Rencontre avec Murhabazi Namegabe, un défenseur des droits humains

Quand on est enfant, on est loin de s’imaginer que la guerre et les armes peuvent faire partie de notre quotidien. On est conscient que ça existe, certains y sont confrontés en temps de conflits armés mais de là à s’imaginer une arme à la main, il y a un monde de différence. Pourtant, en République Démocratique du Congo, être enfant soldat est devenu quelque chose de courant et même d’obligatoire à cause des nombreuses guerres civiles qui sévissent dans le pays.

Pour te parler de ce sujet, Amnesty a rencontré Murhabazi Namegabe qui tente de venir en aide aux enfants soldats dans la société congolaise depuis 15 ans déjà.

Grâce au Bureau du service volontaire pour les enfants et la santé (BVES), Murhabazi a déjà permis à de nombreux enfants de reprendre une existence plus ou moins normale. Tout au long de cet article, tu y trouveras donc des passages de son témoignage qui te permettront de mieux comprendre la situation de ces enfants soldats en République Démocratique du Congo.

Photo : Murhabazi Namegabe

Interview réalisée par Fabrice Praz, journalist pour la section Suisse (http://www.amnesty.ch/fr/pays/afrique/rdc/docs/2010/rdc-demobilisation-reinsertion-enfants-soldats)

Dans un corps d’enfant sommeille parfois un adulte

Les enfants soldats, on en trouve un peu partout dans le monde et plus particulièrement dans les pays en voie de développement bien que le recrutement d’enfants pour des combats soit totalement interdit depuis 2002 dans beaucoup de pays. Ils sont jeunes ces enfants, filles et garçons, qu’on force à prendre les armes pour tuer. Ils sont alors recrutés par des forces armées rebelles à la sortie des écoles, des églises, des transports en commun et dans les rues. Néanmoins, certains décident parfois de leur plein gré de devenir enfants soldats. Ça peut paraître choquant mais en réalité, c’est qu’ils n’ont pas vraiment d’autres choix. Les conditions extrêmes de pauvreté dans lesquelles ils vivent, les forcent à opter pour cette voie afin de gagner un peu d’argent pour se nourrir mais bien souvent, ils ne gagnent pas suffisamment que pour pouvoir s’en sortir et survivre.

Et en République Démocratique du Congo comment ça se passe exactement  ?

Photo : Carte de la République Démocratique du Congo

Les guerres qui se sont succédées depuis 1998 ont eu un impact sérieux sur la situation de protection des enfants. Plusieurs milliers d’enfants ont été recrutés. En 2000, nous estimions leur nombre à 80 000. En 2003, lors de la mise en place du gouvernement de transition, les groupes armés ont officiellement reconnu l’utilisation de 34 000 enfants. Mais ces chiffres ne tiennent pas compte des groupes armés qui n’ont pas pris part à la transition et les groupes armés rwandais, burundais et ougandais qui sont encore actifs à l’Est du pays. En 2008, avec le conflit dans le Kivu qui s’est à nouveau enflammé, nous avons assisté à une augmentation des recrutements suite à la création de nouveaux groupes armés.

De véritables machines de guerre

Comment un enfant peut-il arriver à tuer ? C’est une question que tu dois très certainement te poser. En fait, leurs recruteurs arrivent à créer en eux une telle confusion, que ces enfants ne sont plus capables de faire la distinction entre ce qui est bien et mal. Du coup, la mort et la douleur ne signifient plus grand chose pour eux.

Photo : les enfants de la guerre au Darfour

Tu te doutes que les conséquences psychologiques de tout cela sont catastrophiques et qu’ils sont alors dans l’incapacité de reprendre une vie normale sans une aide et un soutien extérieurs adaptés.

En réalité, est-il si simple de recruter des enfants ?

Les méthodes de recrutement sont complexes et ont évolué à travers les conflits. Lors de la rébellion de 1996, pour chaque enfant enrôlé, leur famille recevait 100 $, une somme énorme pour l’époque. On a vu des écoles et des villages entiers se vider de leurs enfants, âgés parfois de 8 ans. En 1998, lors de la 2ème guerre contre le régime de Kinshasa, les groupes armés ont essayé d’utiliser la même stratégie, mais avec peu de succès cette fois-ci. Ils ont alors changé de méthode et ont commencé à mener des recrutements forcés.

Photo : enfants soldats de 14 ans en République Démocratique du Congo

Ils bouclaient des écoles, allaient sur des marchés publics où ils enrôlaient de force tous les enfants présents pour les amener dans la brousse et les former aux armes. A partir de 1999, il y a eu une 3ème forme de recrutement massif d’enfants par les mouvements de résistance populaire, comme les « Maï-Maï ». Ces mouvements ont réclamé aux membres des villages de prendre les armes pour résister à l’invasion des pays étrangers qui voulaient occuper la RDC. Durant cette période, nous retrouvions même des enfants de quatre ans ! En 2007 et 2008, on a surtout enrôlé les enfants des groupes qui voulaient protéger leur propre ethnie contre les groupes armés des autres ethnies. Actuellement, nous retrouvons même des enfants dans l’armée officielle, car quand les groupes armés rejoignent l’armée officielle, ils viennent avec les enfants qui faisaient partie de leurs troupes !

Comment peut-on leur venir en aide ?

Une fois qu’on commet un acte de violence par les armes, il n’est jamais facile de se faire de nouveau accepter par la société dans laquelle on vit. On est alors confronté aux regards méprisants des autres et souvent dans ces cas-là, on se renferme sur soi-même. On a une telle image négative de soi, qu’au final, on commet d’autres délits car on ne pense pas pouvoir sortir de cette situation. Difficile de se relever à ce moment-là, pourtant, il existe bel et bien des solutions pour venir en aide aux enfants soldats.

Photo : enfants soldats qui se battent dans les champs au Soudan

Dans quel état se retrouvent alors ces enfants ?

Ils arrivent dans un état de pure animosité. Il faut s’en occuper jour et nuit. Seulement quatre enfants sur dix auront la chance de survivre et de passer par nos centres. Il leur faut d’abord une assistance humanitaire. Chaque enfant requiert un accompagnement psychosocial particulier. Ensuite, il faut localiser sa famille. Les groupes armés séparent les enfants de leur famille ou de leur communauté. Des enfants d’une province peuvent être amenés dans une autre province. Le Congo est un vaste pays, reconstituer les liens familiaux est très difficile. De plus, au Congo, depuis les années 90, les enfants ne sont pas enregistrés à l’état civil, ils n’ont pas d’identité.

La réintégration et la démobilisation voilà la solution !

Photo : entrainement de réhabilitation d’anciens enfants soldats au Bénin

Pour que ces enfants retrouvent un temps soi peu une estime de soi qu’il leur est nécessaire pour retrouver leur dignité, il est important de les réinsérer dans la vie sociale. Ce n’est bien évidemment pas simple et c’est un exercice qui s’avère généralement assez périlleux. Pourtant, c’est le seul moyen efficace pour redonner de l’espoir à ces jeunes qui n’auraient jamais pris part à de telles atrocités s’ils en avaient eu le choix.

Avant même de penser à la réintégration de ces enfants, il faut pouvoir les sortir des groupes rebelles dans lesquels ils sont engagés. C’est ici que la démobilisation joue un rôle important car elle met en péril le fonctionnement de ces groupes. Comment ? En tentant d’y semer le trouble pour qu’ils se disloquent et une fois qu’ils ne sont plus capables d’exercer leur autorité sur les enfants, on oblige leurs membres à rendre les armes.

Comment préparez-vous le retour en société des enfants ?

Pendant que l’enfant se trouve au centre, il essaie d’élaborer avec les assistants sociaux un projet de vie. Il analyse ses possibilités, ses capacités, est-ce qu’il peut retourner à l’école ou apprendre un métier. Une fois que les enfants sont replacés dans leur famille ou qu’une stratégie de formation est adoptée, nous faisons le suivi.

Photo : enfants soldats au Libéria

Nous les visitons une fois par mois et nous avons aussi créé une stratégie de participation de la communauté, ce que nous appelons le noyau communautaire pour la protection des enfants, qui nous aide à suivre ces enfants pour qu’ils ne soient plus repris par les groupes.

Qu’en est-il de ceux qui se retrouvent seuls, sans famille ?

Malheureusement, il arrive parfois que nous ne pouvons pas retrouver de famille à un enfant et pour ces enfants-là, nous devons trouver une solution en ville. Nous avons mis en place une stratégie de création de foyer. Ce sont des logements de fortune dans lesquels nous regroupons quatre enfants qui ont presque le même âge avec le suivi du centre du BVES. Ces foyers deviennent comme des familles, nous pouvons ainsi les inscrire à l’école ou pour un apprentissage jusqu’à ce qu’ils deviennent autonomes.

Et les filles dans tout cela ?

Comme on te l’a dit au début de cet article, il n’y a pas que des garçons qui se retrouvent les mains et les poings liés dans les milices rebelles. C’est en fait encore parfois plus pénible pour ces jeunes filles qui subissent de nombreuses violences sexuelles. Leur destin qui était déjà difficile au départ, l’est encore plus après ce genre de sévices.

Photo : anciennes filles soldates au Libéria

Bien souvent, soit elles tombent enceintes à la suite d’un viol et imagine toi un peu l’état dans lequel elles se retrouvent alors et le regard qu’elles portent sur leur enfant, soit, elles souffrent du virus du sida qui leur a été transmis par un militaire rebelle contaminé.

Les filles sont plus marquées par leur utilisation dans les groupes armés. Les filles sont d’abord recrutées trop jeunes, on a des filles de 8 à 12 ans, et elles sont soumises à un esclavagisme sexuel, à des violences sexuelles. Elles ont connu des problèmes de santé, des infections sexuelles, elles ont dû avorter dans la brousse ou elles ont des grossesses difficiles. La prise en charge est très difficile, leur réinsertion aussi. Les filles qui ont eu des bébés ou qui ont avorté ne veulent plus retourner à l’école. Elles ont besoin d’une activité qui leur rapporte directement de l’argent pour s’occuper d’elle et de leur enfant.

Pour en savoir plus

Notre site Internet jeunes reprend toute une série d’articles sur les enfants soldats. Si tu es intéressé par le sort pénible qui leur est réservé, rends-toi sur la page suivante : http://www.amnesty.be/jeunes/spip.php?rubrique505

Toi aussi, viens en aide aux enfants soldats

Bien qu’un monde vous sépare, bien que la distance soit très certainement grande entre vos deux pays, bien que tu as encore un peu de mal à concevoir leur manière d’agir, tu peux toutefois faire quelque chose pour que ce genre de pratiques cesse enfin une fois pour toute.

Sur Isavelives, tu peux te battre contre le sort qui est réservé à ces enfants, tu peux nous aider à changer leur vie et à faire respecter leurs droits humains qui ont été bafoués. En effet, c’est bien de leurs droits qu’il s’agit ici aussi, celui de mener une vie qui soit digne, celui de pouvoir avoir accès à une bonne éducation, celui de ne pas être séparé du reste de sa famille, celui d’être protégé par l’Etat et bien d’autres encore. C’est pourquoi on te demande d’agir en leur faveur et de nous aider à améliorer leur situation.

Aide les à retrouver leur dignité, clique sur les liens suivants :

 http://www.isavelives.be/fr/node/1280
 http://www.isavelives.be/fr/node/1263

Pour plus d’informations sur la question des enfants soldats, clique ici.

Visionne le reportage et trouve d’autres piste en cliquant ici

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