Bilan des activités d’Amnesty International Belgique francophone en 2012

Une fraction de seconde. C’est le temps qu’il a fallu pour mourir à des enfants qui faisaient la file pour acheter du pain, là-bas, en Syrie, dans une ville dont nous avons déjà oublié le nom. Des avions sont passés dans le ciel, déchirant leurs estomacs déjà noués par la peur, en plus de la faim. Et les bombes sont tombées, presque au hasard, brûlant de jeunes vies qui n’y pouvaient rien, mais…

Une année de travail à Amnesty International, ce sont toutes ces fractions de secondes qui se succèdent les unes après les autres, ces milliers de victimes innocentes qui n’ont rien demandé qu’à acheter un bout de pain et qui ne sont jamais revenues de leurs courses au bout de la rue.

Une année de travail à Amnesty International, c’est ce profond sentiment d’injustice qui exige non pas vengeance mais justice, précisément, pour que les puissants qui bombardent à l’aveugle aient à rendre des comptes. C’est aussi soutenir ces combattants pacifiques qui vont arracher d’autres enfants à leurs chefs ; des mini soldats, recrutés de force pour les transformer en miliciens de la haine et de la terreur.

Une année de travail à Amnesty International c’est aussi (et heureusement) recevoir ces bonnes nouvelles, ces annonces de libération, d’amélioration des conditions de détention, d’hommes et de femmes qui ont échappé à la torture et aux mauvais traitements. Ces êtres humains pour lesquels vous avez consacré quelques instants de votre vie à vous, en signant une pétition, en distribuant autour de vous un dazibao, en permettant à d’autres concitoyens d’ouvrir les yeux sur la réalité de notre monde. Souvent en dehors du cadre des écrans de télévision, parce que cela se passe trop loin, qu’il n’y a pas assez de morts, que nous n’entretenons pas de relations commerciales avec ce pays…

Une année de travail à Amnesty International, c’est tout cela. Et je vous remercie de le partager avec nous.

Philippe Hensmans
Directeur Amnesty International Belgique francophone

PS : Je tiens aussi ici à remercier spécialement tout le staff de notre section. L’année avait débuté dans des conditions difficiles et pourtant leur énergie nous a permis de remplir notre mission bien mieux que l’on aurait pu même l’espérer. Cela devait être souligné, voilà qui est fait.

2012 a été marquée, vous vous en rappellerez sans doute, par les élections communales en… Belgique. Et alors, direz-vous ? Qu’est-ce que cela a à voir avec Amnesty International ? Et bien, il faut parfois se rappeler que notre travail consiste aussi à promouvoir les droits humains en Belgique. Votre commune peut elle aussi mener une politique qui se base sur les droits fondamentaux. Bien entendu, cela semble vague énoncé ainsi.
C’est pourquoi nous nous sommes basés sur la "charte-agenda des droits de l’homme dans la cité". Votée par la CGLU (en quelque sorte l’Union des villes et communes mondiale), cette charte propose douze droits et des suggestions pour les faire respecter dans les villes. Excellent document au demeurant, cette charte était encore fort généraliste, puisque destinée autant à un petit village africain qu’à Liège. Aussi avons-nous demandé à Jean-Paul Marthoz et Anne-Marie Impe, deux experts en droits humains, de partir à la recherche d’expériences concrètes de mise en oeuvre des principes énoncés dans cette charte. Et le résultat fut impressionnant : plus de 180 pages d’idées parfois simples, parfois complexes, souvent peu chères, toujours passionnantes, que nous pouvions mettre à la disposition des candidats aux élections et à leurs partis. Réalisé en 2010 (et oui, il fallait s’y prendre à l’avance) et accompagné d’un site web (http://www.lesdroitshumainsaucoeurdelacite.org/), ce guide a été alors "digéré" par nos groupes locaux qui allaient se lancer début 2012 dans la grande aventure des citoyens actifs dans leur commune. Nous n’avons pas manqué, bien étendu, de faire le tour des partis politiques démocratiques à l’heure où ils s’apprêtaient à rédiger leurs programmes électoraux.
Les élections communales sont une opportunité pour beaucoup d’associations de faire connaître leurs propositions. Aussi, nous sommes-nous alliés avec plusieurs d’entre elles (Ligue des Familles, CNCD, Oxfam Magasins du Monde,…) pour aller à la rencontre des politiques et des citoyens dans les communes, notamment en circulant à bord du petit train qui a sillonné plus de trente communes. L’occasion rêvée pour faire connaître nos propositions concernant la violence conjugale, l’accueil des personnes étrangères ou encore le traitement réservé aux gens du voyage. Sans parler de l’idée (déjà adoptée par quelques communes) de nommer un échevin en charge des droits humains. S’il est trop tôt pour tirer un bilan (les nouvelles majorités viennent de prêter serment), notons que plus d’une vingtaine de communes ont déjà signé la charte-agenda. Et nos groupes locaux ne sont pas près de lâcher prise.

L’élection de Barack Obama avait suscité pas mal d’espoirs suite aux promesses qu’il avait faites de fermer Guantanamo. Hélas, quatre ans plus tard et à l’occasion de son élection, il a bien fallu constater que rien n’avait changé, ou presque. Plusieurs dizaines de prisonniers y sont détenus sans aucune inculpation ni jugement, pour une période totalement indéterminée. Mais nous sommes têtus (c’est bien le moins quand on connaît les conditions de détention sur place !), et comme chaque année, nous avons manifesté pour la fermeture de ce lieu de non droit.
Ce n’est pas le seul problème que rencontrent les États-Unis : même si l’abolition de la peine de mort fait des progrès dans certains états, ce châtiment est malheureusement toujours d’application. Comme chaque année, nous avons tenu à marquer le 10 octobre, journée internationale pour l’abolition de la peine de mort : nous avons accueilli, à l’occasion d’une journée d’étude sur ce thème, un avocat iranien, Mohammad Mostafaei, qui a défendu Sakineh Mohammadi-Ashtiani, cette dame iranienne condamnée à mort par lapidation.

Printemps arabe

Impossible bien entendu de passer à côté de toutes les actions, visibles et moins visibles, que nous avons menées à propos du Moyen-Orient. Ce qu’on a appelé le "printemps arabe" risque fort de devenir un "hiver arabe" si nous ne sommes pas vigilants et ne nous montrons pas solidaires avec les forces vives qui défendent les droits humains en Tunisie, en Libye, en Égypte, au Bahreïn, et certainement encore plus aujourd’hui en Syrie. Nous avons mené des campagnes permanentes afin de proposer des "agendas pour les droits humains" aux nouveaux gouvernements et partis politiques présents dans ces pays. Manifestations, alertes dans les médias, visites d’ambassades, pétitions en ligne,… nous avons eu recours à tous les moyens à notre disposition.
Nous soutenons aussi nos collègues dans ces pays-là, qui essayent de renforcer la présence d’Amnesty et de porter nos revendications. Nous avons par exemple aidé nos amis tunisiens à se doter d’un site web (ainsi que nos amis algériens d’ailleurs). Même si les situations sont difficiles, nous avons obtenu des résultats. Ainsi, par exemple, le défenseur bahreïnite des droits humains Sayed Yousif Almuhafdah a été libéré le 16 novembre dernier, et les charges retenues contre lui ont été abandonnées. En juillet, des militants du parti égyptien social démocrate, qui avaient été arrêtés suite à une manifestation, ont été libérés. Même en Syrie, nous avons pu obtenir la libération de Mohamed al Ammar, qui prône une réforme démocratique, et qui vit à Deraa, dans le sud du pays. Il a été libéré le 22 avril, après avoir été détenu au secret pendant plus d’un mois.
Mais il est clair que les premières oubliées (et nouvelles victimes, souvent) sont les femmes, bien qu’elles aient été à la pointe de ces révolutions. Nous l’avons rappelé à l’opinion publique en distribuant notre dazibao de mars, consacré à ce sujet. Objectif, comme à chaque distribution de ce type, sensibiliser et faire agir. Grâce à l’aide de plus de 3750 bénévoles, nous avons pu distribuer quatre fois cette année plus de 50 000 exemplaires de nos affiches-journaux (cliquez ici pour les consulter).

Droits des femmes

Au sujet des femmes activistes, évoquons aussi les Pussy Riot, ces femmes d’un groupe féministe russe qui ont payé cher leur action de dénonciation de la collusion entre l’église orthodoxe russe et le pouvoir. Dès leur arrestation, nous avons mobilisé (et nous continuons d’agir, bien entendu) le public : manifestations devant l’ambassade (nous avons transformé des messages de soutien envoyés via internet par des milliers de personnes en voix synthétique, afin de forcer l’ambassadeur à entendre ces opinions), distributions d’autocollants, affiches devant l’ambassade (l’ambassadeur a même essayé de faire ôter notre cube d’affichage !),…
Nous menons campagne depuis déjà de nombreuses années contre la violence domestique. Cette année encore, nous avons initié deux actions spectaculaires pour attirer l’attention des femmes et des hommes sur ce sujet difficile. Grâce à l’aide d’un opticien bien connu, toutes les lunettes de soleil dans les vitrines de tous ses magasins en Belgique ont porté pendant trois jours un petit autocollant disant "Trop de femmes portent des lunettes de soleil même quand il n’y en a pas. Agissons contre la violence conjugale". Et le jour de la Saint-Valentin, un corbillard orné d’une couronne mortuaire portant l’inscription "just married" a sillonné les villes belges pour rappeler que malheureusement des femmes meurent chaque année sous les coups de leur compagnon...

Armes légères, lourdes conséquences

La plupart des violations des droits humains n’auraient pas lieu sans le recours à des armes, et particulièrement, à des armes légères. Depuis 17 ans, Amnesty se bat avec d’autres ONG pour obtenir un traité des Nations unies qui réglemente un minimum le trafic des ces armes.
Pour appuyer notre campagne, nous avons mené des actions de sensibilisation, notamment en faisant livrer des caisses de bananes aux rédactions de nos journaux. Pourquoi de bananes ? Parce que dans beaucoup de régions du monde, le commerce de ces fruits est mieux réglementé que celui des armes… Nous avons également, grâce à notre agence de publicité AIR (qui travaille bénévolement pour nous), lancé sur Youtube deux caméras cachées, montrant des "méchants" (Dark Vador, le Joker) essayer d’acheter des armes à la FN de Herstal et chez Dassault France. Ces spots, au slogan final "Si vous refusez de vendre des armes aux méchants, pourquoi en vendez-vous aux tyrans ?", ont eu un succès phénoménal et ont été vus des centaines de milliers de fois, rencontrant ainsi notre objectif de sensibiliser le grand public et ses gouvernements, à l’importance de cette question.

Campagne bougies

La fin de l’année a été marquée, elle, par notre campagne pour qu’il soit mis un terme à l’utilisation des enfants-soldats. Ce fléau, qui touche des dizaines de milliers d’enfants à travers le monde (et la moitié sont des filles) est malheureusement encore fort répandu. Nous avons donc réalisé un dossier pédagogique pour les élèves (dossier apparemment fort apprécié par leurs enseignants), afin de sensibiliser les jeunes et leur proposer d’agir avec nous. Le succès de cette action (qui s’est prolongée avec la Campagne bougies) a été très important : plus de 15 000 jeunes ont participé à notre journée "PADAJA" (pas d’accord, j’assume) et ce sont à peu près autant de cartes postales qui ont été remises par des jeunes à l’ambassade du Congo à Bruxelles.
Une année bien chargée, donc, même si nous n’avons pas pu rendre compte ici de tout ce que nous avons pu faire… Nous vous invitons à vous rendre sur amnesty.be et isavelives.be pour vous faire une idée de ceci...

Philippe Hensmans
Directeur Amnesty International Belgique francophone
Photos : © Aibf

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