Deux histoires courageuses qui finissent "bien"...

Fatima, 26 ans

(Ses parents sont) arrivés en France en 1975, son père, ouvrier chez Citroën, et sa mère, femme au foyer, ont tenu à l’élever comme ils l’ont été eux-mêmes. Ailleurs, au Maroc, il y a longtemps. Une éducation traditionaliste où les filles ont des devoirs, jamais de droits. La gamine n’a pas connu les divertissements, au contraire de ses frères, qui allaient à la boxe, au tennis, qui sortaient. Pour Fatima, pas de cinéma, pas de patinoire. Pas même d’amies, juste des connaissances avec lesquelles il faut maintenir une distance pour n’échanger que des banalités. Fatima devait enfiler des tee-shirts ras du cou, des pulls épais et amples. Elle devait "fermer sa gueule", c’est tout. C’est son père qui lui achetait ses vêtements : "Des jeans taille 42, je nageais dedans, c’était la honte. Mais c’était ce que voulaient les hommes. Chez moi, la féminité n’existait pas. Pis, on la niait." Un jour où elle était en retard pour le collège, son père l’a accompagnée. Elle avait cours de sport, son jogging était dans son sac. "Quand il a compris que j’allais devoir me changer aux vestiaires, il m’a insultée, puis mis des claques." En classe de cinquième, les cours de natation... Son père a "réglé le problème" dans son dos, sa place était sur le banc en carrelage, au bord du bassin, "je n’avais plus qu’à regarder les autres, qu’à ruminer l’injustice de ma propre condition". A la maison, elle se levait plus tôt que les autres pour faire la poussière, retaper les coussins des fauteuils avant de se préparer pour l’école.
Quand des hommes rendaient visite à ses parents, on l’envoyait dans la cuisine, parce qu’elle n’est qu’une fille. "Une grosse vache, fille de la honte", qui se prenait des "coups dans la gueule, des baffes" pour un oui ou pour un non. Si bien qu’à force de harcèlements, de mépris, d’humiliations Fatima, usée, oppressée, se souvient avoir été jusqu’à supplier ses parents de lui trouver "enfin" un mari. "Pour sortir de là, je n’en pouvais plus." Elle faisait une dépression. C’est là, fin 2002, dans une banque, qu’elle croise sa chance, le regard d’un homme. Il tombe fou amoureux d’elle. Il lui propose de quitter ses parents, de s’installer avec lui. Fatima saisit l’occasion, emporte tous les jours, dans son sac pour la fac, quelques vêtements. Et fugue. "J’avais 24 ans, je suis tombée dans un monde de liberté où j’étais complètement paumée. Je prenais la réalité pour une violence tellement le choc fut brutal, tellement j’étais naïve."
Depuis, Fatima a doucement renoué avec sa famille. Non sans crainte : "J’avais peur que mon père m’égorge." La jeune femme a retrouvé ses parents comme elle les avait laissés. Un père qui pense toujours qu’il prendra les grandes décisions pour sa fille, une mère qui vit dans un autre monde, regarde "les Feux de l’amour" "pour nourrir son imaginaire et, le reste du temps, elle croit que ça se passe partout ailleurs comme chez elle". Mais... le dialogue dans tout ça ? Il est vain : "Parce que le principe de notre condition, c’est que nous n’avons pas la parole. Les filles n’ont pas ce droit, donc aucun pouvoir." Voilà pour Fatima. Parcours d’une combattante qui aujourd’hui goûte au luxe de la parole et prononce encore le mot "liberté" avec cette pudeur dont on enveloppe ce qui est cher. L’histoire est tristement banale, le dénouement heureux l’est, hélas, bien moins.

Jeune fille d’origine turque, élevée par un père à la main lourde.

Elle a une vingtaine d’années, prend des coups gratuits depuis toujours. Et se surprend à les rendre elle-même, tout aussi gratuitement, à ses petites sœurs. Comme ça, de grosses claques qui n’ont ni sens ni raisons. Elle a frappé à la porte de Voix d’elles rebelles la veille du jour où décollait l’avion qui devait l’emmener en Turquie pour un mariage forcé avec un cousin. Elle n’est pas allée à l’aéroport. Elle a fugué, refusant de se soumettre non à la religion, puisque son père boit de l’alcool, mange du porc et fume, mais à l’autorité tyrannique de ce dernier. L’affaire s’est "arrangée" : un mariage blanc, la possibilité pour le faux mari de bâtir une autre vie en France. Aujourd’hui, elle travaille bénévolement à l’association.

Source : Nouvel Observateur N° 2099 , Semaine du 27/01 au 03/02

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