Procès d’un militant pour la justice sociale

Le 7 mars, Yahia Ben Ammar, un Algérien qui milite en faveur de la justice sociale, comparaîtra devant une cour de justice à El Oued, dans le sud de l’Algérie.

Il est poursuivi pour des charges liées au fait qu’il a exercé son droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique au cours de manifestations pacifiques à la fin de l’année 2016.

Il est également accusé d’avoir insulté et agressé des policiers après son arrestation en janvier 2017, dans une affaire distincte. Il a indiqué que des policiers l’avaient soumis à des mauvais traitements en garde à vue à l’époque. Amnesty International craint que les charges d’« outrage » n’aient été forgées de toutes pièces pour le réduire au silence.

Yahia Ben Ammar, 31 ans, est le coordonnateur du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) de la wilaya (préfecture) d’El Oued. Il vit dans la ville de Debila, à une vingtaine de kilomètres au nord du chef-lieu de la wilaya, El Oued. Le 7 mars, il fera l’objet d’une procédure à la suite d’appels interjetés par l’accusation dans quatre affaires distinctes, qui doivent être examinées par la cour d’appel d’El Oued au cours d’une seule et même audience.

Pour ce qui est des trois premières affaires, il devra répondre d’« attroupement non armé » et d’incitation à un « attroupement non armé » en relation avec trois manifestations organisées à Debila fin 2016. Il avait été mis hors de cause en première instance dans ces trois affaires le 23 janvier, mais l’accusation a fait appel. Il devra également répondre d’« agression » et d’« outrage » envers des policiers qui l’ont arrêté en janvier 2017, dans le cadre d’une quatrième affaire. En première instance, le 18 janvier, il avait été acquitté des charges d’agression et condamné à six mois d’emprisonnement et à une amende pour avoir « outragé » les policiers, mais l’accusation a fait appel.

Amnesty International appelle les autorités algériennes à abandonner les charges d’« attroupement non armé » et d’incitation à un « attroupement non armé » qui avaient été retenues contre lui à la suite de manifestations pacifiques non autorisées en 2016, et à modifier les dispositions législatives qui restreignent indûment le droit à la liberté d’expression et de réunion.

Le 16 janvier 2017, alors qu’une manifestation était prévue à Debila, des policiers ont arrêté Yahia Ben Ammar à son arrivée sur les lieux de l’événement. Cette manifestation avait été organisée de façon à coïncider avec la venue dans la ville du ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, afin d’appeler les autorités algériennes à se pencher sur les revendications des manifestants en matière d’emploi et à reconnaître leurs titres fonciers traditionnels. En même temps, la police a également arrêté trois autres personnes, qu’elle a relâchées peu de temps après, alors que Yahia Ben Ammar, quant à lui, était maintenu en garde à vue. La police l’a détenu à Debila le premier jour et à El Oued le deuxième jour.

Après son arrestation, les policiers qui interrogeaient Yahia Ben Ammar lui ont demandé quels étaient ses liens avec des militants de premier plan du mouvement des chômeurs, comme Tahar Belabes et Rachid Aouine, a-t-il dit. Le lendemain, des policiers ont fouillé son domicile, saisissant un téléphone mobile, une carte SIM et un CD.

Yahia Ben Ammar a indiqué à Amnesty International que les deux policiers qui l’avaient arrêté l’avaient roué de coups et insulté pendant son transfert vers le poste de police de Debila, au poste de police de la ville, et qu’ils l’avaient menacé d’être condamné à une peine d’emprisonnement. Il a ajouté que les coups l’avaient laissé endolori mais sans lésions apparentes. Il a signalé ces brutalités policières au juge du tribunal de première instance de Debila, mais le tribunal n’a apparemment pas dûment pris en compte ses déclarations.

Il a été maintenu en garde à vue pendant deux jours jusqu’à la tenue de son procès, le 18 janvier, au tribunal de première instance de Debila. Au tribunal, on l’a informé que les deux policiers qui l’avaient arrêté avaient porté plainte contre lui, l’accusant d’avoir résisté violemment à son arrestation et de les avoir insultés, et qu’il était de ce fait poursuivi pour « agression » et « outrage » envers des fonctionnaires. Les policiers ont témoigné contre lui, affirmant qu’il avait tenté de les agresser pendant une fouille au corps au poste de police. Il a nié ces accusations, et son avocat a souligné l’absence de preuves matérielles établissant sa culpabilité. Le tribunal l’a mis hors de cause pour les charges d’agression, mais l’a déclaré coupable d’outrage envers les policiers et l’a condamné à six mois d’emprisonnement et à une amende de 100 000 dinars algériens (900 dollars environ), ainsi qu’à 50 000 dinars algériens (450 dollars environ) à verser au trésor public à titre d’indemnisation. L’accusation a fait appel du jugement, y compris de l’acquittement pour l’accusation d’agression.

Yahia Ben Ammar a également été jugé par le tribunal de première instance de Debila le 23 janvier, dans le cadre de trois autres affaires, pour participation à un « attroupement non armé » et incitation à un « attroupement non armé », en relation avec des manifestations pacifiques non autorisées qui se sont tenues dans cette ville fin 2016. La première a été organisée le 13 novembre devant l’agence locale pour l’emploi afin de réclamer des emplois, la deuxième le 28 novembre pour protester contre une décision d’expulsion et la troisième le 3 décembre devant un centre pour personnes handicapées. Cette dernière, prévue de façon à coïncider avec une visite dans la ville du gouverneur de la préfecture d’El Oued, visait à demander au gouverneur d’enquêter sur la corruption locale et de reconnaître les titres de propriété traditionnels des habitants en les inscrivant dans le cadastre. Le 23 janvier, le tribunal l’a acquitté dans ces trois affaires, mais l’accusation a fait appel des jugements.

L’audience pour les appels de l’accusation dans les quatre affaires avait initialement été fixée au 28 février, mais la cour a accepté de la reporter en attendant que l’accusé ait chargé un avocat de le défendre, et elle doit maintenant débuter le mardi 7 mars.

En vertu du droit algérien, les manifestations pacifiques non autorisées constituent une infraction pénale. La Loi 89-28 relative aux réunions et manifestations publiques, telle que modifiée en 1991 par la Loi 91-19, dispose en substance que les manifestations publiques sont sujettes à une autorisation préalable (articles 15 et 17) et que tout attroupement ayant lieu sans autorisation est illégal. L’article 97 du Code pénal érige en infraction toute incitation ou participation à de tels attroupements, au motif qu’ils « troublent l’ordre public ».

La pénalisation de la participation à une manifestation pacifique non autorisée est contraire aux normes internationales et au droit international relatifs aux droits humains, notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), au titre duquel l’Algérie est tenue de respecter, de protéger et de réaliser le droit de réunion pacifique.

En vertu de l’article 21 du PIDCP, les États parties ne peuvent imposer de restrictions à l’exercice de ce droit que s’il peut être démontré qu’elles sont nécessaires pour protéger des intérêts publics spécifiés, ou les droits d’autrui. Ces restrictions peuvent comprendre une obligation de notification préalable des autorités, mais pas une obligation d’autorisation préalable, comme l’a souligné le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d’association. Les dispositions prévoyant une déclaration préalable doivent comporter des exceptions pour les manifestations spontanées. Le non-respect de l’obligation de déclaration ne doit pas être sanctionné par une peine d’amende ou d’emprisonnement.

Le Code pénal (article 144) prévoit également une peine d’emprisonnement d’une durée allant jusqu’à deux ans et des amendes allant jusqu’à 500 000 dinars algériens (plus de 5 000 dollars) pour outrage à fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. En vertu du droit international et des normes internationales en matière de liberté d’expression, les représentants de l’État doivent davantage tolérer la critique que les simples citoyens. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, organe d’experts indépendants établi dans le cadre du PIDCP pour surveiller le respect par les États des obligations qui leur incombent en vertu de ce traité, a exprimé des inquiétudes au sujet des la législation des États relative au non-respect de l’autorité, a souligné que les États ne devaient pas interdire la critique à l’égard d’institutions publiques, et a expressément déclaré que l’emprisonnement ne constituait jamais une peine appropriée. Amnesty International estime que les lois qui rendent passibles de sanctions pénales l’outrage ou la diffamation sont contraires à la liberté d’expression et que ces questions doivent être traitées uniquement au civil.

Ces procédures ont lieu dans un contexte où des restrictions croissantes sont imposées aux manifestations pacifiques et à l’expression de critiques à l’égard des représentants de l’État et des politiques gouvernementales en Algérie, notamment sous la forme de poursuites contre ceux qui militent en faveur de la dissidence pacifique, en ligne comme hors ligne. Les modifications apportées à la Constitution en 2016 se sont avérées insuffisantes pour protéger la liberté de réunion et d’expression.

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