani et l’épouse de Noureddine Bhiri, Saïda Akremi, avec d’autres avocats, se sont rendus à l’hôpital de Bougatfa, dans la ville de Bizerte, où ils avaient appris que Noureddine Bhiri avait été conduit par les autorités, et ont tenté d’entrer dans l’établissement pour lui rendre visite. Abderrazak Kilani et Saïda Akremi ont indiqué à Amnesty International que les policiers déployés autour de l’hôpital avaient interdit à celle-ci d’entrer pour voir son mari, à moins qu’elle ne signe un document dont elle ignorait le contenu, et avaient interdit purement et simplement à Abderazzak Kilani d’entrer pour rendre visite à son client.

Abderrazak Kilani a dit aux policiers qu’en l’empêchant d’entrer à l’hôpital, ils s’exposaient à des poursuites, évoquant les membres des forces de sécurité qui avaient été jugés pour des violations des droits humains commises sous la présidence de Habib Bourguiba et de Zine el Abidine Ben Ali devant des tribunaux spécialisés de justice transitionnelle, mis en place après la révolution de 2011 ayant abouti à l’éviction du président Ben Ali. L’échange a été filmé et mis en ligne sur les réseaux sociaux, dans une vidéo dont Abderazzak Kilani a confirmé à Amnesty International qu’elle correspondait bien à sa rencontre avec les policiers devant l’hôpital.

Un juge militaire a enquêté sur les événements survenus à l’hôpital Habib Bougatfa, sur lesquels sont fondées les charges retenues contre Abderazzak Kilani, et a confirmé que l’« échange verbal » qu’Abderazzak Kilani avait eu avec des policiers le 2 janvier devant cet établissement avait servi de base aux poursuites engagées contre lui.

En vertu du droit tunisien, les tribunaux militaires sont compétents pour poursuivre les civils dans certaines circonstances, notamment pour des infractions au Code pénal commises dans certaines circonstances contre des agents des forces de sécurité, au titre de l’article 22 de la Loi n° 82-70 portant statut des forces de sécurité intérieure.

Le droit de bénéficier des services d’un avocat est une composante essentielle du droit à un procès équitable tel que garanti par des traités que la Tunisie a ratifiés. Il s’agit notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Aux termes des Principes de base des Nations unies relatifs au rôle du barreau, les États doivent veiller à ce que les avocats « puissent s’acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue ».

Les tribunaux militaires tunisiens ne satisfont pas à cette exigence d’indépendance, car lors de la nomination des juges et des procureurs de ces juridictions, la décision finale revient au président de la République. De plus, tant le procureur général, qui dirige la justice militaire, que les procureurs des tribunaux militaires, qui jouent un rôle essentiel dans l’ouverture de poursuites, sont membres de l’armée et soumis à la discipline militaire. Cela les place sous l’influence de l’exécutif, puisque le président de la République, en vertu de la Constitution tunisienne, a également pour attribution le haut commandement des forces armées.

Depuis que le président Kaïs Saïed s’est emparé du pouvoir, le 25 juillet 2021, les tribunaux militaires mènent des investigations et des poursuites de plus en plus fréquentes à l’encontre de personnes civiles. Un journaliste, un blogueur et des responsables politiques de l’opposition ont notamment été visés.

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