Communiqué de presse

Royaume-Uni. La menace d’un procès incite les autorités à examiner des allégations faisant état d’une entente entre entreprises

Il faut que les autorités britanniques ouvrent une information judiciaire, qui n’a que trop tardé, sur le rôle joué par une entreprise britannique dans l’un des pires cas de déversements de déchets toxiques de la décennie écoulée, a déclaré Amnesty International jeudi 20 novembre après que l’Agence environnementale britannique a finalement accepté d’examiner des éléments de preuve soumis par l’organisation.

La perspective d’une action en justice a poussé l’Agence à revenir sur son précédent refus d’examiner un mémoire faisant valoir que l’entreprise Trafigura Limited, établie au Royaume-Uni, a pu être complice d’un déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire.

Les faits, datant d’août 2006, ont provoqué une catastrophe environnementale et sanitaire à Abidjan : au moins 15 personnes seraient mortes, plus de 100 000 ont sollicité une assistance médicale en urgence, et la contamination reste d’actualité malgré une vaste opération de nettoyage.

«  Refuser d’enquêter sur le rôle de Trafigura dans une infraction qui s’est avérée dévastatrice c’est faire fi des obligations internationales du Royaume-Uni en matière de droits humains. L’absence criante de dissuasion donne le feu vert aux entreprises enregistrées au Royaume-Uni pour commettre de graves abus à l’étranger », a déclaré Audrey Gaughran directrice du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.

« Les systèmes de justice sont terriblement mal préparés à demander aux entreprises en activité dans plusieurs pays de rendre des comptes lorsqu’elles commettent des abus. Aucune entreprise ne doit être au-dessus des lois. L’Agence environnementale peut aider à changer cela, en ouvrant une enquête exhaustive s’appuyant sur les éléments de preuve que nous avons fournis il y a plusieurs mois.  »

Le 17 mars 2014, Amnesty International a envoyé un mémoire détaillé au parquet et à la police métropolitaine au Royaume-Uni, en demandant l’ouverture d’une information judiciaire afin d’établir le rôle joué par Trafigura Limited dans la catastrophe de 2006. Plusieurs directeurs et employés de Trafigura au Royaume-Uni ont été responsables des opérations ayant mené au déversement de déchets dangereux dans quelque 18 sites aux alentours d’Abidjan, notamment dans une décharge proche d’un quartier résidentiel pauvre.

Ce mémoire contient des éléments de preuve substantiels indiquant qu’il est possible que les actions de Trafigura et de son personnel au Royaume-Uni aient constitué une entente illégale avec d’autres entreprises dans le but de décharger ces déchets à l’étranger, en violation de la loi pénale britannique de 1977.

«  Nous avons fourni des éléments de preuve attestant qu’il est possible qu’une entreprise britannique ait pris part à une infraction grave au Royaume-Uni qui a eu des conséquences dévastatrices pour des dizaines de milliers de personnes en Côte d’Ivoire. Et pourtant, ni l’entreprise ni un seul des individus impliqués n’ont eu à rendre de comptes au Royaume-Uni  », a déclaré Audrey Gaughran.

À ce jour, l’organisation n’a reçu aucune réponse de la part de la police métropolitaine. En avril, le parquet a transmis le mémoire de l’organisation à l’Agence environnementale, qui a répondu quelques mois plus tard en faisant part de son refus d’envisager une enquête.

C’est seulement quand Amnesty International a été sur le point de contester cette décision devant la Haute Cour du Royaume-Uni que l’Agence a accepté d’examiner les éléments de preuve. Elle doit décider d’ici au 19 décembre si elle compte mener une enquête approfondie sur Trafigura Limited.

« Nous nous réjouissons que l’Agence environnementale ait accepté de prendre connaissance des éléments de preuve que nous avons fournis. Toutefois, seule la menace d’une action en justice a décidé les autorités britanniques à prendre ce cas au sérieux. Bien que nous ayons fourni des éléments de preuve attestant une infraction grave, les autorités se sont renvoyé la balle, chacune niant être habilitée à agir », a déclaré Audrey Gaughran.

«  Si ce déversement de substances toxiques avait eu lieu au Royaume-Uni, cela aurait fait scandale au niveau national et international, et des mesures auraient été prises dans les meilleurs délais afin de traduire les responsables présumés en justice. Ce n’est pas parce que cette catastrophe évitable a ses origines au Royaume-Uni et a eu lieu en Afrique que les autorités britanniques peuvent s’exonérer de leur devoir d’enquête.  »

Complément d’information

Le 19 août 2006, des déchets toxiques ont été déversés dans 18 sites d’Abidjan (Côte d’Ivoire) et des alentours. Trafigura, entreprise multinationale de négoce de matières premières, a produit ces déchets à bord du Probo Koala, un navire marchand, lorsqu’elle a utilisé de la soude caustique pour « laver » un sous-produit du raffinage du pétrole, le naphta de cokéfaction.

Ce processus crée des déchets dangereux et nauséabonds dénommés « produits caustiques usés ». Les déchets se trouvant à bord du Probo Koala incluaient ces produits caustiques usés ainsi que le reste du naphta de cokéfaction. N’ayant pas évacué ces déchets en Europe en toute sécurité, Trafigura les a illégalement transportés en Côte d’Ivoire et a engagé une entreprise locale pour qu’elle s’en charge.

Trafigura affirme avoir cru que cette entreprise évacuerait les déchets légalement et en toute sécurité, mais les éléments fournis par Amnesty International aux autorités britanniques tendent à indiquer que Trafigura savait qu’ils seraient déversés. Bien que Trafigura ait su que ces déchets nécessitaient un traitement spécialisé avant d’être éliminés en toute sécurité, elle a payé cette entreprise un peu moins de 13 500 euros pour « décharger » les déchets dans une gigantesque décharge publique à ciel ouvert qui n’était absolument pas adaptée. Les termes de leur accord tenaient sur un document manuscrit d’un page qui ne faisait référence à aucune mesure de précaution devant être prise dans l’évacuation des déchets. Après le déversement de ceux-ci, Trafigura a demandé à cette entreprise d’établir une fausse facture pour un montant révisé beaucoup plus élevé, indiquant que la prestation coûtait plus de 79 000 euros.

Au lendemain du déversement, le matin du 20 août 2006, des dizaines de milliers de personnes se sont réveillées à travers Abidjan avec des nausées, des maux de tête, des difficultés respiratoires, des irritations aux yeux et des brûlures cutanées. Plus de 100 000 personnes ont sollicité des soins médicaux en urgence, et des opérations de nettoyage et de décontamination de grande ampleur ont été requises.

Les autorités ivoiriennes ont par ailleurs enregistré au moins 15 décès, mais on ignore le chiffre exact. On ne connaît pas non plus l’étendue de la pollution qui persiste ni l’impact sanitaire à long terme. Les résidents d’Abidjan continuent à demander justice. Le Programme des Nations unies pour l’environnement doit procéder à un audit environnemental des sites de déversement en début d’année 2015 pour évaluer les éventuels effets persistants.

En septembre 2012, Amnesty International et Greenpeace ont publié un rapport intitulé Une vérité toxique, qui fournissait des informations sur le rôle joué par Trafigura dans la production et le déversement de ces déchets toxiques.

Une des mesures recommandées par le rapport au gouvernement britannique était d’examiner les possibilités d’engager des poursuites judiciaires contre Trafigura Limited - la filiale implantée au Royaume-Uni de cette multinationale - et d’autres. Amnesty International Royaume-Uni a par ailleurs exhorté le procureur général à envisager d’ouvrir des poursuites contre cette entreprise. À la connaissance d’Amnesty International, les autorités britanniques n’ont pris aucune mesure pour enquêter sur ces allégations.

Diverses actions civiles ont été engagées contre Trafigura en Côte d’Ivoire. Plusieurs individus et entités ont par ailleurs été poursuivis aux Pays-Bas - notamment Trafigura Beheer BV, la société mère du groupe, enregistrée dans ce pays - mais seulement pour l’importation et l’exportation illégales de ces déchets, passés par Amsterdam.

Une action civile a été intentée au Royaume-Uni par quelque 30 000 victimes des déversements. Cette action a été réglée à l’amiable et Trafigura a payé 30 millions de livres sterling (37 millions d’euros) aux plaignants. Trafigura a également versé une indemnisation au gouvernement ivoirien. Cependant, en raison de fraudes et de l’instabilité politique en Côte d’Ivoire, une part considérable de ces fonds n’est jamais parvenue jusqu’aux victimes du déversement toxique.

À ce jour, Trafigura et ses représentants n’ont pas eu à répondre de leurs actes devant la justice pénale pour leur rôle présumé dans le déversement de déchets toxiques. L’entreprise a affirmé à de nombreuses reprises qu’elle n’était pas responsable du déversement et de ses répercussions.

Amnesty International a donné instruction au cabinet d’avocats Bindmans LLP et au cabinet d’avocats One Crown Office Row d’agir en son nom dans tout recours devant la Haute Cour.

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