Offensive de Mossoul : les représailles des milices tribales sur les civils

Des combattants de la milice de la tribu Sabawi ont détenu illégalement, humilié publiquement et torturé ou maltraité des hommes et des adolescents dans les villages du sud-est de Mossoul qui ont été repris des mains du groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique ces derniers jours, a déclaré Amnesty International.

Des chercheurs de l’organisation sur le terrain en Irak ont interrogé des responsables locaux et des témoins, dont des villageois, qui ont raconté que les membres de la milice Mobilisation tribale Sabawi (Hashd al Ashairi) ont procédé à des attaques de représailles à titre punitif. Les habitants soupçonnés d’entretenir des liens avec l’EI ont été frappés à coups de barres métalliques et soumis à des décharges électriques. Certains ont été attachés au capot de véhicules et exhibés dans les rues ou enfermés dans des cages.

« Des éléments convaincants montrent que les membres de la milice tribale Sabawi ont commis des crimes relevant du droit international en infligeant des tortures et des mauvais traitements à des habitants du Qati al Sabawiin, à titre de représailles pour les crimes perpétrés par l’EI, a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe des recherches au bureau régional de Beyrouth d’Amnesty International.

« Il est évident que les combattants de l’EI soupçonnés d’avoir commis des crimes doivent rendre compte de leurs actes dans le cadre de procédures équitables, mais arrêter des villageois et leur infliger des humiliations publiques ou d’autres violations, notamment la torture, n’apportera nullement justice, vérité et réparation aux victimes des crimes de l’EI. »

Ces violations se sont déroulées à al Makuk, Tal al Shaeir et Douizat al Sufla, un groupe de villages situés sur la rive sud-est du Tigre, appelé Qati al Sabawiin (secteur de la tribu Sabawi). Selon des témoins, des membres de la milice Mobilisation tribale Sabawi ont embarqué sans mandat des hommes et des adolescents de ces villages.

L’un des villages concernés, al Makuk, a été repris à l’EI par les forces irakiennes le 20 octobre. Des témoins ont raconté à Amnesty International que les combattants de la tribu Sabawi sont entrés dans le village avant l’arrivée de l’armée irakienne, mais après le départ des combattants de l’EI, et qu’il n’y a donc pas eu d’affrontements armés. Selon des habitants, les combattants de la milice tribale, qui appartiennent à la même tribu que les villageois, ont commencé à rassembler les hommes et les adolescents dès leur arrivée.

D’après l’un des témoins, six membres de la milice (Hashd al-Ashairi) ont traîné « Ahmed » (son nom a été modifié pour des raisons de sécurité) dans la cour de sa maison et accusé son frère d’être un Daeshi – terme arabe familier désignant une personne affiliée à l’EI. Ils l’ont ensuite frappé violemment devant son épouse et ses enfants.

« Ils l’ont roué de coups de pied jusqu’à ce qu’il s’effondre et lui ont infligé des décharges de taser à trois reprises. Ils lui ont donné des coups de poing et l’ont frappé à coups de crosse de Kalachnikov, de baguettes métalliques et même de tuyau d’arrosage – les gros modèles utilisés pour l’agriculture », a raconté ce témoin. « Ahmed » était ensuite incapable de se relever.

« Ils n’avaient pas de commandant. Chaque combattant de Hashd avait sa vengeance personnelle à exercer... Ils ont fait le tour du village avec des hommes attachés aux capots de leurs voitures, en criant " Venez voir les Daeshi qui nous ont dénoncés mon père et moi " », ont raconté deux témoins.

Selon certains habitants, les miliciens étaient motivés par la vengeance pour la mort de proches tués par l’EI, ainsi que par des inimitiés de longue date sans rapport avec le conflit.

Une femme a raconté avoir vu des miliciens exhiber dans tout le village sur le capot de leur véhicule un membre présumé de l’EI, qui aurait été impliqué dans une tentative d’attentat à la bombe contre le domicile d’un représentant du gouvernement.

« Ils ont invité tout le monde à sortir voir le Daeshi… Son visage était en sang… J’avais trop peur pour le regarder », a-t-elle déclaré.

Un autre témoin, interrogé séparément, a corroboré ses dires. Il a expliqué que les miliciens, accompagnés des gardiens chargés d’assurer la sécurité du représentant de l’Etat visé par l’attentat, avaient frappé l’homme au visage à coups de câbles.

Tous les témoins interrogés ont évoqué une scène dans laquelle sept hommes et adolescents, âgés de 16 à 25 ans, ont été enfermés dans de grandes cages à poules, exposés à la vue de tous, au milieu d’un rond-point.

Un combattant de la Mobilisation tribale a demandé à chacun d’entre eux de sortir de la cage un par un, et leur disait : « Qu’est-ce que vous êtes ? Dites que vous êtes un animal, dites que vous êtes un âne », avant de les frapper et de les contraindre à monter à bord de véhicules.

Selon des témoins, le 21 octobre, des membres de la Mobilisation tribale ont rassemblé des dizaines d’hommes et d’adolescents sur une place publique à al Makuk et ont passé deux heures à égrener les noms des personnes « recherchées ». Au moins 14 hommes et adolescents dont les noms ont été cités ont été emmenés, les mains ligotées.

Selon des témoins, les miliciens ont procédé à des arrestations à toute heure du jour et de la nuit, même après l’arrivée le 22 octobre d’un grand convoi des forces armées irakiennes du Commandement des opérations de Ninive.

« Au lieu d’être exhibées à travers les rues, harcelées publiquement et humiliées en raison de leur appartenance à l’EI, les personnes soupçonnées d’avoir commis des atteintes aux droits humains doivent être remises aux autorités judiciaires et, s’il existe suffisamment de preuves recevables, jugées dans le respect du droit international, a déclaré Lynn Maalouf.

« Tous les détenus doivent être traités avec humanité et protégés contre la torture et les mauvais traitements. Seules les personnes légalement habilitées à détenir et interroger des suspects doivent être autorisées à le faire.  »

Parmi les habitants arrêtés, certains ont été retenus dans une école à Sidawa, l’un des villages du Qati al Sabawiin, avec des hommes et des adolescents de villages voisins. Un groupe de détenus a été remis aux forces armées irakiennes le 30 octobre. Selon des témoins, ils présentaient des marques de torture. D’autres seraient toujours détenus aux mains des combattants de la Mobilisation tribale dans des centres de détention non officiels, notamment des maisons abandonnées dans les villages du Qati al Sabawiin.

Par ailleurs, Amnesty International a reçu des informations faisant état de violations des droits humains imputables aux milices tribales Firsan Jbour, qui s’en sont prises à des villageois du sous-district d’al Choura, au sud de Mossoul. Des témoins ont déclaré que le 26 octobre, des miliciens postés à des ronds-points les ont accusés d’appartenir à Daesh, leur ont craché dessus et lancé des pierres, et ont menacé de tuer ou d’arrêter tous ceux qui ont des liens avec l’EI, alors qu’ils étaient conduits vers des zones plus sûres par les forces irakiennes.

« Ils tentaient de nous agripper dans les camions. Quelques-uns ont crié qu’on devrait tous être exécutés », a raconté un jeune homme de 17 ans.

« Les autorités irakiennes ne font pas grand-chose pour mettre un terme aux attaques de représailles ou enquêter sur les crimes imputables aux milices des Unités de mobilisation populaire, qui participent également à l’offensive contre Mossoul. De ce fait, on voit se développer une dangereuse culture de l’impunité, et les auteurs de ces attaques sentent qu’ils ont les coudées franches pour commettre des crimes et s’en sortir impunis, a déclaré Lynn Maalouf.

« Les autorités doivent maîtriser les combattants des milices tribales responsables et les déférer à la justice, en vue d’empêcher que ces crimes ne se répètent dans le cadre de l’offensive qui se poursuit à Mossoul. Les auteurs présumés de crimes doivent être relevés de leurs fonctions sans délai. »

Complément d’information

Les milices de la Mobilisation tribale, composées de combattants des tribus sunnites, jouent un rôle croissant dans la lutte contre l’EI et dans la sécurisation de leurs secteurs une fois qu’elles en ont repris le contrôle. Si elles sont bien moins puissantes que les Unités de mobilisation populaire, milices majoritairement chiites, certaines tribus au sein de la Mobilisation tribale ont également reçu le soutien des autorités gouvernementales.

Amnesty International a précédemment recensé des crimes et guerre et des violations des droits humains – enlèvements, exécutions extrajudiciaires et autres homicides illégaux, actes de torture et destruction d’habitations notamment – imputables aux Unités de mobilisation populaire.

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