Rapport annuel 2017

Russie

Fédération de Russie
Chef de l’État : Vladimir Poutine
Chef du gouvernement : Dmitri Medvedev

Les restrictions imposées à la liberté d’expression, d’association et de réunion se sont aggravées. Les personnes qui avaient pris part aux manifestations de la place Bolotnaïa contre le gouvernement faisaient toujours l’objet de poursuites et la manière dont celles-ci se déroulaient suscitait certaines inquiétudes quant au respect des normes d’équité. Les défenseurs des droits humains risquaient des amendes, voire de faire l’objet de poursuites pénales, en raison de leurs activités. Des poursuites ont pour la première fois été engagées pour infraction à la Loi sur les « agents de l’étranger ». Un certain nombre de personnes ont été inculpées au titre de la législation contre l’extrémisme pour avoir critiqué la politique du gouvernement et avoir exhibé publiquement ou détenu des textes ou des objets présentés comme « extrémistes ». Des cas de torture et d’autres mauvais traitements ont été signalés dans les établissements pénitentiaires. Les carences en matière de soins médicaux dans les prisons mettaient en danger la vie même des détenus. De graves atteintes aux droits humains commises dans le cadre des opérations de sécurité menées dans le Caucase du Nord ont été signalées cette année encore. Des personnes qui avaient osé critiquer le pouvoir en place en Tchétchénie ont été la cible d’agressions de la part d’acteurs non étatiques et de poursuites en justice. Des défenseurs des droits humains travaillant dans la région ont été victimes d’actes de harcèlement, également de la part d’acteurs non étatiques. La Russie a fait face à de nombreuses critiques de la communauté internationale concernant les crimes de guerre dont ses forces se seraient rendues coupables en Syrie. La Cour pénale internationale (CPI) a poursuivi son examen préliminaire de la situation en Ukraine, et notamment des crimes perpétrés dans l’est de ce pays et en Crimée. La Russie ne respectait pas les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés.

Évolutions législatives, constitutionnelles ou institutionnelles

Une série de modifications de la législation de lutte contre le terrorisme, appelée « train de mesures de Iarovaïa », a été adoptée le 7 juillet. Ces nouvelles dispositions étaient en grande partie contraires aux obligations internationales de la Russie en matière de droits humains. Elles interdisaient en effet toute forme d’activité missionnaire hors des établissements religieux spécifiquement désignés à cet effet, obligeaient les fournisseurs de technologies de l’information à conserver pendant six mois toutes les conversations (les métadonnées pendant trois ans), augmentaient de quatre à huit ans d’emprisonnement la peine maximale encourue pour « extrémisme », et faisaient passer de cinq à 10 années d’emprisonnement la peine dont étaient passibles les personnes reconnues coupables d’avoir incité des tiers à participer à des troubles de masse.

Liberté de réunion

La législation régissant les rassemblements publics a été étendue en mars aux cortèges motorisés « non autorisés ». Cette nouvelle disposition a été invoquée fin août pour poursuivre un groupe de paysans du Kouban, dans le sud du pays, qui se rendaient à Moscou en tracteur et en voiture pour protester contre l’accaparement des terres par de grands groupes agricoles. Leur leader, Alexeï Voltchenko, a été condamné à 10 jours de détention administrative pour avoir pris part à une manifestation « non approuvée », peu après avoir participé à une réunion entre les paysans et le représentant plénipotentiaire régional adjoint du président de la Fédération de Russie. D’autres personnes présentes à cette réunion ont dû payer une amende ou purger une courte peine de détention administrative.

Quatre personnes condamnées pour avoir participé à la manifestation du 6 mai 2012 sur la place Bolotnaïa, à Moscou, purgeaient toujours leur peine. Deux personnes supplémentaires ont été inculpées en 2016 pour leur implication présumée dans ces événements. Dans l’affaire Frumkin vs Russia, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé, le 5 janvier, que le droit à la liberté de réunion pacifique de Evgeni Froumkine avait été violé et que celui-ci avait été détenu arbitrairement pendant 15 jours pour refus d’obtempérer aux injonctions de la police, à la suite de sa participation à la manifestation de la place Bolotnaïa. La Cour a considéré que l’arrestation et la détention du requérant, ainsi que la peine administrative prise à son encontre, constituaient des mesures totalement disproportionnées et visaient à le dissuader et à dissuader d’autres personnes de participer à des manifestations ou de militer dans l’opposition.

Le 12 octobre, Dmitri Boutchenkov a été inculpé de participation à des troubles de masse et de six chefs d’usage d’une « force non meurtrière » contre des policiers, lors de la manifestation de la place Bolotnaïa. L’intéressé affirmait pourtant qu’il se trouvait à Nijni Novgorod au moment des faits et qu’il n’avait pas pris part à la manifestation. Arrêté en décembre 2015, il était toujours en détention un an plus tard.

Liberté d’association – défenseurs des droits humains

Plusieurs dizaines d’ONG indépendantes recevant des financements de l’étranger ont été ajoutées en cours d’année à la liste des « agents de l’étranger ». Cela a été le cas, entre autres, de la Société internationale d’histoire et de défense des droits humains de Memorial.

Les ONG qui ne respectaient pas la législation relative aux « agents de l’étranger » continuaient de faire l’objet d’amendes administratives. Le 24 juin, Valentina Tcherevatenko, présidente fondatrice de l’Union des femmes du Don, a été informée que des poursuites pénales avaient été engagées contre elle pour « s’être systématiquement soustraite aux obligations prévues par la Loi sur les organisations à but non lucratif remplissant les fonctions d’un agent de l’étranger », infraction passible de deux années d’emprisonnement. C’est la première fois que l’article du Code pénal définissant cette infraction était invoqué depuis son adoption, en 2012. L’information judiciaire ouverte contre Valentina Tcherevatenko était en cours à la fin de l’année. Les membres du personnel de l’Union des femmes du Don ont été interrogés à de multiples reprises par les enquêteurs, qui ont également mis sous surveillance toutes les publications de l’organisation.

Lioudmilla Kouzmina, bibliothécaire à la retraite et coordinatrice de l’antenne de Samara de l’organisation Golos, qui s’attache à vérifier la régularité des élections, a fait l’objet de poursuites de la part de l’administration fiscale, qui lui réclamait 2 222 521 roubles (31 000 euros). L’administration fiscale avait reclassé en bénéfice une subvention accordée à l’organisation par l’organisation américaine USAID, cette dernière ayant été déclarée « indésirable ». Le fisc accusait Lioudmilla Kouzmina d’avoir fait une fausse déclaration. L’administration fiscale, qui avait fait appel de la décision du tribunal de district de Samara, en date du 27 novembre 2015, estimant que Lioudmilla Kouzmina n’avait pas fraudé le fisc d’une telle somme et n’avait pas utilisé l’argent pour son propre profit, a obtenu gain de cause le 14 mars 2016. Peu après la victoire en appel de l’administration, un huissier a saisi la voiture de Lioudmilla Kouzmina et le versement de sa retraite a été interrompu.

Liberté d’expression

La législation de lutte contre l’extrémisme était toujours appliquée de manière abusive, en violation du droit à la liberté d’expression. Selon le Centre SOVA, une ONG, 90 % des condamnations prononcées au titre de cette législation concernaient des commentaires exprimés ou relayés sur les réseaux sociaux. Faisant suite à une requête du Centre SOVA et de plusieurs autres ONG, le plénum de la Cour suprême a émis le 3 novembre des instructions à l’attention des juges concernant l’application de la législation contre l’extrémisme, précisant que, pour que des propos soient considérés comme constituant une incitation à la haine, ils devaient comporter un élément de violence tel qu’un appel au génocide, à la répression de masse, à l’expulsion ou à la violence.

Ekaterina Vologjeninova, une vendeuse d’Ekaterinbourg, dans l’Oural, a été reconnue coupable le 20 février d’« incitation à la haine et à l’inimitié sur la base de l’appartenance ethnique », au titre de l’article 282 du Code pénal, après qu’elle eut critiqué sur Internet l’annexion de la Crimée par la Russie et l’implication de son pays dans la région du Donbass, dans l’est de l’Ukraine. Ses commentaires étaient constitués pour l’essentiel d’articles repris de la presse ukrainienne. Ekaterina Vologjeninova, qui est mère célibataire et s’occupe seule de sa mère âgée, a dû effectuer 320 heures de « rééducation par le travail », non rémunérées. La juge a également estimé que son ordinateur devait être détruit, dans la mesure où il constituait « l’arme du crime ».

Le procès de la prisonnière d’opinion Natalia Charina, directrice de la Bibliothèque publique de littérature ukrainienne de Moscou, s’est ouvert le 2 novembre. Cette femme était accusée d’« incitation à la haine et à l’inimitié par abus de fonction », au titre de l’article 282 du Code pénal, et d’utilisation frauduleuse des fonds de son établissement, deux infractions pour lesquelles elle risquait jusqu’à 10 années d’emprisonnement. Un certain nombre de livres classés « extrémistes » auraient été trouvés parmi les ouvrages non inscrits au catalogue de la bibliothèque. Placée en résidence surveillée le 30 octobre 2015, elle l’était toujours fin 2016.

Caucase du Nord

De graves atteintes aux droits humains, notamment des disparitions forcées et de possibles exécutions extrajudiciaires, auraient cette année encore été commises dans le cadre d’opérations menées par les forces de sécurité dans le Caucase du Nord. Les défenseurs des droits humains étaient également menacés. Le 9 mars, deux membres de l’organisation de défense des droits humains Groupe mobile conjoint (JMG), six journalistes de la presse russe, norvégienne et suédoise, ainsi que leur chauffeur, ont été attaqués alors qu’ils se rendaient en Tchétchénie depuis l’Ossétie du Nord. Leur minibus a été bloqué par quatre voitures non loin du poste de contrôle à la frontière administrative entre l’Ingouchie et la Tchétchénie. Une vingtaine d’hommes masqués les ont sortis de leur véhicule et les ont roués de coups, avant de mettre le feu au minibus. Deux heures plus tard, le bureau du JMG en Ingouchie a été mis à sac. Le 16 mars, le dirigeant du JMG, Igor Kaliapine, a été prié de quitter l’hôtel dans lequel il était descendu à Grozny, la capitale tchétchène. Le directeur de l’établissement lui reprochait de « ne pas aimer » Ramzan Kadyrov, l’homme fort de la Tchétchénie. Igor Kaliapine a ensuite été pris à partie par une foule en colère. Il a reçu plusieurs coups de poing et a été la cible de jets d’œufs, de gâteaux, de farine et de produit désinfectant.

Le 5 septembre, Jalaoudi Gueriev, un journaliste indépendant connu pour sa position critique à l’égard des dirigeants de la Tchétchénie, a été condamné à trois ans d’emprisonnement par le tribunal de district de Chali, pour détention de 167 grammes de marijuana. Lors de son procès, il a rétracté ses « aveux » et déclaré avoir été arrêté le 16 avril par trois hommes en civil, qui l’auraient fait monter de force dans une voiture, puis l’auraient amené dans un bois situé à la périphérie de Grozny, où ils l’auraient torturé. Il aurait ensuite été remis à des responsables de l’application des lois, qui l’auraient obligé à faire des « aveux ».

Les dirigeants tchétchènes continuaient d’exercer des pressions directes sur le système judiciaire. Le 5 mai, Ramzan Kadyrov a convoqué tous les juges et a contraint quatre d’entre eux à démissionner. Cette initiative n’a suscité aucune réaction de la part des autorités fédérales.

Procès inéquitables

Mykola Karpiouk et Stanislav Klykh, tous deux de nationalité ukrainienne, ont été condamnés le 26 mai par la Cour suprême de Tchétchénie à 22 ans et six mois et à 20 ans d’emprisonnement, respectivement. La peine a été confirmée en appel par la Cour suprême de Russie. Ils avaient été déclarés coupables, à l’issue d’un procès inéquitable, d’avoir été à la tête d’un groupe armé accusé d’avoir tué 30 soldats russes lors du conflit qui a ensanglanté la Tchétchénie entre 1994 et 1996. Les deux hommes affirmaient avoir été torturés à la suite de leur arrestation, en mars et en août 2014 respectivement. Pendant plusieurs mois, leurs avocats n’ont pas été autorisés à les rencontrer et n’ont pas pu savoir où ils se trouvaient. Stanislav Klykh, qui n’avait pas d’antécédent de maladie mentale, est apparu gravement perturbé pendant toute la durée du procès, qui s’est ouvert en octobre 2015. Son comportement pourrait s’expliquer par les séquelles des actes de torture qu’il aurait subis. L’avocat de Mykola Karpiouk a affirmé que des informations capitales pour la défense qui étayaient l’alibi de son client ont été écartées du dossier et que le juge a refusé que les témoins soient interrogés en Ukraine.

Torture et autres mauvais traitements

La torture et les mauvais traitements étaient toujours aussi répandus et systématiques au cours de la phase initiale de détention et dans les colonies pénitentiaires.

Le 30 août, Mourad Raguimov et son père ont été roués de coups et torturés pendant deux heures, dans la cuisine de leur appartement de Moscou, par des agents du Détachement spécial de réaction rapide (SOBR), qui dépend du ministère de l’Intérieur. Mourad Raguimov était accusé par ses tortionnaires d’avoir tué un policier au Daghestan et d’avoir combattu dans les rangs de l’État islamique en Syrie. Le cousin du jeune homme a été attaché par des menottes à la table de la cuisine, tandis que les policiers torturaient Mourad Raguimov avec une matraque à décharge électrique et au moyen d’un sac en plastique (par asphyxie). Les policiers ont finalement annoncé qu’ils avaient trouvé de la drogue dans les poches de leur victime. Mourad Raguimov a ensuite été conduit au poste de police. Inculpé d’infractions à la législation sur les stupéfiants, il était toujours en détention à la fin de l’année.

Ildar Dadine a adressé à sa femme une lettre dans laquelle il a expliqué avoir été torturé et, plus généralement, maltraité dans la colonie pénitentiaire de Segueja, en Carélie (nord de la Russie). Il a dit avoir été roué de coups, à plusieurs reprises, par des groupes de 10 à 12 surveillants ; le directeur de l’établissement aurait même participé à l’un de ces passages à tabac. On lui aurait enfoncé la tête dans la cuvette des toilettes. Il aurait également été pendu par des menottes et menacé de viol. Ildar Dadine a été placé sept fois en cellule disciplinaire depuis son arrivée à la colonie pénitentiaire, en septembre 2016. À la suite de ces allégations, l’administration pénitentiaire a mené une inspection et a conclu à l’absence de tout mauvais traitement. Ildar Dadine avait été en 2015 la première personne à être condamnée pour avoir participé à une manifestation pacifique au titre de l’article 212.1 du Code pénal, qui sanctionne les atteintes à la réglementation sur le déroulement des rassemblements publics. Il avait été condamné à trois ans d’emprisonnement, peine ramenée à deux ans et demi en appel.

Absence de soins médicaux appropriés

En 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu dans 12 affaires que des personnes qui étaient en détention dans des prisons ou des centres de détention provisoire russes et qui n’avaient pas été correctement soignées avaient été de fait soumises à la torture ou à d’autres mauvais traitements. Dans un rapport au Conseil de la Fédération en date du 27 avril, le procureur général a indiqué que le manque de médicaments antirétroviraux dans les prisons mettait en danger la vie des prisonniers affectés par le VIH. Selon un rapport de l’ONG Zona Prava publié en novembre, le budget des services sanitaires des prisons était très insuffisant, ce qui se traduisait par des pénuries d’antirétroviraux pour la prise en charge des patients séropositifs pour le VIH. Toujours d’après ce rapport, de nombreuses maladies n’étaient diagnostiquées qu’en phase très avancée et le personnel médical, qui dépendait de l’administration pénitentiaire, n’était pas assez indépendant. La loi permettait en principe la libération anticipée pour raisons de santé, mais les demandes en ce sens n’étaient satisfaites que dans un cas sur cinq.

Amour Khakoulov est mort début octobre d’insuffisance rénale à l’infirmerie d’une prison de la région de Kirov, dans le centre de la Russie. Le 15 juin, un tribunal avait refusé sa libération pour raisons médicales, malgré l’avis favorable des experts médicaux. Amour Khakoulov était en détention depuis 2005. Selon sa famille, la maladie rénale chronique dont il souffrait serait apparue alors qu’il était en prison.

Conflit armé – Syrie

La Russie s’est livrée, aux côtés du gouvernement syrien, à des attaques menées sans discrimination et à des attaques directes contre des civils et des biens à caractère civil, y compris des quartiers habités, des établissements médicaux et des convois d’aide, faisant des milliers de morts et de blessés parmi la population civile.

Justice internationale

Le 14 novembre, la procureure de la CPI a déclaré que la situation en Crimée et à Sébastopol constituait de fait un conflit international entre la Russie et l’Ukraine. Une étude était en cours au sein des services de la procureure pour déterminer s’il en était de même de la situation dans l’est de l’Ukraine.

Le 16 novembre, le président Vladimir Poutine a annoncé que la Russie n’avait plus l’intention d’adhérer au Statut de Rome de la CPI, qu’elle avait signé en 2000, mais qu’elle n’avait jamais ratifié.

Droits des réfugiés et des migrants

Comme les années précédentes, la Russie a renvoyé en Ouzbékistan et dans d’autres pays des demandeurs d’asile, des réfugiés et des travailleurs migrants qui risquaient d’être torturés et, plus généralement, maltraités à leur retour chez eux. Les personnes ainsi rapatriées de force l’étaient souvent pour avoir dépassé la durée de leur visa ou parce qu’elles n’avaient pas les documents exigés par le Code administratif, qui n’imposait pas aux tribunaux de tenir compte de la gravité de l’infraction commise, de la situation de la personne et des conséquences potentielles de son expulsion. Le Code administratif ne comportait pas non plus de disposition garantissant à l’individu concerné le droit à une assistance juridique gratuite.

Le demandeur d’asile ouzbek Olim Otchilov a été renvoyé de force le 1er juillet de la Russie vers l’Ouzbékistan, au mépris des mesures provisoires prises le 28 juin par la Cour européenne des droits de l’homme pour s’opposer à son retour contre son gré en Ouzbékistan, où il risquait d’être torturé.

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