Rapport annuel 2017

Kenya

République du Kenya
Chef de l’État et du gouvernement : Uhuru Muigai Kenyatta

Les forces de sécurité se sont rendues coupables de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires et d’actes de torture en toute impunité, faisant au moins 122 victimes entre le début de l’année et le mois d’octobre. Certaines exactions ont été commises par des organes chargés de la sécurité dans le contexte d’opérations de lutte contre le terrorisme, tandis que d’autres ont été perpétrées par des agents de police et d’autres services de sécurité qui n’ont pas été soumis à l’obligation de rendre des comptes. La police a eu recours à une force excessive et meurtrière pour disperser des manifestants qui réclamaient des pratiques électorales équitables. L’opposition politique, des groupes anticorruption et d’autres militants de la société civile, ainsi que des journalistes et des blogueurs, ont été harcelés. Des familles vivant dans des implantations sauvages et des populations marginalisées ont été victimes d’expulsions forcées.

Contexte

La corruption restait monnaie courante. Le président Uhuru Kenyatta a demandé à près d’un quart de ses ministres de démissionner après que la Commission d’éthique et de lutte contre la corruption (EACC) les eut accusés d’être corrompus. Certains ont été traduits en justice et d’autres ont comparu devant des institutions de contrôle. Selon l’EACC, la corruption engloutit chaque année au moins 30 % du PIB, soit environ six milliards de dollars des États-Unis. Des autorités locales ont aussi été accusées de corruption, principalement par le gonflement du coût de leurs achats. Le ministère de la Santé et le ministère de la Décentralisation et de la Planification étaient visés par une enquête pour détournement de fonds, entre autres.

En mai, des organisations de la société civile ont lancé Kura Yangu, Sauti Yangu, un mouvement dont le but est de veiller à ce que les élections prévues en août 2017 soient légitimes, équitables et bien organisées. Peu après, la Coalition pour les réformes et la démocratie (CORD, opposition) a organisé des manifestations hebdomadaires pour protester contre la partialité présumée de la Commission indépendante chargée des élections et des circonscriptions (IEBC). Le 3 août, des membres de l’IEBC ont démissionné, mettant ainsi fin à des mois de protestations à propos du processus électoral. Le 14 septembre, la Loi portant modification des lois électorales est entrée en vigueur, ce qui a permis de lancer le recrutement de nouveaux membres de l’IEBC. Toutefois, cette procédure a pris du retard quand le comité de recrutement a reporté sine die le choix de la personne qui présiderait cette commission, les cinq candidats reçus en entretien ne remplissant pas les critères requis. Ce retard aura une incidence négative sur le calendrier de préparation des élections.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Al Shabab, un groupe armé basé en Somalie, a continué à mener des attaques au Kenya.

Le 25 octobre, par exemple, dans la ville de Mandera (nord-est du pays), au moins 12 personnes ont été tuées dans une attaque d’Al Shabab contre une pension qui hébergeait une troupe de théâtre.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Dans le contexte d’opérations de lutte contre le terrorisme ciblant Al Shabab, les organes de sécurité ont participé à des violations des droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des actes de torture. Malgré une hausse du nombre de signalements de telles violations, aucune véritable enquête n’a été menée dans le but d’amener les responsables à rendre des comptes.

Exécutions extrajudiciaires

La police et d’autres services de sécurité se sont rendus coupables d’exécutions extrajudiciaires ainsi que de disparitions forcées et d’actes de torture1.

Willie Kimani, un avocat à la tête d’une association caritative spécialisée dans l’aide juridique, son client Josphat Mwendwa et leur chauffeur de taxi, Joseph Muiruri, ont été enlevés le 23 juin dans un lieu inconnu. Le 1er juillet, leurs corps ont été retrouvés dans une rivière du comté de Machakos, dans l’est du Kenya ; les autopsies ont révélé qu’ils avaient été torturés. Josphat Mwendwa, chauffeur de mototaxi, avait accusé un membre de la police administrative de tentative de meurtre, car cet agent lui avait tiré dans le bras pendant un contrôle routier de routine. L’agent l’avait ensuite verbalisé pour l’intimider et le pousser à retirer sa plainte. L’enlèvement a eu lieu alors que Willie Kimani et Josphat Mwendwa venaient de quitter le tribunal de Mavoko, dans le comté de Machakos, à la suite d’une audience dans l’affaire de l’infraction au code de la route. Le 21 septembre, quatre agents de la police administrative – Fredrick ole Leliman, Stephen Cheburet Morogo, Sylvia Wanjiku Wanjohi et Leonard Maina Mwangi – ont été reconnus coupables du meurtre des trois hommes. À la fin de l’année, ces quatre policiers étaient en détention provisoire dans l’attente du prononcé de leur peine.

L’exécution des trois hommes a déclenché des manifestations à l’échelle nationale et a mobilisé les organisations de défense des droits humains, les médias et des associations professionnelles, notamment juridiques, pour exiger que des mesures soient prises contre les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires.

Job Omariba, infirmier dans la ville de Meru (est du pays), aurait disparu à Nairobi le 21 août. Son corps a été retrouvé à la morgue de Machakos le 30 août. Ce même jour, l’Unité spéciale de prévention de la criminalité a arrêté trois policiers soupçonnés de l’avoir enlevé et tué.

Le 29 août, deux policiers sont entrés dans l’hôpital de Mwingi et ont tué par balles Ngandi Malia Musyemi, un vendeur ambulant qui avait signalé à la police avoir été victime du vol à main armée de son véhicule. Sa sœur a été témoin de l’homicide. Des agents des comtés de Nairobi, de Machakos et d’Embu ont été chargés d’enquêter sur cette affaire.

Le Kenya ne dispose d’aucune base de données officielle répertoriant les homicides commis par la police ou encore les disparitions forcées. Selon Haki Africa, un groupe de défense des droits humains, 78 exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées se sont produites dans le comté de Mombasa au cours des huit premiers mois de 2016. Le journal Daily Nation a répertorié 21 cas d’exécutions commises par la police pendant la même période.

Liberté de réunion

À Nairobi et dans d’autres villes, la police a eu recours à une force excessive et meurtrière pour disperser des manifestants qui protestaient contre l’IEBC.

Le 16 mai, un homme qui manifestait à Nairobi a été blessé par balle lors d’un affrontement avec la police, quand des habitants du bidonville de Kibera ont voulu former un cortège jusqu’aux locaux de la commission électorale.

Le 23 mai, la police a utilisé des matraques, du gaz lacrymogène, des canons à eau et parfois des balles réelles pour disperser des manifestants dont le cortège se dirigeait vers les bureaux de la commission électorale. Une vidéo a montré trois policiers en train de frapper un manifestant, notamment à coups de pied, alors qu’il était à terre. Le même jour, au moins deux personnes ont été tuées et 53 blessées pendant une manifestation dans la ville de Kisumu, dans l’ouest du pays.

Liberté d’expression

Les autorités ont continué à restreindre la liberté d’expression en intimidant et en harcelant des journalistes, des blogueurs et d’autres membres de la société civile, notamment en utilisant l’ambiguïté de la Loi relative à l’information et à la communication. Au moins 13 personnes ont été jugées au titre de l’article 29 de cette loi, qui comprend des termes vagues tels que « extrêmement insultant » et « indécent ». Le 19 avril, la Haute Cour a conclu que l’article 29 était contraire aux dispositions constitutionnelles sur le droit à la liberté d’expression.

Le journaliste Mbuvi Kasina était toujours sous le coup de six chefs d’inculpation pour usage abusif d’un système officiel de télécommunications, après avoir remis en cause les dépenses du Fonds de développement de la circonscription électorale de Kitui South.

Le 27 septembre, la police a harcelé et agressé Duncan Wanga, journaliste et caméraman de la chaîne de télévision K24, puis a détruit sa caméra, alors qu’il couvrait une manifestation dans la ville d’Eldoret, dans l’ouest du pays.

Le 1er octobre, le vice-président a menacé d’intenter un procès à Boniface Mwangi après qu’il eut tweeté qu’il existait un lien entre le vice-président et le meurtre de l’homme d’affaires Jacob Juma, survenu en mai. Les avocats du vice-président ont exigé que le militant présente des excuses, se rétracte et clarifie ses propos sous sept jours. Les avocats de Boniface Mwangi se sont réjouis de la perspective d’affronter le vice-président lors d’un procès, faisant valoir des affaires de la CPI et les allégations d’un député sur l’exécution de Jacob Juma afin de montrer que la réputation du vice-président n’avait pas été entachée par le tweet.

RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE

En mai, peu après avoir révoqué le statut présumé de réfugié des Somaliens qui avaient fui au Kenya, le gouvernement a annoncé que le camp de réfugiés de Dadaab serait fermé le 30 novembre. Pour justifier sa décision, le gouvernement a mis en avant la sécurité nationale et la nécessité pour la communauté internationale de partager la responsabilité de l’accueil des réfugiés. Le camp de Dadaab accueille plus de 280 000 réfugiés, dont 260 000 viennent de Somalie. Le délai très court, les déclarations du gouvernement sur le processus de rapatriement et l’insécurité en Somalie ont fait craindre les Somaliens ne soient renvoyés de force, en violation du droit international, et que la vie de dizaines de milliers de personnes ne soit mise en danger3. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 27 000 réfugiés somaliens avaient quitté Dadaab à la mi-octobre pour retourner en Somalie, volontairement pour la plupart. Le 16 novembre, les autorités ont déclaré qu’elles repousseraient de six mois la fermeture du camp.

En mai, le gouvernement a supprimé le service ministériel en charge des réfugiés, créé conformément à la Loi de 2006 relative aux réfugiés, et l’a remplacé par un secrétariat chargé des réfugiés. Cette instance n’est pas établie par la loi et elle se trouve sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et de la Coordination du gouvernement national.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées

Le 16 juin, la Haute Cour de Mombasa a confirmé qu’il était légal d’imposer un examen anal aux hommes soupçonnés d’avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes. Deux hommes avaient déposé une requête auprès de cette instance pour que ces examens anaux soient déclarés inconstitutionnels, de même que les tests de dépistage du VIH et de l’hépatite B qu’ils avaient été forcés de subir en février 2015. La cour a estimé que leurs droits et la loi n’avaient pas été enfreints. En vertu du droit international, les examens anaux et le dépistage forcé du VIH sont contraires au droit au respect de la vie privée, ainsi qu’à l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements. La décision de la Haute Cour enfreint plusieurs traités relatifs aux droits humains ratifiés par le Kenya.

Droits en matière de logement – expulsions forcées

Des familles qui vivaient dans des implantations sauvages, ainsi que des populations marginalisées, ont été expulsées de force dans le contexte de grands projets d’infrastructures.

Dans le bidonville de Deep Sea, à Nairobi, 349 familles ont été expulsées de force le 8 juillet pour permettre la construction de l’axe reliant l’autoroute de Thika à la rocade de Westlands. L’expulsion a eu lieu sans préavis et alors qu’une consultation était en cours entre la population concernée et l’Autorité de la voirie urbaine du Kenya (KURA). Les habitants ont été agressés pendant les expulsions par des jeunes armés, arrivés dans des engins de chantier appartenant à l’État et dans des véhicules privés. Des policiers armés étaient présents et ont menacé de tirer sur les habitants s’ils résistaient à l’expulsion. La KURA et l’UE, qui finance la route, avaient assuré aux habitants de Deep Sea qu’ils ne subiraient pas d’expulsion forcée.

La KURA a assumé la responsabilité des violations des droits des habitants pendant une réunion avec les dirigeants de la communauté de Deep Sea. Dans une lettre à la population, l’instance a accepté de prendre des mesures en urgence pour remédier à la situation, notamment de remettre en état les installations sanitaires, de faciliter la reconstruction de maisons et de fournir une aide humanitaire, en particulier des équipements pour cuisiner et des couvertures pour ceux qui avaient tout perdu. La KURA et les habitants de Deep Sea ont convenu que les habitants permanents recevraient chacun 20 000 shillings du Kenya (environ 200 dollars des États-Unis) et que cette somme serait indépendante de l’indemnisation des pertes encourues pendant l’expulsion forcée.

Des représentants du peuple autochtone swenger ont signalé que le Service des forêts du Kenya avait incendié des habitations à de multiples reprises dans la forêt d’Embobut. Des tribunaux locaux ont examiné des affaires concernant des Sengwers qui avaient été arrêtés parce qu’ils se trouvaient dans la forêt, alors qu’une requête introduite par les Sengwers pour contester leur expulsion était en cours d’examen et que la Haute Cour siégeant à Eldoret avait ordonné la suspension des arrestations et des expulsions pendant l’examen du recours en justice.

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