La ville de Juárez au Mexique est aujourd’hui un lieu synonyme de violence extrême : on dit que c’est la capitale mondiale du crime. En l’espace d’une vingtaine d’années, elle est devenue un des principaux terrains d’affrontements des cartels de drogue et le lieu emblématique de ce qu’on appelle le « féminicide ».
Un féminicide, c’est quoi ?
Le féminicide, c’est tuer une femme pour le simple fait d’être une femme. Ce type de crime est donc le résultat d’une violation des droits humains et d’une conduite misogyne à l’égard d’une femme. Si le cas de Ciudad Juárez est dénoncé depuis des années par les défenseurs des droits humains, il constitue l’un des endroits où la situation est la mieux documentée. Il permet donc d’illustrer la gravité de ces crimes commis en toute impunité.
Juárez, la ville des maquiladoras
Juárez est une ville frontalière avec les États-Unis de plus d’un million d’habitants, située dans l’ État mexicain de Chihuahua et reliée par un pont à la ville d’El Paso au Texas. C’est la plus importante zone franche industrielle du Mexique. On y dénombre des centaines de "maquiladoras", ces usines d’assemblage de sous-traitance (en majorité américaines) qui sont se sont implantées le long de la frontière dans les années 1960. A l’intérieur de ces usines, toujours les mêmes caractéristiques : emplois sous payés, conditions de travail très dures et une grande majorité de femmes.
Un tiers de la population active de Juárez est composé de migrants venant des régions défavorisées du Mexique à la recherche d’un emploi ou d’un moyen de traverser la frontière. Mais la plupart ne réussissent ni à passer le mur métallique édifié par les États-Unis, ni à trouver un emploi. Ils restent donc à Ciudad Juárez, où le chômage, la pauvreté et les inégalités ne cessent d’augmenter : la ville devient un terrain fertile pour le trafic de drogue, la prostitution, la contrebande et la corruption.
Violences, corruption et impunité
La violence des affrontements entre les différents cartels éclipse la longue série de meurtres perpétrés sur des femmes depuis les années 90. En effet, en combattant de façon agressive le trafic entre les Etats Unis et le Mexique, le gouvernement déclenche des querelles de territoires et un déchaînement de violence (en particulier contre les femmes).
Depuis 1993, on dénombre près d’un millier de morts et de disparitions de jeunes filles dans la ville. Le même scénario se répète : des jeunes filles (certaines déjà mères de famille) disparaissent sur le trajet pour l’usine ou à la tombée de la nuit ; la famille signale la disparition mais la police répond qu’elle est probablement avec son fiancé, entrain de s’amuser ou qu’elle a traversé la frontière. Quelques semaines plus tard, sans qu’aucune enquête ne soit réalisée, les corps sont retrouvés près de la gare ou du centre-ville. Selon les ONG locales (en désaccord avec les statistiques des services de police), au moins une jeune fille disparaît par semaine. La plupart sont victimes de tortures et de violences sexuelles, montrant qu’elles ont été attaquées parce qu’elles sont des femmes.
Si de nombreuses théories ont été avancées, ces meurtres de femmes n’ont jamais été élucidés. Serial killer, trafic sexuel, violences domestiques ou machisme ambiant... : peu importe l’explication avancée, les meurtriers restent protégés et certains semblent en profiter. Quelques arrestations sont faites, mais tout porte à croire que la police accuse à tort, invente des preuves et laisse les vrais coupables en liberté. La corruption de la justice mexicaine atteint un niveau difficile à imaginer : la police, les procureurs, les juges et les hommes politiques sont liés, de près ou de loin, à la mafia locale. Le système judiciaire garantit donc l’impunité générale. De plus, un problème non reconnu est un problème qui n’existe pas : la police locale tend à minimiser la gravité de ces meurtres, en affirmant qu’ils ne touchent que des prostituées ou des femmes liées au trafic de drogue.
Le phénomène continue !
Malgré l’attention médiatique que les ONG et associations locales génèrent, les meurtres continuent : jusqu’en 2009, près de 4000 plaintes pour disparitions sont enregistrées. Les filles touchées sont de plus en plus jeunes (jusqu’à 13 ans) et il devient plus difficile de retrouver la trace de leurs corps car les meurtres s’organisent. Les Nations unies et différentes ONG (dont Amnesty International), inquiets, demandent l’intervention du gouvernement mexicain, en vain.
En décembre 2009, la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) estime que l’Etat mexicain a failli à son devoir d’enquêter et de garantir les droits à la vie de trois femmes retrouvées assassinées en 2001 à Ciudad Juárez. C’est un premier pas qui est loin de constituer une quelconque réparation pour les familles des victimes, qui attendent encore justice.
Aujourd’hui, peu de chiffres sont disponibles sur la situation. Les journalistes trop curieux sont menacés, les avocats et familles de ceux emprisonnés à tort sont assassinés et ceux qui osent dénoncer la corruption du système judiciaire sont forcés de déménager. De plus, la thématique du féminicide est encore peu connue : la sensibilisation internationale est donc primordiale pour donner de la visibilité au problème.
Petit lexique
Misogynie:c’est un sentiment de mépris ou d’hostilité à l’égard des femmes
Cour interaméricaine des droits de l’homme:c’est une institution judiciaire autonome basée au Costa Rica. Elle fait partie du système de protection des droits de l’homme de l’Organisation des États américains (OEA) qui sert à défendre les droits fondamentaux et les libertés individuelles dans les Amériques.
Cartel : c’est une organisation criminelle dont l’objectif est de contrôler les opérations de trafic de drogues
Zone franche : c’est une zone géographique qui bénéficie d’avantages financiers ; les entreprises qui s’y installent bénéficient d’un régime de faveur.
Pour aller plus loin...
Le film "Les oubliées de Juarez", de Gregory Nava
L’article d’Amnesty sur les gans de jeunes en Amérique centrale
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