Qu’est-ce qui t’a poussé à fuir ton pays, le Nigéria, et puis la Libye ?
« Au Nigéria, un conflit religieux a éclaté, occasionnant de terribles affrontements. Mon père a été assassiné sous mes yeux. Je ne me souviens plus comment je suis sorti de là ; tout est confus dans ma tête. J’ai dû fuir, pas parce que je le voulais, mais pour sauver ma vie. J’ai donc marché des kilomètres, traversant des villes également en conflit, dormant dehors, sans manger - je n’avais de toute façon pas faim. Il y avait des affrontements partout ; j’ai vu des choses horribles, mais il me fallait survivre.
En Libye, c’était différent, il y a eu le conflit avec le colonel Kadhafi et l’ONU est intervenue. Kadhafi a alors voulu submerger l’Europe en lui envoyant un grand nombre de migrants. Sous son ordre, beaucoup d’étrangers se sont faits capturer et mettre de force sur des bateaux. J’ai été victime de l’une de ces arrestations. »
Peux-tu nous parler de ce que tu as vécu lors de tes différentes fuites ?
« Au Nigéria, je me suis enfui de chez moi sans rien. J’ai marché longtemps, dans une confusion totale. Je suis passé en Libye en montant clandestinement dans un camion de marchandises car je n’avais pas d’argent pour payer le trajet. Lors d’un arrêt, le chauffeur m’a repéré et m’a remis à un groupe de Libyens. Ils m’ont emmené dans le désert, dans un endroit où il y avait d’autres prisonniers. Ils m’ont demandé si je connaissais des personnes en Libye pour « rembourser mon passage », mais je ne connaissais personne. Je suis resté là-bas environ un mois, assistant à des passages à tabac et à d’autres mauvais traitements. Ils m’ont ensuite conduit dans une espèce de ferme. Toute cette période a été terrible. En une heure, ma vie à complètement changé. J’ai vu des choses horribles, assisté à des scènes terrifiantes ; tout s’est enchainé et rien ne s’améliorait.
Dans cette ferme, on m’a dit que je devais travailler pour rembourser mon passage, mais ils se sont vite rendus compte que je n’avais jamais fait ce genre de tâches. Pendant plusieurs mois, je n’ai pas eu la possibilité de sortir car les grilles étaient toujours fermées. Au bout de quelque temps, la femme du "patron" a commencé à me faire confiance. Ainsi, un jour, elle m’a envoyé faire des courses ; je ne suis jamais revenu. Le problème, c’est je ne connaissais pas la ville, ni personne et je ne parlais pas la même langue. Cependant, j’ai eu de la chance car je suis tombé sur un homme qui venait du même endroit que moi. Il m’a hébergé et nourri. Il m’a ensuite envoyé à Tripoli, chez son frère.
A ce moment-là, avec l’aide de cette personne, j’ai trouvé un travail, essayé de reprendre une vie « normale », même si je n’arrivais toujours pas à dormir, à avoir un quelconque échange avec qui que ce soit ; j’étais devenu comme une pierre. J’essayais toutefois de rester un être humain, vivant et de continuer. Puis, il y a eu cette guerre en Libye et la ville a été bombardée jour et nuit. Encore une fois, j’ai dû fuir, mais, comme je vous l’ai dit, j’ai été capturé.
Je n’ai pas choisi d’aller en Europe. Je n’ai rien payé. J’ai été arrêté par la police lors d’une sorte de rafle perpétrée par Kadhafi et mis sur un bateau. »
Comment s’est passée ta traversée ? Et ton arrivée en Italie ?
« Nous étions 400 personnes dans l’embarcation. Il y avait des hommes, des femmes ; certaines étaient enceintes. Plusieurs personnes sont mortes durant le trajet. Nous le savions parce qu’ils ne bougeaient plus ; ils étaient là, immobiles et il y avait cette odeur... D’autres, désespérés, se sont jetés par-dessus bord, n’ayant pas le courage d’affronter la réalité. La traversée a duré plusieurs jours. J’étais comme déjà mort. Le ciel se confondait avec la mer. A un moment, nous avons aperçu des garde-côtes ; nous étions tellement heureux ! Il s’agissait de Maltais. Ils nous ont dit de couper le moteur et nous ont remorqués pendant plusieurs heures. Nous avons alors cru que nous allions rejoindre la terre ferme. Hélas, il n’en a rien été, bien au contraire… Ils nous ont emmenés plus loin en mer et ils sont partis. Nous avons remis le moteur en marche et continué à avancer. Nous avons alors croisé la route d’autres garde-côtes, des Italiens cette fois. Ils nous ont demandé, eux aussi, de couper le moteur, mais nous ne les avons pas écoutés et sommes arrivés à Lampedusa. Quelle joie d’être enfin sur de la terre ferme et, surtout, d’être en vie. Mais certains étaient vraiment mal en point et avaient besoin de soins. A notre arrivée, des personnes nous ont examinés, sans rien nous dire, en nous laissant assis par terre, en file indienne. Aucun geste, aucune parole : rien. Nous avons été traités sans aucune humanité.
Les Européens pensent que nous sommes ici pour leur prendre quelque chose, mais ce n’est pas vrai. Beaucoup d’entre nous sont des étudiants, des médecins ; nous avons tout perdu et jamais nous ne retrouverons ce que nous avions. Les migrants en Italie sont dans une situation terrible. Ils sont livrés à eux-mêmes, sans pouvoir se laver, sans manger. Ils peuvent avoir un repas s’ils parviennent à entrer en contact avec des associations et s’ils attendent pendant des heures. Ce sera leur seul repas de la journée.
Si vraiment l’Europe prône les valeurs inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme, alors cela devrait concerner tout le monde de façon équitable. Moi, j’ai eu de la chance. Un peu plus d’un an après cet épisode, j’ai obtenu des papiers et je travaille maintenant dans un centre pour réfugiés. Je parle italien, autant par la voix que par les gestes ; je m’intègre au fur et à mesure et je mélange finalement les cultures. C’est ce que nous devons partager, nos cultures. Cette diversité est une richesse.
Tout ce que je souhaite maintenant, c’est enfin avancer dans ma vie, d’une manière paisible et aider les personnes dans le besoin. »
Témoignage recueilli à l’occasion du Midi des Droits Humains organisé au siège d’AIBF le 23 janvier 2015.