"Liberté" Tony Gatlif répond à Anne Douhaire

Le réalisateur Tony Gatlif vient de sortir Liberté. D’origine gitane, il s’attache à travers ses films à faire connaître son peuple si mal-aimé.





BIO EXPRESS

1948 :naissance dans un bidonville d’Alger d’un père berbère et d’une mère tsigane.
1962 :quitte l’Algérie.
1998 : « Gadjo Dilo » avec Romain Duris.
24 février : sortie de « Liberté ».







 En 1999 vous avez dit que vous pouviez arrêter de tourner puisque, avec Gadjo Dilo, vous aviez rempli votre mission qui était de « redonner une mémoire au peuple Rom ». Pourquoi était-ce si important ?

Avec mon film, j’ai voulu changer la perception des Tsiganes. Depuis, j’ai vu ce qui se passe en Italie et j’ai eu à nouveau envie de raconter leur histoire. Sous Mussolini, on les exterminait. On a emprisonné les parents et placé les enfants. On a cassé les familles, la cellule primordiale chez les Manouches. Sous Berlusconi, c’est pareil : les lois sont très dures, la mort des Roms sur la plage laisse indifférent… Dans les années 70, on n’avait pas ce type de comportement. La guerre n’était pas si loin. On se souvenait de la déportation. On se rappelait où conduisaient les lois liberticides. On dirait que, depuis, on est frappés d’amnésie…

 Liberté raconte la déportation des Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi ont-ils toujours été des boucs émissaires ?

Je ne sais pas. Demandez à ceux qui les méprisent. Peut-être faut-il remonter aux origines. Quand ces peuples nomades sont arrivés en Europe, au XIVe siècle, ils ont fait peur. Originaires d’Inde, ils avaient la peau sombre. Dans un contexte de sorcellerie, on les a assimilés au diable. Leur sort est comparable à celui des loups : on les a exterminés parce qu’ils mangeaient soi-disant les enfants. Le racisme anti-Roms s’est diffusé dans toute la société y compris parmi les élites. Victor Hugo, Mérimée ont écrit des horreurs à leur sujet. On les appelait « les voleurs d’enfants ». Aujourd’hui
encore ce sentiment est très vivace. Regardez le bidonville de Saint-Denis : je ne suis pas révolté, je suis sidéré par la façon dont on les traite Tsiganes !

 Quel serait l’idéal d’accueil des Roms en Europe aujourd’hui ?

Commencer par les considérer comme des Européens, ce qu’ils sont. Les respecter, leur donner du travail. Ils sont forgerons, musiciens… Au lieu de ça, on les parque dans des endroits affreux. On les traite comme des sans-papiers. Or, ils ont des passeports. C’est illégal de vouloir les mettre
dehors ! Et puis pour les renvoyer où ? En Roumanie ? En Inde ? Ce qui me rend dingue aujourd’hui, c’est de rencontrer des élus qui me demandent : « Que faire ? » Mais, je suis réalisateur de cinéma ! Ce sont eux les hommes politiques chargés par les citoyens de résoudre les problèmes ! Ça me travaille tellement que j’ai fait un rêve affreux dans lequel un ministre mettait des Tsiganes dans un avion et le faisait s’écraser dans les montagnes !

 Vous avez dit que lors de la projection de Gadjo Dilo, les jeunes étaient frappés par la liberté des Gitans. Mais de quelle liberté parle-t-on quand on est rejeté et pauvre ?

Justement, sans leur joie de vivre, ils seraient déjà morts ! Mais ils ne sont pas déprimés. Ils sont en famille, en groupe. Cette joie, c’est une forme de résistance. Surtout que l’on vit une époque hypocrite. D’un côté, on se gargarise de droits humains et de l’autre, on les traite de plus en plus mal. Heureusement que les associations sont là. Il faut d’ailleurs être fort aujourd’hui pour soutenir ces peuples quand le reste de la société se recroqueville sur elle-même. Les gens craignent de perdre leur argent. Mais c’est entre riches qu’ils se sont volés ! Ce n’est pas un Tsigane qui a commis un krach, n’est-ce pas ?

 Dans vos films la musique est omniprésente. C’est un symbole de liberté ?

Oui, c’est notre culture. Elle est en nous, pas à côté de nous. Elle fait partie de notre quotidien. Elle accompagne les retrouvailles avec des amis, les repas, les naissances, les mariages, et les enterrements…

 Pour le film vous avez mêlé des comédiens classiques comme Marc Lavoine et James Thiérrée à des Tsiganes que vous avez fait venir de Transylvanie. Comment s’est passé le mélange des genres ?

Un monde idéal le temps d’un film... Chacun s’est inspiré de l’autre. Les Roms devaient, pour le film, apprendre le français. James Thiérrée voulait connaître le rom et Marc Lavoine s’est intéressé à la musique tsigane. Ils se sont enrichis de leurs différences.

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE DOUHAIRE

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