Timor-Leste. Massacre de Santa Cruz : 20 ans après, justice n’a toujours pas été rendue

Amnesty International appelle le gouvernement du Timor-Leste et de l’Indonésie à rendre justice aux victimes du massacre de Santa Cruz, qui s’est déroulé il y a 20 ans à Dili, la capitale timoraise. Le matin du 12 novembre 1991, les forces de sécurité indonésiennes avaient réprimé dans la violence une procession pacifique rassemblant quelque 3 000 Timorais dans le cimetière de Santa Cruz, à Dili.

Les gouvernements des deux pays doivent enquêter sur ces faits et traduire en justice ceux qui, au cours de cette marche pacifique, se sont livrés à des homicides illégaux, des disparitions forcées, un usage excessif de la force et d’autres violations des droits humains.

Le fait que, 20 ans plus tard, tous les responsables présumés n’aient pas été amenés à rendre compte de leurs actes illustre un problème plus vaste : l’impunité dont bénéficient les auteurs de crimes relevant du droit international et d’autres violations des droits humains perpétrés pendant l’occupation indonésienne du Timor-Leste (alors appelé Timor oriental), entre 1975 et 1999.

Le jour du massacre, de nombreux Timorais avaient assisté tôt le matin à une messe à la mémoire de Sebastião Gomes Rangel, qui aurait été tué par les forces de sécurité indonésiennes le 28 octobre 1991. Alors que la procession s’acheminait vers le cimetière, des banderoles et des drapeaux indépendantistes ont été brandis. Quelques minutes après l’arrivée des manifestants au cimetière, les forces de sécurité ont ouvert le feu, sans sommation.

D’après les récits de témoins oculaires recueillis par Amnesty International immédiatement après les faits, certains soldats ont tiré en l’air et d’autres ont visé la foule. Le fait que les participants aient été si nombreux et que le cimetière soit entouré de murs rendait la fuite difficile mais les tirs ont continué alors même que les gens tentaient de s’échapper. On pense que certains ont reçu des balles dans le dos alors qu’ils couraient pour s’enfuir. De nombreux manifestants ont été abattus ou blessés par balle. Des centaines de personnes se sont vu infliger de graves blessures au cours de la fusillade.

Dans un rapport publié en 1994, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires indique que des soldats de l’armée indonésienne ont commis des homicides au cours cette intervention, qui constituait « opération militaire planifiée destinée à étouffer l’expression publique d’une opposition politique d’une manière qui n’était pas conforme aux normes internationales des droits de l’homme ».

On ignore toujours le nombre exact de personnes tuées, disparues ou blessées pendant ou immédiatement après le massacre. Toutefois, des estimations font état de plus de 200 morts ou disparus, et d’environ 400 blessés. Vingt ans plus tard, les appels à la justice n’ont toujours pas été entendus et peu d’efforts ont été faits pour amener les responsables présumés à rendre compte de leurs actes.

En 2001, le gouvernement timorais a créé la Commission d’accueil, de recherche de la vérité et de réconciliation (Comissão de Acolhimento, Verdade e Reconciliação, CAVR) et lui a donné pour mission d’établir la vérité et d’enquêter sur les violations des droits humains commises entre 1974 et 1999. Dans son rapport publié en 2005, la CAVR recommandait l’ouverture d’une enquête sur les crimes relevant du droit international commis entre 1975 et 1999, y compris sur le massacre de Santa Cruz, et l’engagement de poursuites à l’encontre des auteurs présumés de ces actes. D’après la CAVR, malgré l’existence d’éléments prouvant l’implication directe de 72 militaires dans le massacre, seuls dix d’entre eux ont été jugés à ce jour et condamnés par des tribunaux militaires à des peines allant de huit à 18 mois de prison. La commission recommandait également la mise en place de mesures visant à découvrir ce qu’il est advenu des personnes qui ont disparu et le lieu où elles se trouvent, ainsi qu’à apporter réparation aux victimes.

Amnesty International prie vivement les autorités timoraises et indonésiennes à ordonner dans les plus brefs délais l’ouverture d’une enquête indépendante, impartiale et efficace sur le massacre perpétré à Santa Cruz le 12 novembre 1991 ; cette enquête doit s’inscrire dans le cadre d’investigations plus larges menées sur les graves crimes commis entre 1975 et 1999. Les autorités des deux pays doivent également amener les responsables présumés à répondre de leurs actes devant la justice, dans le cadre de procès équitables excluant le recours à la peine de mort, et veiller à ce que les victimes reçoivent pleine et entière réparation.

La grande majorité des personnes accusées de violations des droits humains auraient trouvé refuge en Indonésie. Aussi, Amnesty International engage-t-elle les autorités indonésiennes à faire preuve d’une coopération totale dans le cadre des enquêtes sur les crimes commis au Timor-Leste entre 1975 et 1999 et des poursuites judiciaires à l’encontre de leurs auteurs présumés, notamment en concluant avec le Timor-Leste des accords d’extradition et d’entraide juridique.

Amnesty International appelle une nouvelle fois le Conseil de sécurité des Nations unies à prendre des mesures immédiates pour établir un plan global à long terme visant à mettre fin à l’impunité dont bénéficient les auteurs de ces crimes. Dans le cadre de ce plan, le Conseil de sécurité doit notamment instituer un tribunal pénal international ayant compétence pour juger tous les crimes relevant du droit international commis au Timor-Leste entre 1975 et 1999.

En 2005, une commission d’experts mise en place par les Nations unies a recommandé au Conseil de sécurité d’adopter, en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies, une résolution sur la création d’un tribunal pénal international ad hoc pour le Timor-Leste, si aucune véritable initiative n’était prise pour demander des comptes aux responsables présumés des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre perpétrés au Timor-Leste. Six ans plus tard, ces initiatives n’ont toujours pas vu le jour.

Amnesty International engage également le gouvernement du Timor-Leste à mettre en œuvre les recommandations de la CAVR portant sur la création d’un registre des personnes tuées ou disparues entre 1975 et 1999, et sur l’ouverture, conjointement avec le gouvernement indonésien, d’enquêtes systématiques destinées à établir le sort des personnes portées disparues et le lieu où elles se trouvent.

Amnesty International appelle en outre les gouvernements timorais et indonésien à ratifier, dès que possible, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, à intégrer les dispositions de ce traité dans la législation nationale et à les mettre en œuvre dans la pratique.

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