Un énorme pas en arrière pour les droits fondamentaux

Dernières modifications législatives

L’année 2016 a vu l’adoption de plusieurs textes de loi qui limitent encore les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Le 7 juillet, le président a approuvé la « loi Iarovaïa », un ensemble de modifications de la législation relative à la lutte contre l’extrémisme. Aux termes de ces modifications, toute forme d’activité missionnaire est interdite hormis pour les institutions religieuses spécifiquement désignées. Les opérateurs téléphoniques et fournisseurs d’accès à Internet sont tenus de conserver les enregistrements de toutes les communications pour une durée de six mois et les métadonnées pendant trois ans. La peine maximale encourue pour extrémisme passe de quatre à huit ans d’emprisonnement et encourager autrui à prendre part à de fortes perturbations sera un crime passible de cinq à 10 ans de prison.

En décembre 2015, une loi a été adoptée portant modification de la Loi relative à la Cour constitutionnelle, qui confère à la Cour le pouvoir de déclarer non exécutoire une décision internationale (y compris les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, CEDH). Ces modifications ont été appliquées pour la première fois lorsque le ministère de la Justice s’est adressé à la Cour constitutionnelle pour déterminer si la Russie pouvait mettre en œuvre l’arrêt rendu par la CEDH en l’affaire Anchugov et Gladkov c. Russie, concernant le droit de vote des prisonniers. Le 19 avril, la Cour constitutionnelle a statué que la mise en œuvre de cet arrêt serait contraire à la Constitution. La Commission de Venise a estimé que les modifications entraient en conflit avec les obligations incombant à la Russie au titre de la Convention européenne des droits de l’homme, car tous les États ont l’obligation de trouver des moyens appropriés pour mettre en œuvre les décisions de la CEDH, y compris en modifiant le cadre constitutionnel le cas échéant.

Liberté de réunion pacifique

Le droit à la liberté de réunion pacifique demeure sévèrement restreint. La loi sur les réunions, rassemblements, manifestations, marches et piquets de grève, modifiée en juin 2012 à la suite des manifestations de la place Bolotnaïa en vue d’y intégrer des sanctions plus lourdes et de répondre à de nouvelles formes de contestation publique, a été modifiée en mars, afin d’interdire les cortèges de véhicules « non autorisés ». Fin août, cette nouvelle disposition a été invoquée pour poursuivre un groupe de paysans du district du Kouban, dans le sud du pays, qui se rendaient à Moscou en tracteur et en voiture pour protester contre l’accaparement des terres par de grands groupes agricoles. Le responsable du mouvement des « Agriculteurs polis », Alexeï Voltchenko, a été condamné à 10 jours de détention administrative le 26 août pour avoir pris part à un rassemblement public « non autorisé ». En fait, une rencontre organisée entre les paysans et le représentant présidentiel plénipotentiaire régional a été considérée comme une réunion « non autorisée » par la police, ce qui a conduit à la condamnation des participants à des amendes et parfois à de courtes périodes de détention administrative.

Ildar Dadine, manifestant pacifique, est le premier citoyen à être poursuivi pénalement pour avoir pris part à une manifestation au titre de l’article 212.1 du Code pénal adopté en juillet 2014, qui prévoit des poursuites pénales contre toute personne qui bafoue la loi sur les rassemblements publics et est condamnée pour ce motif à une sanction administrative plus de deux fois en 180 jours. Le 7 décembre 2015, il a été condamné à trois années d’emprisonnement, et le 31 mars 2016, sa peine a été ramenée à deux ans et demi en appel.

Liberté d’association

Début septembre 2016, plus d’une centaine d’organisations avaient été inscrites au registre des « agents de l’étranger » et sept organisations étrangères avaient été déclarées « indésirables ». Elles sont désormais illégales en Fédération de Russie et ont été contraintes de cesser toutes leurs activités. Pour la plupart, elles finançaient le travail d’ONG en Russie et, en raison de leur statut d’« indésirable », certaines ONG ont perdu leur source de financement.

Valentina Tcherevatenko est la fondatrice et la présidente de l’Alliance des femmes du Don, ONG éminente et respectée qui travaille sur un large éventail de questions, des droits humains à l’aide humanitaire en passant par la consolidation de la paix, dans l’oblast de Rostov et les régions alentour, notamment le Caucase du Nord. Le 24 juin, elle a été informée qu’elle faisait l’objet d’une enquête car elle est considérée comme suspecte au titre de l’article 330.1 du Code pénal, qui rend passible de deux années de prison le fait de « se soustraire systématiquement aux obligations imposées par la loi aux organisations à but non lucratif exerçant les fonctions d’un agent de l’étranger ». C’est la première fois que l’article 330.1 est invoqué depuis son adoption en 2012.

Début octobre, le ministère russe de la Justice a inscrit la Société internationale d’histoire et de défense des droits de l’homme Memorial sur la liste des agents de l’étranger. Le Centre « Mémorial » de défense des droits humains y figure depuis 2014.

Liberté d’expression

L’affaire impliquant Natalia Charina, directrice de la Bibliothèque de littérature ukrainienne, un organisme public situé à Moscou, était toujours en cours début septembre. Elle a été placée en détention le 28 octobre 2015, au titre de l’article 282 du Code pénal, parce que plusieurs ouvrages classés « extrémistes » auraient été retrouvés dans une pile de livres qui n’étaient pas indexés par la bibliothèque. Le 15 août, le parquet général de Moscou a refusé de signer l’acte d’inculpation de Natalia Charina et l’affaire a été renvoyée pour complément d’enquête. Cependant, elle se trouve toujours en résidence surveillée et Amnesty International la considère comme une prisonnière d’opinion.

Caucase du Nord

Les défenseurs des droits humains continuent d’être exposés en raison de leurs activités dans le Caucase du Nord. Le 9 mars, deux membres du Groupe mobile conjoint (JMG), six journalistes de médias russes, norvégiens et suédois, ainsi que leur chauffeur, ont été attaqués alors qu’ils se rendaient en Tchétchénie depuis l’Ossétie du Nord. Vers 19 heures, leur minibus a été bloqué par quatre voitures non loin du poste de contrôle à la frontière administrative entre l’Ingouchie et la Tchétchénie. Une vingtaine d’hommes masqués sont sortis des voitures, armés de battes de baseball et de matraques, puis ont fait sortir de force les passagers du minibus, les ont violemment frappés, et ont mis le feu au véhicule. Les agresseurs ont crié des insultes et des menaces, traitant les défenseurs des droits humains et les journalistes de « défenseurs de terroristes ». Deux heures plus tard, le bureau du JMG en Ingouchie a été saccagé. Le 16 mars, le responsable du JMG, Igor Kaliapine, venait de se faire enregistrer à la réception d’un hôtel à Grozny lorsque le directeur de l’établissement lui a demandé de partir, au motif qu’il « n’aimait pas » le leader tchétchène Ramzan Kadirov. À la sortie de l’hôtel, Igor Kaliapine était attendu par une foule violente, qui l’a frappé à coups de poing et lui a lancé des œufs, des gâteaux, de la farine et du désinfectant vert vif.

Dans plusieurs cas, des personnes ont « disparu » en Tchétchénie pendant quelques temps, après avoir critiqué publiquement les autorités tchétchènes. Certaines ont réapparu après avoir présenté des excuses publiques pour leurs « erreurs » à Ramzan Kadirov, dirigeant tchétchène nommé par le Kremlin. On est toujours sans nouvelles d’autres victimes de disparitions forcées présumées en Tchétchénie, et elles sont probablement mortes. Au cours des années précédentes également, de nombreux cas de disparitions forcées ont été recensés en Tchétchénie, sans qu’aucun ne fasse l’objet d’une enquête sérieuse. Khoussein Betelgueriev, célèbre auteur-compositeur-interprète, a été emmené par deux hommes en uniforme qui se sont présentés à son domicile, à Grozny, le 31 mars 2016. Il est rentré chez lui le 11 avril, semble-t-il en piètre condition physique, et il y a de bonnes raisons de croire qu’il a subi des actes de torture et des mauvais traitements.

Les dirigeants tchétchènes exercent des pressions directes sur le système judiciaire. Le 5 mai, Ramzan Kadirov a convoqué tous les juges et a contraint quatre d’entre eux à démissionner. Une enquête du journal indépendant Novaïa Gazeta a révélé plusieurs cas dans lesquels des juges et des membres de jurys en Tchétchénie ont reçu l’ordre direct de prononcer une condamnation. Ceux qui ont refusé de s’y plier ont été la cible de graves représailles.

Procès iniques et torture

Stanislav Klykh, ressortissant ukrainien, a été condamné par la Cour suprême de Tchétchénie à 20 ans d’emprisonnement à l’issue d’un procès inique le 26 mai, aux côtés de Mykola Karpyouk, pour avoir soi-disant fait partie d’un groupe de combattants et tué 30 soldats russes pendant le conflit en Tchétchénie entre 1994 et 1996. Les deux hommes affirment qu’ils ont été torturés à la suite de leur arrestation en août 2014 et en mars 2014 respectivement. Pendant plusieurs mois, leurs avocats n’ont pas été autorisés à les rencontrer et les informations quant à l’endroit où se trouvaient leurs clients ne leur ont pas été communiquées. Stanislav Klykh, qui n’a pas d’antécédent de maladie mentale, est apparu gravement perturbé pendant toute la durée du procès qui s’est ouvert en octobre 2015. L’avocat de Mykola Karpyouk a affirmé que des informations capitales pour la défense qui étayaient l’alibi de son client ont été écartées du dossier et que le juge a refusé que les témoins soient interrogés en Ukraine.

Renvois vers la torture

La Russie continue de renvoyer des demandeurs d’asile, des réfugiés et des travailleurs migrants en Ouzbékistan et vers d’autres destinations, malgré les risques de torture et de mauvais traitements.

Le 1er juillet 2016, Olim Otchilov, un demandeur d’asile ouzbek âgé de 27 ans, a été renvoyé de force en Ouzbékistan depuis la Russie, ce qui est manifestement contraire aux mesures provisoires recommandées par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le 28 juin 2016, la Cour européenne a indiqué des mesures provisoires au titre de l’article 39 du règlement de la Cour sur le cas d’Olim Otchilov afin d’empêcher son renvoi forcé vers l’Ouzbékistan, où il risquait d’être torturé.

Crimée

Après l’occupation et l’annexion illégale de la Crimée en 2014, les lois et pratiques russes en matière de droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association ont été pleinement étendues à ce territoire, où la situation des droits humains s’est gravement détériorée.

Plusieurs cas de disparitions forcées établies et présumées ont également été recensés en Crimée, visant notamment des Tatars de Crimée. Aucun de ces cas n’a fait l’objet d’une enquête sérieuse. Pourtant, dans certains cas, des éléments solides pointaient du doigt des paramilitaires pro-Russes appartenant aux « forces d’autodéfense de Crimée ».

Amnesty International appelle les autorités russes à :

• garantir le droit à la liberté de réunion pacifique de toutes les personnes relevant de leur juridiction sans discrimination, conformément au droit international relatif aux droits humains, aux normes en la matière, et à la Constitution russe, et en particulier abolir l’article 212.1 du Code pénal, qui prévoit des poursuites pénales contre toute personne qui enfreint la loi sur les rassemblements publics et est condamnée pour ce motif à une sanction administrative plus de deux fois en 180 jours ;
• réviser la loi relative à la lutte contre l’extrémisme à la lumière des normes internationales, afin de veiller à ce qu’elle ne piétine pas le droit à la liberté d’expression ;
• prendre toutes les mesures nécessaires pour que la Loi relative aux « agents de l’étranger » soit abrogée et que les ONG en Russie soient en mesure de faire leur travail sans entrave, harcèlement, stigmatisation ni représailles ;
• libérer tous les prisonniers d’opinion, notamment Ildar Dadine et Natalia Charina ;
• abroger l’article 212.1 du Code pénal, qui érige la contestation pacifique en infraction ;
• abroger l’article 330.1 du Code pénal, qui criminalise les ONG qui ne se plient pas à la loi sur les « agents de l’étranger » et mettre un terme à la procédure pénale engagée contre Valentina Tcherevatenko ;
• faire en sorte qu’aucune personne relevant de la juridiction de la Fédération de Russie ne soit renvoyée, par le biais d’une extradition ou de tout autre transfert forcé, vers un pays, notamment l’Ouzbékistan, où elle risquerait d’être victime d’actes de torture ou de mauvais traitements, d’être jugée dans le cadre d’un procès inique ou de subir de graves violations des droits humains ;
• mettre pleinement en œuvre les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et abroger la Loi fédérale 7-FKZ « portant modification de la Loi constitutionnelle fédérale sur la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie », promulguée le 15 décembre 2015, qui confère à la Cour constitutionnelle russe le pouvoir de déterminer, sur demande du président ou du gouvernement fédéral, si une décision d’un « organe international pour la protection des droits humains et des libertés », tel que la CEDH, est contraire à la Constitution russe et donc « non exécutoire » ;
• reprendre la coopération avec l’Assemblée parlementaire.

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