Le gouvernement n’a pas respecté les engagements qu’il a pris volontairement et auxquels il est tenu de se conformer en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel l’Ouzbékistan est partie. Il a en effet procédé à l’exécution de neuf hommes dont les cas faisaient encore l’objet d’un examen par le Comité des droits de l’homme des Nations unies.
Les exécutions se déroulent en secret en Ouzbékistan et on ne permet pas aux proches des prisonniers de leur dire adieu. Dans de nombreux cas, les familles ignorent pendant des mois, voire des années, si un détenu est toujours en vie ou s’il a été exécuté. On ne leur révèle pas non plus où les corps sont enterrés, les privant donc d’un lieu où se recueillir. Nombre de parents de personnes exécutées cherchent la sépulture de leur proche pendant des années. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a déclaré que le traitement qui leur était réservé était malveillant, cruel et inhumain.
Des proches de personnes soupçonnées d’être impliqués dans des crimes passibles de la peine capitale ont également été persécutés par des agents de l’État. On les a pris en otage afin de faciliter l’arrestation des accusés, on les a torturés, battus ou menacés de viol. Dans de nombreux cas, faisant jouer leurs relations dans les réseaux de corruption, certains fonctionnaires ont obtenu que ces personnes soient renvoyées de leur travail, perdent tous leurs biens ou fassent faillite.
Le cas d’Iskandar Khoudoberganov
Iskandar Khoudoberganov et cinq autres personnes ont comparu devant le tribunal de Tachkent en août 2002 pour « tentative de renversement de l’ordre constitutionnel » et de « création d’un groupe illégal ». Iskandar Khoudoberganov a en outre été inculpé de « meurtre avec préméditation et circonstances aggravantes » et de « terrorisme », crimes punis de la peine de mort, et accusé d’avoir suivi un entraînement dans des camps militaires en Tchétchénie (dans la Fédération de Russie) et au Tadjikistan, dans l’intention de renverser le gouvernement ouzbek. Iskandar Khoudoberganov et ses coaccusés Bekzod Kassymbekov et Nossirkhon Khakimov ont affirmé pendant leur procès qu’on leur avait infligé des tortures et d’autres formes de mauvais traitements. Iskandar Khoudoberganov a affirmé que les gardiens avaient déchiré plusieurs plaintes, mentionnant notamment les tortures qu’il aurait subies, qu’il avait essayé de déposer alors qu’il était en détention provisoire. Pendant le procès, un témoin cité par l’accusation, Farkhad Kadyroulov, est revenu sur une déposition faite plus tôt à la police ; il a dit avoir été contraint de faire de fausses déclarations. Le juge aurait rejeté toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, allant même jusqu’à reprocher aux accusés d’« inventer » ces allégations afin de se soustraire « à leurs responsabilités ».
Les six accusés ont été déclarés coupables le 28 novembre 2002, principalement sur la base d’« aveux » arrachés sous la torture. Iskandar Khoudoberganov a été condamné à mort, et des peines allant de six à seize ans d’incarcération ont été prononcées contre les cinq autres accusés. Ils ont formé des recours mais la chambre d’appel du tribunal municipal de Tachkent et la Cour suprême d’Ouzbékistan les ont déboutés de leur demande.
Soupçonné d’avoir été impliqué dans des attentats à la bombe survenus à Tachkent en février 1999, Iskandar Khoudoberganov a été interpellé au Tadjikistan et remis aux forces de l’ordre ouzbèkes le 5 février 2002. Le 12 février 2002, il aurait été transféré du ministère des Affaires intérieures au siège du Service de la Sécurité nationale (SSN) à Tachkent. Ce n’est pas avant le 18 mars 2002 que ses proches ont été informés de sa détention par un avocat commis d’office. Ils ont ensuite pu lui rendre visite pour la première fois le 5 avril. Dans une lettre, qu’il est arrivé à faire passer clandestinement à ses proches, il dit avoir été torturé et drogué contre sa volonté. Il déclare notamment : « Ils m’ont torturé pour me forcer à « avouer » tous les faits qu’ils me reprochaient. Si je n’avais pas fini par signer ces déclarations, je ne serais pas vivant à l’heure qu’il est. J’ai l’impression d’être en mille morceaux. Dans le sous-sol du ministère de l’Intérieur, […] ils m’ont attaché les mains par derrière, frappé au moyen de matraques et de chaises et donné des coups de pied dans les reins. Ils m’ont cogné la tête contre le mur jusqu’à ce qu’elle soit en sang. Ils ne m’ont pas laissé dormir.[…] Ils m’ont privé de nourriture pour me forcer à "avouer". Ils m’ont dit : "pense à ta famille, ta mère, ta femme, ta sœur ; pense à leur honneur. Nous allons les amener ici et les violer sous tes yeux." Ce n’est qu’à cet instant que j’ai cédé et que j’ai signé ce qu’ils voulaient me faire signer. J’espérais pouvoir bénéficier d’un procès équitable, mais cela ne m’a apporté que souffrances et tortures en tous genres. »
MODELE DE LETTRE
Président de la République
Islam Abdouganievitch Karimov
Respublika Uzbekistan, 700163 g. Tashkent
ul. Uzbekistanskaya, 43, Rezidentsiya prezidenta
Prezidentu Respubliki Uzbekistan KARIMOVU I.A.
Ouzbékistan
Monsieur le Président,
Je vous prie de commuer la sentence capitale sous le coup de laquelle se trouvent Evgueni Gougnine, Iskandar Khoudoberganov, Nodirbek Karimov et Abror Issaïev de même que toutes les autres condamnations à mort qui vous sont soumises ;
Je voudrais aussi vous faire part de mon inquiétude face aux affirmations selon lesquelles ces personnes ont été soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements au cours de leur détention.
Pourriez-vous mener des enquêtes promptes et impartiales sur ces allégations, et traduire en justice les responsables présumés de ces violations des droits humains ?
Il semble que la santé mentale d’Abror Issaïev se soit dégradée au cours de sa détention dans le quartier des condamnés à mort . Je vous rappelle que le droit international coutumier ainsi que la législation ouzbèke prohibent l’application de la peine capitale aux malades mentaux.
Je voudrais vous encourager vivement à abolir la peine de mort, en déclarant notamment un moratoire sur toutes les condamnations à mort et exécutions. Cela n’enlève rien à la compassion que l’on éprouve à l’égard des victimes de crimes et leurs proches. Mais il n’a jamais été démontré que la peine de mort ait un effet plus dissuasif que les autres châtiments en matière de criminalité.
En espérant que vous tiendrez compte de ma lettre, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’expression de mes sentiments distingués.
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