Les femmes réfugiées vivent dans une peur constante Par Giorgos Kosmopoulos, spécialiste des droits des réfugiés et des migrants à Amnesty

« Shirin » (le nom a été modifié), une journaliste afghane, déclare que les talibans ont fait feu sur elle à une occasion. Mais bien qu’elle ait quitté son pays pour se mettre en sécurité, elle vit désormais la peur au ventre dans un camp sordide accueillant des réfugiés en Grèce. « Nous sommes traités comme des animaux. Je préfèrerais me faire de nouveau tirer dessus plutôt qu’endurer ces conditions », a-t-elle dit à Amnesty International dans le camp de Kara Tepe, sur l’île de Lesbos.

« Nous sommes traités comme des animaux. Je préfèrerais me faire de nouveau tirer dessus plutôt qu’endurer ces conditions », a-t-elle dit à Amnesty International dans le camp de Kara Tepe, sur l’île de Lesbos.

Shirin fait partie des nombreuses femmes ayant fui la violence et les persécutions, pour finalement se retrouver aux prises avec de nouvelles craintes de harcèlement sexuel et d’agressions dans les camps des îles grecques.

L’épisode où les talibans ont ouvert le feu sur la voiture de Shirin remonte à 18 mois. Elle a dans un premier temps fui jusqu’à Kaboul, où elle a trouvé un autre emploi de journaliste, cette fois-ci derrière la caméra.

« C’est très dangereux d’être une femme journaliste en Afghanistan », a-t-elle souligné.

Elle a continué à recevoir des menaces téléphoniques et a fini par en avoir assez ; c’est alors qu’elle a quitté l’Afghanistan pour l’Europe.

« Mais je ne me sens pas non plus en sécurité ici. J’ai tellement peur que je ne quitte jamais ma chambre la nuit  », a-t-elle expliqué, ajoutant que beaucoup de ses amies avaient parlé de cas de harcèlement sexuel et verbal à Lesbos.

Sa « chambre » est un container où on peut souvent compter des dizaines de femmes dormant sur le sol dur.

Kara Tepe est considéré comme le « bon » camp de Lesbos. Les réfugiés sont autorisés à aller et venir comme bon leur semble, et il y a des toilettes et des douches avec des portes réservés aux femmes - des mesures simples qui renforcent le sentiment de sécurité chez les femmes réfugiées et peuvent aider à prévenir les violences sexuelles.

« Proies faciles  »

Les conditions sont nettement pires à Moria, un camp qui était encore fermé récemment, dirigé par l’armée et abritant actuellement plus de 3 000 personnes.

Jumana, une psychologue travaillant pour Humanity Crew, une organisation non gouvernementale soutenant les réfugiés à Lesbos, a parlé à Amnesty International des dangers particuliers auxquels les femmes réfugiées sont confrontées à Moria.

« Les femmes vivant dans les camps de réfugiés sont soumises à de fortes pressions et continuent à exprimer la crainte de ne pas être en sécurité, en raison de la mixité de la population dans les camps, du fait qu’hommes et femmes sont dans certains cas mélangés dans les tentes, et de l’insuffisance de l’éclairage la nuit  », a déclaré Jumana.

Une femme de 23 ans qui voyageait seule a raconté à Jumana comment elle s’est réveillée une nuit à Moria, terrifiée de découvrir qu’un inconnu s’était introduit dans sa tente.

Cette année, plus d’un cinquième des personnes réfugiées et en quête d’asile arrivées en Grèce sont des femmes, et plus d’un tiers sont des enfants,selon les Nations unies. Elles ne peuvent quitter les lieux avant d’avoir obtenu un rendez-vous avec les services traitant les demandes d’asile à Athènes, un processus pouvant s’avérer très long.

Les camps des îles grecques avaient initialement été établis comme des locaux de traitement des demandes, mais à la suite de l’accord Union européenne (UE)-Turquie, ils ont été transformés en véritables centres de détention. Si les autorités ont assoupli les règles concernant les allées et venues des personnes logeant sur place, des milliers de personnes restent entassées dans des tentes et des containers, la nourriture, y compris le lait maternisé, y est souvent en quantité limité, et les douches et les toilettes sont sales.

Dans le but de restreindre les flux de personnes réfugiées arrivant en Grèce, l’UE a conclu un accord d’« échange de réfugiés » avec la Turquie. Les réfugiés arrivant en Grèce en bateau risquent désormais d’être renvoyés en Turquie sans que leur demande d’asile n’ait donné lieu à un examen digne de ce nom. Amnesty International est farouchement opposée à cet accord, car la Turquie n’accorde pas aux réfugiés tous les droits et les mesures de protection auxquels ils peuvent prétendre.

«  Des hommes se battent et nous nous enfuyons  »

Mais les structures situées sur les îles grecques continuent à rencontrer des difficultés, dépassées par l’ampleur de la tâche et manquant de ressources.

Le manque de nourriture et d’installations, et les tensions dues aux conditions et au manque d’information ont débouché sur des explosions de violence.

Dans un des pires cas, durant la nuit du 1er au 2 juin, une grave altercation a opposé plusieurs personnes détenues à Moria, et une grande partie du camp a été incendiée. Des femmes et des hommes, y compris des familles avec de jeunes enfants, ont dû fuir et passer la nuit dans des champs voisins ou dans la ville de Mytilene, à plusieurs kilomètres de là. Beaucoup de ceux qui sont revenus sur place ont découvert que l’incendie avait détruit leur tente et leurs rares possessions.

Sans protection et effrayés

Des femmes comme des hommes ont dit à Amnesty International qu’ils éprouvent souvent un sentiment d’insécurité dans les camps. Des bagarres éclatent dans les queues pour la nourriture et la police ne fait pas grand chose pour protéger qui que ce soit. Les autorités grecques doivent en faire beaucoup plus pour garantir la sécurité de tous dans les camps.

« Des hommes se saoulent et il n’y a pas de sécurité. La police n’interviendra et ne nous protègera jamais. Nous avons également peur que quelque chose arrive à nos enfants », a déclaré une Syrienne de 23 ans accompagnée de trois jeunes enfants.

Une Irakienne de 29 ans bloquée au camp de Kara Tepe avec ses trois enfants essaie de rejoindre son mari, qui est arrivé à se rendre en Allemagne.

« L’autre nuit, un homme a ouvert la porte et a essayé d’entrer dans notre chambre », a-t-elle expliqué.

Une autre femme mère d’un bébé de six mois a ajouté qu’elles avaient trop peur d’aller aux toilettes la nuit. « Nous restons en groupes et ne nous endormons que lorsque nous sommes vraiment fatiguées. Pendant la nuit, nous ne quittons pas nos tentes et nos enfants sont obligés de faire leurs besoins à l’intérieur  », a-t-elle dit.

Un des camps les plus tristement célèbres de Grèce est connu sous le nom de VIAL, sur l’île de Chios.

Là aussi, des bagarres éclatent souvent. « Des hommes se battent, et nous courons nous cacher. Les policiers se contentent de rire et refusent d’aider  », a indiqué à Amnesty International une femme vivant sur place.

La vie dans les camps est devenue une épreuve de plus pour celles et ceux qui ont subi la torture ou portent dans leur chair des éclats de balle ou d’obus. La quasi-totalité de ces personnes ont perdu un être cher dans un conflit.

Et ce sont souvent les femmes et les filles qui ressentent l’obligation de prendre soin des autres.

Une adolescente afghane est venue à la rencontre d’Amnesty International au camp de VIAL, et a dit : «  J’ai 16 ans et je suis ici avec mon petit frère et ma mère, qui est aveugle. Comment suis-je censée m’occuper d’eux ici ?  »

La peur, le désespoir, l’absence d’information et les très mauvaises conditions de vie font partie des causes sous-jacentes des tensions et des risques réels encourus par Shirin et des milliers d’autres femmes, hommes et enfants, désormais bloqués sur les îles grecques depuis l’accord entre l’UE et la Turquie.

La Grèce et ses partenaires au sein de l’UE sont responsables de ces souffrances. Au lieu de déshumaniser ces personnes qui tentent désespérément de se mettre en sécurité et de construire une vie meilleure, il est temps que l’Europe leur offre une protection.

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