Depuis les années 1990, l’ONU préconise de mettre en place un programme en trois étapes, appelé programme de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) :
- Le désarmement consiste en la récupération de toutes les armes, afin de s’assurer que les soldats démobilisés ne puissent continuer la lutte ou que les armes ne circulent parmi les groupes armés.
- La démobilisation est une phase symbolique lors de laquelle les soldats quittent officiellement le groupe et reçoivent un certificat prouvant leur départ.
- La réintégration est une phase plus complexe qui doit permettre aux ex-combattants de se réinsérer dans la société. Pour les adultes, elle consiste principalement assister à une formations professionnelle ou à intégrer l’armée étatique.
Mais le programme DDR est-il adapté aux enfants ? Dans le milieu des années 1990, l’ONU publie un rapport sur l’effet des conflits sur les enfants. Ce dernier reconnaît que, lors de la phase de réintégration, les enfants, qui ont vécu des traumatismes multiples, ont besoin d’une attention et de soins très spécifiques. L’enfant doit être amené à exprimer ses traumatismes pour pouvoir les dépasser, afin de reprendre sa vie d’enfant. De plus, les enfants doivent pouvoir réintégrer leur famille si elle est toujours vivante. Ce procédé demande un suivi poussé car les enfants-soldats font souvent l’objet d’une stigmatisation tenace dans leur communauté. Enfin, des dispositifs scolaires et de formation doivent être mis en place pour assurer la transition vers la vie civile.
Points positifs et négatifs du programme DDR
Les aspects positifs :
- Plus de 100 000 enfants ont été démobilisés dans plus de 15 pays, d’après l’UNICEF ;
- Les bonnes pratiques et expériences ont été recensées au sein des principes de Paris de 2007, servant de guide aux organismes désirant mettre en place un programme de DDR.
- Aujourd’hui encore, des ONG locales et internationales s’impliquent au quotidien,
notamment dans les centres de réintégration, en menant un travail crucial et très
bénéfique pour les enfants y effectuant un séjour.
Les aspects négatifs :
- Les programmes sont le plus souvent financés à court terme, alors que la réintégration demande un suivi de l’enfant sur plusieurs mois. Beaucoup d’ONG se sont retirées de cette activité par manque de financement.
- Certaines agences de l’ONU, notamment le Département des opérations de maintien de la paix, favorisent et financent la phase de désarmement au détriment de la phase de réinsertion. Leur objectif est d’assurer la sécurité dans le pays ou la région, sans considération pour l’importance de la réintégration des ex-soldats.
- Différentes catégories d’enfants sont très souvent exclues des programmes :
Les enfants étrangers ; les enfants qui se sont démobilisés « tout seuls », en dehors d’un accord de paix ou d’une libération groupée d’enfants-soldats ; les jeunes adultes, ayant plus de 18 ans, mais ayant vécu les conflits armés étant enfants ; les filles. - La communauté locale n’a pas été assez impliquée dans le DDR. Il est pourtant
crucial qu’elle puisse participer à toutes les étapes du programme afin d’assurer une
bonne réintégration des enfants. Cette participation permet en effet de lutter contre les stigmates et préjugés développés par les communautés contre les enfants-soldats.
Malgré ce constat alarmant montrant l’échec des programmes de DDR, beaucoup d’ONG participant au travail de réintégration des ex-enfants-soldats sont toujours actives. C’est le cas du Bureau pour le volontariat au service de l’enfance et de la santé (BVES), une ONG de la RDC partenaire d’Amnesty International. Le BVES n’est pas représentatif de ce que font toutes les ONG du monde en matière de réintégration. Cependant, il est un bon exemple que nous connaissons particulièrement, c’est pourquoi nous avons choisi de vous le présenter.
Le BVES
Le BVES a été créé en 1989 par Murhabazi Namegabe, surnommé Muna, à Bukavu,
la capitale de la province du Sud-Kivu. Dès le début, l’objectif de l’organisation est de favoriser la promotion, la protection et la défense des droits des enfants privés de famille. Le 20 novembre 1989, Muna écoute la radio. Il entend parler d’une convention de l’ONU consacrant le droit au bien-être de tous les enfants. L’info est de taille : la plupart des pays ont signé la CIDE. Malgré les menaces et pressions, la première mission des volontaires du BVES se dessine assez vite : faire tout ce qui est possible pour que le Congo signe cette convention. En 1990, la convention est signée. Le Congo s’engage donc à penser au bienêtre des enfants dans toutes les décisions prises. Mais le combat du BVES continue. À cette époque, les rues de Bukavu grouillent d’enfants dont personne ne s’occupe. La pauvreté des parents et le manque de structure pour les orphelins en sont les principales causes. Appelés les « chiens », les enfants essayent de survivre tant bien que mal à la jungle de la rue. En 1994, le BVES décide donc d’ouvrir son premier centre pour les accueillir.
En 1996, Bukavu est occupée par les diverses armées rebelles congolaises soutenues par le Rwanda. Dans la guerre qui s’ensuit, les enfants deviennent des cibles directes. Le BVES prend alors l’initiative de s’occuper des enfants-soldats afin de les aider à surmonter leurs expériences de guerre traumatisantes et de retrouver leur famille. Des enfants réfugiés, provenant de groupes ethniques que les armées retenaient comme leurs ennemis, sont alors accueillis. En plus de 20 ans, malgré les difficultés de financement, l’ONG a eu le temps de grandir et de se consolider. Elle compte aujourd’hui 267 volontaires (éducateurs, psychologues, infirmiers, animateurs, professeurs, etc.) répartis sur 43 centres d’accueil au Kivu dont deux à Bukavu, un pour garçons et un pour filles. Au total, plus de 60 000 enfants ont pu bénéficier du travail du BVES.
Comment le BVES récupère t-il tous les enfants ?
L’un des rôles des membres du BVES est de partir dans la jungle à la rencontre des groupes armés pour négocier avec les commandants la libération des enfants. Différentes sources peuvent indiquer à Muna la présence d’enfants-soldats dans un groupe :
– les groupes armés eux-mêmes, qui appellent le BVES s’ils veulent libérer des enfants-soldats. Ils peuvent en effet avoir peur de se faire arrêter pour leur recrutement ;
– les enfants des centres, qui, lorsqu’ils quittent la jungle, savent où sont localisés les autres enfants du groupe ou des groupes ennemis ;
– les leaders communautaires. Il est très important d’intégrer les communautés dès le début du travail du BVES, dès la recherche des enfants-soldats. Il faut en effet qu’elles puissent empêcher leurs enfants de partir vers les groupes armés, qu’elles luttent contre la stigmatisation dont font l’objet les ex-enfants-soldats.
Partir chercher les enfants dans la jungle est évidemment une opération très risquée. Muna raconte qu’il est déjà passé 17 fois devant les portes de la mort. Depuis son partenariat avec Amnesty International, le discours des membres du BVES a évolué. Formés à l’art de la négociation, ils vont maintenant à l’encontre des groupes armés en considérant leurs revendications et leurs croyances culturelles. Ils leur rappellent leur obligation de protéger les enfants et d’en faire des citoyens responsables. Avant le phénomène des enfants-soldats, lors d’une guerre, les hommes avaient la responsabilité de cacher et de protéger les femmes et les enfants. Muna insiste sur la place des enfants dans la société. L’équipe du BVES n’hésite pas non plus à rappeler aux soldats les droits des enfants (CIDE), la loi congolaise et le rôle que la Cour pénale internationale pourrait jouer à leur encontre. Afin de démontrer que l’impunité n’est plus la norme, l’équipe s’appuie sur des cas concrets d’arrestation d’anciens chefs de guerre : Thomas Lubanga, Charles Taylor, Germain Katanga, etc. De plus, il faut parfois des jours, des mois voire des années pour récupérer certains enfants. Les
chefs sont parfois hostiles, ils peuvent cacher les enfants lors de la venue du BVES ou simplement refuser de les livrer. De plus, certains groupes armés sont difficiles à localiser, et les enfants peuvent y rester des années avant que le BVES ne les trouve.
La vie au centre : la réhabilitation des enfants
Une fois sortis des groupes armés, les enfants sont conduits dans un des Centres de transit et d’orientation du BVES (CTO), où ils resteront trois mois. Les jeunes arrivent souvent drogués, désorientés et avec de graves traumatismes physiques et psychologiques. L’objectif principal de ce centre est de (ré)apprendre aux jeunes à vivre en société. Pour chaque enfant, le BVES doit déposer un dossier auprès du Programme national de désarmement, démobilisation et réintégration (PNDDR) congolais, qui est chargé d’aller faire signer un certificat de démobilisation par les groupes armés eux-mêmes. Ce document est crucial car c’est la seule preuve que l’enfant a été soldat et que le groupe a officiellement accepté de le libérer. Mais la reconstruction au centre est longue et passe par plusieurs étapes :
- Guérir les plaies physiques : beaucoup d’enfants arrivent au CTO blessés,
mutilés et/ou sous-alimentés. N’ayant pas de centre hospitalier, le BVES travaille
en partenariat avec l’hôpital Panzi, l’un des plus grands hôpitaux de la région de Bukavu. Ce dernier dispose notamment d’une unité chargée d’aider les victimes de violences sexuelles. L’action de cet hôpital est cruciale pour les filles sortant des groupes armés. À leur arrivée, toutes les filles passent un test afin de vérifier si elles sont atteintes du VIH/Sida. Malheureusement, beaucoup d’entre elles sont
contaminées. Un autre problème auquel le BVES doit faire face est la drogue. En effet, de nombreux enfants sont dépendants au cannabis à leur arrivée. Il faut alors les aider à sortir de la toxicomanie. - Guérir les traumatismes psychologiques : les enfants arrivant au BVES ont souvent la mine sombre et ne sourient pas. En effet, ils sortent des groupes armés avec de nombreux traumatismes. Bien souvent, c’est une fois arrivés au centre que les enfants réalisent la monstruosité des actes qu’ils ont pu commettre. Il faut alors les aider à surmonter le sentiment de culpabilité qui les envahit, en leur faisant comprendre que les responsables de ces exactions sont les adultes qui les ont obligés à les commettre. Le travail du BVES est de longue haleine, c’est pourquoi les enfants restent au moins trois mois dans le centre. La discussion et le jeu sont deux éléments-clés pour soigner les plaies psychologiques. Le BVES propose toute sorte d’activités pour aider les enfants à s’exprimer : la danse, le théâtre, le chant, l’expression corporelle, la discussion sur différents thèmes, etc.
« Le monde a transformé l’enfant, il est féroce là, mais avec le temps ça va, car on l’aide à prendre conscience qu’on l’a obligé, contraint de faire ces choses. Et l’enfance revient, car elle est encore là ». (Marny, éducatrice au centre)
- Réapprendre à vivre ensemble : dans le centre, pas question de revendiquer son appartenance à un groupe armé ou à une ethnie particulière. Les enfants sont tous des enfants du BVES, c’est le lien qui les unit. Ils doivent donc surmonter les rancoeurs et désirs de vengeance qu’ils peuvent avoir à l’encontre d’autres enfants. Il arrive par exemple qu’un enfant se retrouve face à celui qui l’a blessé, ou qui a tué son ami lors d’un combat. Le BVES mène alors un travail crucial de dialogue entre les enfants, l’expression étant considérée comme la clé de la réhabilitation. Les enfants doivent également réapprendre à vivre dans un environnement cadré, avec des règles de vie commune. Les éducateurs les responsabilisent : tous doivent participer à la vie du centre. Les tâches ne manquent pas, dans des centres qui n’ont pas d’eau courante et qui connaissent de fréquentes pannes d’électricité. Les enfants apprennent par exemple à s’occuper de poules sans les tuer ni les malmener, et récoltent les oeufs. Les enfants comprennent ainsi l’importance du respect de la vie de tous les êtres.
- Reprendre les études : quand on a été privé de son enfance pendant un certain temps, l’école est un atout dont on dispose pour se construire un avenir. Le BVES à Bukavu possède trois petites classes de trois niveaux différents. L’école est un endroit très important aux yeux des enfants. Grâce à l’école, ils réapprennent à être des enfants, avec les préoccupations de leur âge, prêts à recommencer une vie loin des groupes armés. Il est alors temps de prendre le chemin du retour, vers les familles et les communautés.
Le retour dans la famille
Le BVES, parfois aidé du Comité International de la Croix Rouge (CICR), mène des recherches souvent ardues afin de retrouver les familles des enfants. Ces derniers viennent souvent de régions éloignées, voire même de pays étrangers. Le BVES se rend d’abord dans le village sans l’enfant, et commence alors un nouveau travail de discussion et de négociation afin que la famille et la communauté acceptent son retour. En effet, si certaines familles accueillent les enfants à bras ouverts, dans de nombreux cas, le retour est rendu difficile par de nombreux obstacles. Pour commencer, il arrive que la famille soit déjà passée par l’étape douloureuse du
deuil de l’enfant parti. Il est donc difficile d’accepter que celui-ci soit toujours vivant. Les ex-enfants-soldats sont victimes de stigmatisation car ils ont commis et assisté à des crimes terribles. Ils peuvent donc effrayer les familles, qui craignent de se retrouver face à des enfants violents et traumatisés.
D’après Muna, concernant les filles, le travail du BVES porte ses fruits car les familles acceptent presque toujours le retour de leur enfant. Les orphelines trouvent facilement des familles d’accueil. Malgré les efforts des volontaires, certains enfants ne peuvent retourner dans leur famille. Pour ces enfants, le BVES a créé des maisons d’accueil, dans lesquels ils peuvent vivre en autonomie. Ils vivent à trois ou quatre enfants ayant presque le même âge. Ils sont toujours suivis par le BVES et ils viennent participer aux activités et prendre leurs repas au
centre.
Les enfants sont les adultes de demain et c’est à eux qu’il incombera de reconstruire la RDC telle qu’ils la souhaitent. Ils doivent donc connaître leurs droits et être informés sur les possibilités qui s’offrent à eux. Les enfants des centres expriment beaucoup d’espoir de voir les choses changer et de participer au changement. Le BVES se charge donc également de trouver des formations aux enfants. Afin que les filles ne soient pas un « poids » supplémentaire pour la famille à leur retour, le BVES peut soutenir l’activité de la famille. Il organise par exemple des formations professionnelles en fonction des besoins de la communauté. Le BVES associe également la communauté à la réintégration pour assurer un suivi quotidien de l’enfant et le sécuriser. Ainsi, dans chaque communauté est mise en place une structure communautaire pour la protection des droits de l’enfant, qui assure ce rôle. Le BVES reste en contact avec les familles jusqu’à ce qu’une solution durable soit trouvée pour les enfants.