Les époux Moerenhout, Pierre et Jenny, et Zarganar
"Nous n’y croyions pas au sein du groupe 42. Voir "notre" Zarganar libéré était notre souhait le plus cher, mais la Junte militaire birmane avait une telle réputation que c’était là un vœu pieux. Et puis le miracle s’est produit. Le 12 octobre 2011, jour de la réunion mensuelle de notre groupe, nous avons appris sa libération, que nous avons dignement fêtée !
Lorsque j’ai appris par une amie londonienne, proche des milieux birmans, qu’il venait à Londres au mois de juin, mon sang n’a fait qu’un tour ! Je ne voulais rater cela sous aucun prétexte. Et je ne fus pas déçue. Pierre (mon époux et membre du groupe) ne fut pas difficile à convaincre et nous partîmes pour Londres le 6 juin. Dès notre arrivée nous avons pu assister à « un après-midi avec Zarganar », organisé par le groupe d’associations qui avait déjà mis sur pied la manifestation « Free Zarganar Campaign » en mai 2010 à Londres. Le lendemain matin, cerise sur le gâteau, nous avons eu l’occasion de nous entretenir en tête à tête avec Zarganar, grâce à Htein Lin, artiste birman et ancien compagnon de captivité de Zarganar, qui le logeait et qui nous a gentiment reçu chez lui. Durant une heure et demie d’entretien, Zarganar fut intarissable et répondit à toutes les questions que nous lui posions.
Le jour de sa libération, lui non plus n’y croyait pas ! Il fallut que plusieurs personnes lui disent de se préparer à rentrer chez lui. Il laissa l’essentiel de ses affaires personnelles, surtout les vêtements chauds, à ses compagnons d’infortune. Les seules choses qu’il a emportées furent les cadeaux et le courrier reçus des nombreuses personnes qui l’avaient soutenu durant sa captivité, entre autres des T-shirts Amnesty et même une bougie ! Parmi les souvenirs qu’il considère les plus touchants, il y a une carte d’un petit new-yorkais de 7 ans qui avait dessiné son portrait, celui d’un monsieur chauve avec une tête toute ronde et des lunettes. Il fut aussi étonné d’avoir reçu un énorme carton, plein de cartes de soutien, qui venaient d’Amnesty Belgique francophone. Je lui ai donc expliqué notre campagne « pas d’accord j’assume » dans les écoles et notre campagne bougies, dont le thème était la liberté d’expression, thème pour lequel nous l’avions choisi car il en était la parfaite illustration.
De par sa notoriété de comédien apprécié par l’ensemble des Birmans, Zarganar a rassemblé ses anciens compagnons de détention, étudiants de la Génération 88, faisant partie de différentes ethnies et les a encouragés à faire en sorte de résoudre pacifiquement les problèmes qui se posent toujours entre ethnies et/ou gouvernement. La plus grande crainte de Zarganar est que la poursuite de ces troubles mettent en péril la timide avancée vers la démocratie au Myanmar et donnent la part belle au gouvernement pour réprimer à nouveau sévèrement toute tentative d’autonomie et même simplement de liberté d’expression. Il compte donc beaucoup sur l’appui de ses anciens co-détenus (libérés depuis).
Pour lui, l’avancée démocratique est encore timide mais il estime qu’il est du devoir de chacun dans son pays de faire des efforts pour aller de l’avant. Zarganar souligne l’importance de reconnaître les progrès réalisés par les autorités et de leur rappeler qu’il est nécessaire progresser dans le bon sens, et cela, sans agressivité.
Sur le plan professionnel, avant sa dernière arrestation, il était interdit à Zarganar de publier ses œuvres et de jouer, que ce soit au cinéma ou au théâtre. Après sa libération, il a négocié avec le gouvernement la mise sur pied d’une nouvelle version de « Motion picture organization », organe étatique gérant tout ce qui était artistique. C’est le président Htein Sein lui-même qui lui a proposé d’organiser des élections au sein du monde artistique pour renouveler l’équipe qui dirigeait cette organisation, ce qui a permis à Zarganar de battre le rappel de tous ses amis artistes qui ont évidemment été élus. A l’heure actuelle, il peut jouer, critiquer les membres du gouvernement – ou de l’opposition – sans problème. En avril, période du nouvel an birman, une soirée à réunis 2000 personnes et a été retransmise à la télévision ainsi qu’aux télévisions birmanes installées dans tous les pays du monde.
Zarganar n’a pas l’intention de s’installer aux Etats-Unis où vit sa famille actuellement. Après sa visite aux USA, à Londres où il a été très actif dans la préparation de la visite de Aung San Suu Kyi, et à Paris, il va rentrer dans ce pays qu’il aime et pour lequel il veut travailler à un avenir meilleur.
Il a réussi à convaincre son fils, qui vient de terminer ses études universitaires, de rentrer au pays afin de le faire bénéficier de ses compétences, compétences dont le Myanmar a tant besoin.
Il nous signale également que les conditions de détention se sont améliorées par rapport à ce qu’il a vécu lors de ses trois premières incarcérations. Depuis 2009, la torture n’y est plus systématique, les médicaments et nourritures apportées par les familles sont tolérées et de plus, si le prisonnier a de l’argent, il peut charger les gardiens d’acheter livres, journaux, TV, radio qui, bricolée par un électricien futé, permet d’obtenir des nouvelles en ligne directe de la BBC !
Enfin, la principale raison pour laquelle Zarganar a accepté, entre autres, l’invitation d’Amnesty dans différents pays, était de pouvoir remercier tous ceux, jeunes et moins jeunes, qui se sont mobilisés pour le soutenir durant sa captivité et obtenir sa libération.
Merci Zarganar pour cet entretien et chapeau ! Vous êtes un grand monsieur !"
Merci à Jenny Moerenhout pour ce très beau témoignage !