Eddy : Une interview-vérité sur une série de problèmes que l’on croyait sans doute éteints et qui pourtant font encore partie du quotidien de bon nombre de jeunes filles et de femmes.
« Mariée de force », c’est un document publié sous le nom de Leila chez Oh Editions.
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Prendre cette liberté, c’est aussi d’office être considéré comme perdue et morte pour sa famille...
Leila : Oui, complètement. Moi j’ai une cousine qui a décidé de partir le lendemain de ses 18 ans, parce que justement elle en avait marre. C’était l’aînée des filles, elle a décidé de partir. Et pendant une vingtaine d’années, elle n’a pas vu ses parents. Et aujourd’hui, elle a repris contact avec eux, parce qu elle est atteinte d’un cancer et qu’elle est en phase terminale. Et c’est là que son père a accepté de la revoir.
Eddy : Leila la rebelle qui progressivement n’accepte pas cet ordre qu’on essaie de lui imposer, qui fugue, qui ment, qui se fais surprendre en fumant, ... Leila la rebelle, elle va être punie par la loi du milieu, c’est-à-dire qu’on va la faire rentrer dans le rang en la mariant de force, lors de vacances au Maroc, où vous n’êtes pas, parce que vous prenez une part de liberté en travaillant en France pour gagner un peu de sous pour la famille. Votre père et votre mère arrangent, acceptent, un mariage avec un garçon que vous ne connaissez pas, et la seule ambition de ce garçon plus âgé que vous est, par ce mariage, puisque vous avez la nationalité française, qu’il obtienne les papiers de résidant en France.
Leila : Oui, donc en fait, moi je suis convaincue que pour la plupart des jeunes filles qui se marient au Maroc, avec des marocains qui sont en général plus âgés, ou même du même âge, la première motivation c’est le fait d’avoir la chance d’accéder à l’Europe en toute légalité. Donc ce qui m’agace et ce qui me révolte le plus c’est le fait de savoir que pour devenir français, un marocain qui se marie avec une française d’origine marocaine, doit justifier d’un an de vie commune, pour pouvoir acquérir la nationalité française par voie de mariage, et ça ça me révolte. Je trouve ça inadmissible. Déjà nos parents qui sont là depuis plus de trente ans, il leur faut déjà plus de deux ans de démarche pour pouvoir éventuellement avoir la nationalité française si on leur accorde. Un gars qui débarque du blède, sous prétexte qu’il est marié à une française de son origine...un an de vie commune, c’est quoi ? C’est rien du tout ! En plus, ils vivent en général au dépend des filles. Puisque en général les filles travaillent, donc ils tombent sur des poules aux œufs d’or...ils connaissent la loi mieux que nous qui vivons ici en Europe. Ils savent qu’en arrivant en France, ils ont la nationalité après un an de vie commune, donc la carte de séjour dans un premier temps, la nationalité française dans un second temps, le RMI s’ils ne travaillent pas... qu’il y a des assistantes sociales, qu’il y a...
Moi je suis hallucinée ! Quand je vois ça, ça me tue parce que, moi-même je ne savais pas que au bout d’un an de vie commune on pouvait avoir la nationalité française. Et le pire dans tout ça, c’est que une fois qu’il acquière la nationalité française, si la fille veut faire bouger les choses, il n’y a aucune loi qu’on peut invoquer pour leur faire retirer les papiers. Voila, il est français. Alors quand on appelle la préfecture pour leur dire « voila, je me suis rendue compte que mon mari ne m’a épousé que pour avoir les papiers, on nous répond oui mais excusez nous madame mais il est français. Voila. Et on ne peut pas lui retirer la nationalité française comme ça. Et ça, ça me tue !
Eddy : Et votre mari, ce fut le cas. Il a été très gentil pendant tout le moment où il fallait obtenir le mariage, il l’a obtenu, au Maroc, et en France...
Leila : Ah oui, moi j’ai deux actes de mariages. Alors ça c’est pareil, ça c’est un problème. Je ne sais pas en Belgique comment ça se passe...
Donc j’ai été mariée au Maroc, d’un acte musulman et donc je suis passée à la mairie en France, ce qui veut dire deux actes de mariages, ce qui veut dire deux divorces ! L’acte de mariage marocain, n’étant pas reconnu en France, et l’acte de mariage français n’étant pas reconnu au Maroc, double problème. Résultat des courses, je suis en instance de divorce ici en France, et donc, une fois le divorce prononcé en France, il va falloir que j’aille m’attaquer aux autorités marocaines.
Eddy : Ce qui veut dire que vous vivez toujours pour l’instant avec un acte de mariage au minimum valable au Maroc, avec votre mari...
Leila : je ne pourrai pas refaire ma vie tant que je n’aurai pas le divorce marocain dans les mains.
Eddy : L’apprentissage et la pratique de votre couple a été dramatique : une belle mère enragée, on peu le dire, comme la plupart d’entre elles, et en tout cas hyper possessive par rapport à son fils qui débarque. Là vous redevenez la servante de la belle mère en plus, plus rien d’autre ne compte que son fils. Vous êtes quasiment mise à la porte de votre appartement que vous avez acquis, qui est votre propriété, que vous loué avec votre argent. Vous êtes enceinte, vous avez un fils, votre rayon de soleil à votre tour, mais tout ça va a la fois déclencher chez vous le courage du divorce et de la séparation, mais aussi le risque d’un autre esclavage...c’est le risque qu’on peut faire planer sur votre enfant, c’est que son père ne veuille le reprendre, c’est que sa belle famille ne veuille le reprendre, (...) On est prêt à nous prendre nos propres enfants.
Eddy : Leila, merci ! Merci d’avoir accepté de témoigner. Il y a encore beaucoup de choses que nous n’avons pas évoquées, et qui se trouvent dans votre livre mariée de force. Je conseille vivement à ceux et celles qui nous auront entendu de le lire.
Leila : Merci à vous.
Extraits de l’émission "Face à l’info", par Eddy Cacelberg