Cinquième édition du Prix Amnesty Jeunes des droits humains
Pour sa cinquième édition, le Prix Amnesty Jeunes des droits humains a été décerné ex æquo à Pamela Linda Maleindje et Yassine Boubout, deux jeunes activistes aux parcours et combats différents, mais avec des convergences.
Lancé en 2019 et attribué, chaque année, par de jeunes militant·e·s d’Amnesty à une personne ou à un groupe de personnes de 35 ans maximum et vivant en Belgique, ce prix récompense la qualité d’une action en faveur des droits humains.
Il est purement honorifique et ne donne lieu à aucune rémunération.
Pour sa première édition, le Prix a été remis en 2019 à Adriana Costa Santos de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. Pour sa deuxième édition, il a été remis en 2020 à à Anne-Sarah N’Kuna et Laure Fornier, animatrices d’IZI News sur Tarmac. Pour sa troisième édition, il a été remis à Michelle Sequeira, fondatrice de l’association Unless qui agit pour les sans-abris. Et pour sa quatrième édition, il a été remis à Maïté Meeus, créatrice du compte Instagram « Balance ton bar ».
Cette année, ce prix a récompensé deux jeunes personnalités inspirantes, toutes deux engagées contre les violences : l’une contre les violences conjugales à l’encontre des femmes migrantes, et l’autre contre les violences policières et le profilage ethnique.
Fraîchement auréolé·e·s du Prix Amnesty Jeunes des droits humains, Pamela et Yassine ont accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez décidé de vous engager pour lutter contre les violences ?
Pamela : C’est après l’avoir moi-même vécue que j’ai décidé de m’engager contre une double violence : celle des conjoints violents des femmes migrantes et celle de l’État qui va jusqu’à les priver de titre de séjour si elles décident de fuir le domicile conjugal. C’est l’injustice qui m’a poussée vers ce combat. Face à cette situation d’oppression, d’impunité et à la complicité de l’administration, je ne pouvais pas rester sans rien faire. Quand on m’a proposé, en janvier 2022, de rejoindre le collectif Épouses Sans-Papiers En Résistance (ESPER) puis de devenir sa porte-parole, j’ai accepté sans hésiter. Ce collectif permet d’informer les femmes qui se retrouvent dans cette situation au sujet de leurs droits et devoirs, ainsi que de les orienter vers des structures adaptées et des avocat·e·s. J’ai également eu la chance, via le collectif, d’intervenir dans des écoles de police et dans des événements publics, et je pense que ce type d’interventions contribuent également à sensibiliser les forces de police et la population à ce sujet.
Yassine : Je dis toujours que je suis né activiste. Je suis un homme de couleur et je suis issu de la migration. Malheureusement, cela a fait de moi une cible de la brutalité policière et du profilage ethnique. Les nombreuses expériences que j’ai vécues en la matière dans ma jeunesse m’ont amené à réfléchir aux raisons pour lesquelles ces problèmes existent dans notre société. C’est à partir de là que j’ai commencé à m’engager concrètement pour combattre ces violences et discriminations. Dès l’âge de 16 ans, j’ai ainsi participé à l’organisation de manifestations et je me suis impliqué dans des projets de déradicalisation et de lutte contre les violences policières et le profilage ethnique. À 19 ans, je suis devenu le président d’une organisation de défense des droits civiques, et en 2018, j’ai lancé le projet « Know Your Rights », via lequel je sensibilise, dans des écoles et maisons de jeunes, les adultes et jeunes défavorisé·e·s à leurs droits et obligations lors des contrôles de police. J’ai également cofondé, en 2020, la plateforme « Stop au profilage ethnique » et je mène des recherches sur le racisme et les violences policières pour différentes structures.
Depuis que vous avez commencé à combattre ces violences, est-ce que la situation a changé dans ce domaine ?
Pamela : Je trouve que le travail mené au sein du collectif ESPER est utile et je vois concrètement qu’il permet d’aider des femmes et à bien les orienter, mais au niveau des autorités, je trouve qu’il y a encore beaucoup à faire. J’espère que les interventions que j’ai réalisées dans les écoles de police, tout comme celles d’autres femmes membres du collectif, auront un impact pour les générations futures.
Yassine : Comme toute lutte pour les droits humains, c’est une lutte longue et lente. Nous constatons qu’à travers notre engagement, il y a une grande prise de conscience et que les gens sont plus concernés par ce sujet. Ici et là, il y a aussi des signaux positifs de la part des politiques.
Quelles sont, selon vous, les mesures qui doivent absolument être mises en place pour que la situation évolue à ce sujet ?
Pamela : Je pense que l’administration et la justice devraient davantage responsabiliser et poursuivre les auteurs des violences conjugales. Quand un mari est violent avec son épouse et que cette dernière se retrouve dans un centre d’hébergement d’urgence ou à la rue tandis que son mari reste à son domicile, ne verse pas de compensation financière, et n’est pas poursuivi, ce n’est pas normal, il peut en plus recommencer avec d’autres. Il est important, selon moi, de faire aboutir les plaintes, et de faire en sorte qu’elles ne soient pas, comme c’est souvent le cas, classées sans suite. Il devrait également y avoir plus de centres spécialisés pour les victimes de violences conjugales et notamment plus de places pour les femmes étrangères qui ont des conjoints violents.
Yassine : Il existe plusieurs solutions et des mesures très concrètes qui peuvent permettre de faire évoluer la situation. Avant tout, les politiciens et la police doivent reconnaître le problème. Une fois que les pratiques de profilage ethnique seront pleinement reconnues, nous pourrons poursuivre la discussion et chercher des solutions concrètes telles que l’enregistrement des contrôles, la création de meilleurs mécanismes de plainte, des politiques antiracistes fortes et une meilleure formation de la police.
En quoi, selon vous, vos engagements respectifs se ressemblent et/ou se rejoignent ?
Pamela : Nos combats se ressemblent, car on se bat pour la justice et contre l’injustice, on lutte tous les deux contre la violence, la discrimination et le racisme et notamment contre les actes discriminatoires et racistes de la part de la police.
Yassine : Je trouve que le fait que les migrant·e·s soient souvent victimes de violences policières est un bon exemple pour illustrer les similitudes de nos combats. En outre, nous soutenons également de nombreuses personnes migrantes qui cherchent des informations sur la police, ainsi que des informations juridiques quand elles sont victimes de violences policières, donc on aide tous les deux, des personnes à mieux connaître leurs droits et à se défendre face à l’administration et la police.
Qu’avez-vous ressenti quand vous avez reçu le Prix Amnesty Jeunes ?
Pamela : J’ai été, à la fois, très surprise d’apprendre que j’avais été choisie, avec Yassine, pour recevoir ce prix, et très contente, car cela veut dire que mon combat et celui des autres membres du collectif ESPER touche des personnes et en particulier des jeunes. Cela signifie qu’un certain nombre de jeunes connaissent le sens de la justice, de l’égalité, et sont capables de déconstruire certaines idées reçues. Cela me donne de l’espoir !
Yassine : Je ne suis pas un fan de la glorification de moi-même ou des autres, donc je vois ce prix comme une appréciation du travail que nous faisons, Pamela et moi. C’est un signe que notre travail est vu et entendu. Et surtout c’est très agréable de savoir que ce sont les jeunes eux et elles-mêmes qui nous ont choisi·e·s !
Quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes qui veulent s’engager ?
Pamela : Je veux que les jeunes sachent que tout combat n’est pas facile, parfois même c’est très difficile de changer les opinions, les idées reçues, mais c’est grâce aux combats de certaines personnes qu’il y a des évolutions positives. C’est donc important que tout le monde s’engage à son échelle, y compris quand on est jeune, pour la cause qui lui tient à cœur.
Yassine : Les jeunes doivent comprendre qu’ils sont littéralement l’avenir. En tant que militants, nous ne verrons pas nous-mêmes les fruits de notre travail. Ce sont les jeunes qui le verront et le ressentiront. Il leur appartient donc de s’engager davantage, comme ils le font actuellement : continuez, vous les jeunes qui s’engagent, à faire du bon travail !