Un triste rappel de la culture d’impunité

Netsanet Belay revient sur le massacre commis il y a deux ans dans le nord-est du Nigeria

« Les soldats ont demandé aux gens de se coucher sur le sol […] quelques minutes après ils ont commencé à tirer [sur eux]. J’ai compté 198 tués à ce poste de contrôle  », a dit à Amnesty International un homme qui se souvient de l’opération de ratissage des détenus qui s’étaient échappés de la caserne de Giwa il y a exactement deux ans.

Ces tués font partie des plus de 640 hommes et garçons massacrés par l’armée nigériane le 14 mars 2014. La plupart d’entre eux ont été abattus, mais certains ont été égorgés, et leurs corps ont ensuite été jetés dans des fosses communes.

Deux ans après les faits, pas une personne n’a été amenée à rendre des comptes pour ces atrocités.

Ce carnage a eu lieu à Maiduguri, une ville du nord-est du pays, en mars 2014 à la suite de l’évasion de détenus provoquée par l’attaque de la caserne de Giwa par le groupe Boko Haram. Des centaines de détenus ont alors été relâchés. Les combattants se sont enfuis avec les détenus qui voulaient rejoindre leur groupe.

L’armée nigériane a réagi en commettant des meurtres. Un grand nombre des 1 600 détenus qui se trouvaient à Giwa avaient été arrêtés lors de prétendues opérations de « filtrage » : des communautés entières avaient été rassemblées et des jeunes hommes désignés sans que rien ne permette d’établir qu’ils avaient commis une infraction. Ils ont été détenus sans inculpation ni jugement pendant des mois voire des années.

Dans plusieurs endroits de la ville, des habitants ont tenté d’apporter une aide à ces hommes et ces garçons qui souffraient de la faim, de la soif et qui étaient affaiblis. Une milice appelée Force d’intervention conjointe civile et des soldats sont alors arrivés et les ont de nouveau arrêtés. Après s’être emparés d’eux, les soldats les ont froidement abattus dans la rue ou les ont emmenés en dehors de la ville pour les tuer. Les corps ont été enterrés dans plusieurs fosses communes.

Malgré les vidéos et les photographies prouvant ces agissements, les très nombreux récits de témoins réunis par Amnesty International et les images satellites de fosses communes présumées, aucune enquête indépendante n’a été menée sur ces homicides. Les proches des victimes n’ont jamais été officiellement informés de ce qui leur était arrivé et les preuves des homicides sont toujours dispersées à travers la ville.

Un habitant a récemment expliqué à d’Amnesty International : « Personne n’est venu nettoyer cet endroit. Le sang a séché. Les pluies sont arrivées. Les enfants jouaient avec les douilles des balles. Aujourd’hui encore, si vous creusez vous allez trouver des douilles de balles. »

Le massacre de Giwa et le fait que personne n’ait été amené à rendre des comptes pour ces homicides sont un triste rappel de la culture d’impunité qui persiste au Nigeria pour les violations des droits humains.

Les agissements terrifiants de Boko Haram doivent cesser et les auteurs de crimes de droit international qui appartiennent à ce groupe doivent être sanctionnés. Mais les atrocités commises par Boko Haram ne peuvent pas et ne doivent pas être utilisées pour justifier les agissements illégaux et les violations des droits humains perpétrés par l’armée nigériane.

Un rapport publié l’an dernier par Amnesty International présente des informations sur des crimes de guerre commis massivement par l’armée nigériane. L’organisation a établi qu’entre 2012 et 2014 l’armée a exécuté de façon extrajudiciaire au moins 1 200 hommes et garçons, et que plus de 7 000 personnes sont mortes derrière les barreaux depuis mars 2011 en raison de conditions de détention effroyables. Des détenus ont expliqué avoir eu tellement soif qu’ils ont dû boire de l’urine, et qu’ils ont vu des codétenus mourir après que leurs cellules ont été enfumées avec des produits chimiques utilisés pour tuer les moustiques.

Quand ces terribles informations ont été rendues publiques, le président Muhammadu Buhari s’est alors engagé à ouvrir des enquêtes, déclarant : « Ce gouvernement ne négligera aucun effort pour promouvoir l’état de droit, et il s’occupera de tous les cas d’atteintes aux droits humains. »

Dans ces conditions, comment se fait-il que deux années se soient écoulées sans que les familles des hommes et des garçons tués à Giwa aient obtenu une réponse ? Pourquoi les crimes de guerre restent-ils impunis ?

Cette question ne s’adresse pas seulement au Nigeria.

La Cour pénale internationale (CPI) a annoncé en novembre de l’an dernier qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve de crimes relevant de sa compétence pour justifier l’ouverture d’une enquête. C’est au Nigeria qu’incombe cette responsabilité. Toutefois, si le gouvernement ne se montre pas disposé à enquêter ou s’il n’est pas à même de le faire, la CPI devra alors intervenir.

De plus, les partenaires internationaux du Nigeria ont besoin de se pencher sur les conséquences de leur soutien militaire. De nombreux pays, parmi lesquels les États-Unis et le Royaume-Uni, fournissent des armes, une formation et des conseils à l’armée nigériane. Tout État qui apporte une telle assistance doit veiller avec la diligence requise à parer tout risque substantiel de faciliter de graves violations du droit international humanitaire ou relatif aux droits humains.
La communauté internationale ne doit pas négliger cette responsabilité.

Amnesty International a à de nombreuses reprises exhorté le gouvernement nigérian à enquêter sur les allégations de crimes de guerre, mais après neuf mois à la tête du pays, le président Buhari n’a pas encore montré de signe d’une volonté d’aller au-delà des simples paroles quant à ces allégations.

Les auteurs des massacres – non seulement de celui de Giwa mais aussi de ceux commis à Bama, à Damataru, à Baga, à Potiskum, etc., la liste est longue – sont toujours en liberté.

Et pendant ce temps-là, comme les réformes urgentes qui sont nécessaires ne sont pas adoptées, l’armée nigériane continue d’utiliser une force meurtrière injustifiée contre des civils innocents. À Giwa comme à Zaria, dans le nord-est comme dans le sud-est, le temps est venu de mettre fin au cycle de l’impunité au Nigeria.

Afin de commémorer le massacre de la caserne de Giwa, les chargés de campagne d’Amnesty International se rassembleront devant les ambassades du Nigeria à travers le monde pour demander une enquête indépendante et des poursuites judiciaires.

Cet appel est relayé par les proches des 640 tués de Giwa. Beaucoup d’entre eux ont à présent accepté le fait que ces personnes sont mortes. Ce qu’ils ont beaucoup plus de mal à accepter, c’est de ne pas savoir où se trouvent les corps de leurs fils, maris et pères ni qui sont les responsables de leur mort.

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