Historique
Selon les livres antiques (notamment d’un législateur appelé Manu), l’origine des intouchables serait religieuse, les dieux auraient immolé un immense corps cosmique, bâti à l’image du corps humain, et l’auraient démembrés :
– De la bouche, naissent les brahmanes, l’ordre le plus élevé, représenté par les prêtres. -Des bras sont issus les kshatriya, représentés par les guerriers et les princes. -Des cuisses surgissent les vaishya qui sont paysans, artisans ou commerçants et les pieds engendrent les shudra, le plus bas des rangs sociaux, celui des domestiques et des serviteurs.
La civilisation indienne s’est formée à partir de l’invasion du pays, vers 1 500-1000 avant notre ère, par des peuples venus d’Iran. Le peuple originel, les dravidiens sont vaincus et soumis par l’envahisseur. Ils forment alors le quatrième rang social, à fonction domestique, tandis que les envahisseurs s’organisent de manière a formé les 3 autres castes. Une partie de la population dravidienne refuse de se soumettre et est alors considérée comme dangereuse et néfaste. Elle forme alors la cinquième caste dont descendent les intouchables.
Les brahmanes ont propagés certaines valeurs dont la principale est que chaque homme est « classé » en fonction de sa naissance. Cela dépend de l’harmonie de l’ordre cosmique et de la dignité de ses vies antérieures. Si l’individu accepte et respecte cet ordre, il peut espérer se réincarner à un niveau supérieur et inversement, il peut se réincarner à un niveau inférieur s’il ne le respecte pas. Chaque catégorie impose à ses membres des obligations et des interdictions : mariage à l’intérieur de la caste (endogamie) ; règles alimentaires (végétarisme pour les brahmanes) ; signes vestimentaires ou maquillage particulier. Les intouchables à l’heure actuelle.
A l’heure actuelle, en Inde, il y a trois femmes Dalit violées chaque jour. De même que deux personnes ayant eu la malchance de naître « hors caste » sont tuées quotidiennement au nom de conditionnements vieux de plusieurs millénaires et que le pouvoir en place entend préserver. Leur occupation, comme pour chaque caste est bien définie et ne peut être changée sous peine de graves sanctions. Ils ramassent les ordures, nettoient les toilettes, travaillent la terre, et ce pour un salaire misérable. Plus de 160 millions d’Indiens, soit un sixième de la population, connaissent une situation similaire.
Aujourd’hui encore, le système des castes, vieux de 2000 ans et sacralisé par la théologie hindoue, définit la place des individus en fonction de leur naissance. Même si l’appellation intouchable (brisés) a été abolie, leur situation n’a guère changée. Ils son méprisés, battus et parfois tués par des membres de castes supérieures et certaines milices employées par les grands propriétaires fonciers sans qu’il n’y ait réelle sanction de la part des autorités. Cela est du au fait qu’en Inde, la religion a largement plus d’importance que la loi.
Même si la fonction de président (au rôle essentiellement protocolaire), est aujourd’hui occupée par un dalit, K.R. Narayanan, cela n’influence pas vraiment la situation des dalits. Cette hiérarchie sociale qui a traversé l’Histoire se fonde sur un classement complexe des groupes sociaux selon leur pureté rituelle et leur naissance sous forme de castes.
Les dalits se divisent eux-mêmes en nombreuses sous castes. Cette prolifération autorise une discrimination à la fois horizontale et verticale qui rend le cloisonnement social encore plus élevé. Aujourd’hui encore, cette ségrégation sert de couverture à l’exploitation économique. La plupart des dalits n’ont toujours pas le droit de traverser la frontière invisible qui sépare leur quartier du reste du village.
Mais rien n’empêche une domestique dalit, dont l’ombre même pollue, de masser le corps de sa maîtresse. Au Parlement, un cinquième des sièges sont réservés aux membres des basses castes et certains Etats sont gouvernés par des coalitions politiques incluant des partis très influents parmi les dalits. Pourtant les quotas n’ont assuré ni l’égalité, ni la dignité, ni même la sécurité aux « brisés » de l’Inde. Dans les villages, la loi pèse moins lourd que la tradition d’exclusion. 26 000 crimes et atrocités sont recensés par an contre les castes inférieures.
Et les réticences de la police à enregistrer les plaintes contre les castes supérieures laissent supposer qu’il s’agit là de la seule partie émergée du problème. Les deux tiers des dalits sont analphabètes. La moitié sont des journaliers sans terre. 7% seulement ont accès à une eau potable saine, à l’électricité, à des toilettes. Et la majorité des 40 millions de travailleurs agricoles réduits en esclavage pour rembourser leurs dettes sont des dalits.
Témoignage relaté d’un dalit
Danwar Bihta et ses environs ont été le cadre de nombreux massacres atroces qui ont fait plus de 1 000 victimes, la plupart du temps des Dalits, des « intouchables » sans terre. Kusumlal est un travailleur agricole sans terre qui a survécu de justesse au massacre perpétré par des propriétaires terriens de Danwar Bihta en 1989, le jour des élections législatives. Plus de 20 Dalits ont été tués par balles lorsqu’ils ont tenté d’exercer leur droit de vote.
Comme les autres survivants, Kusumlal et sa famille ont dû quitter le village où ils étaient nés. Leur vie y était clairement menacée. Ils habitent aujourd’hui des huttes minuscules construites sur le bas-côté de la route, près d’une école primaire, dans un autre village à cinq km de Danwar Bihta. Les huttes forment un groupe compact, tout le monde y appartient à la même caste, les propriétaires fonciers sont à distance, l’école est toute proche - autant de facteurs de sécurité. Chaque jour, l’épouse de Kusumlal, Dhanpatia, et leur fillette de huit ans, Punamia, doivent marcher deux km jusqu’à la rivière Sone pour aller chercher de l’eau dans des récipients en terre cuite. Non que le réservoir du village manque d’eau.
Mais Kusumlal, sa famille et ses voisins sont des « intouchables » : ils ne sont pas autorisés par les autres villageois à prendre de l’eau au réservoir public, juste en face de leurs huttes. Kusumlal et son fils de 11 ans, Manjhi, ne peuvent pas travailler dans ce village : les propriétaires ne les embaucheront pas. Et comment revenir vers ceux qui lui ont laissé la cicatrice d’une balle à l’épaule droite ? Pour chercher du travail, le père et le fils doivent entreprendre des marches harassantes, parfois de 10 km qu’il faudra refaire au retour, pour 30 malheureuses roupies par jour (70 cents). Cet emploi de journalier n’est possible que quatre mois par an ; le reste du temps, c’est la faim et la misère. Les jours où il ne peut pas trouver de travail, le fils de Kusumlal se rend à l’école primaire du village.
Mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’il s’y instruira. L’école sera peut être fermée. Le professeur, un propriétaire d’un village voisin, est souvent absent : il supervise le travail sur ses terres au lieu d’enseigner aux enfants dalits.
Il est hors de question que la fille de Kusumlal aille jamais à l’école primaire et apprenne quelque chose du vaste monde : une petite fille est censée, dès son plus jeune âge, se consacrer aux tâches ménagères. Kusumlal lui-même ne sait pas grand-chose du monde, au-delà de sa misérable existence. Il n’est jamais allé à l’école. Il a passé toute sa vie à Danwar Bihta et dans ses environs immédiats. Il s’est rendu plusieurs fois à Ara pendant le procès sur la fusillade de 1989, mais il n’a vu que les locaux du tribunal, où lui-même et d’autres Dalits étaient convoqués comme témoins. Kusumlal ne perd pas espoir. Il sait qu’il n’est pas seul. Les Dalits sont près de 1,5 million dans le Bihar, partageant les mêmes conditions de vie de journaliers sans terre.
Aujourd’hui, ici et là, ils s’unissent, constituent des organisations de paysans et de travailleurs agricoles pour améliorer leur sort. Incapables de vaincre l’impitoyable répression par des moyens pacifiques, beaucoup de Dalits comme Kusumlal soutiennent les organisations militantes, comme le Groupe guerre du peuple (People’s War Group, PWG) et le Centre communiste maoïste (Maoist Communist Center, MCC), qui comptent sur la lutte armée pour mettre un terme à la domination des hautes castes. Ils ont créé ensemble un groupe armé afin de se battre pour leurs droits. Kusumlal ne veut pas d’argent. Il veut qu’on respecte sa dignité. Il veut que les propriétaires fonciers cessent d’exploiter sexuellement et de violer les femmes dalits.Il veut que leur milice, la Ranbeer Sena, arrête ses tueries. Kusumlal ne sait pas quand, mais il croit fermement que cela arrivera.