Népal : Effacer les séquelles de la guerre – Quelles priorités pour une protection efficace des droits humains ?

Synthèse

À l’heure où les membres de la nouvelle Assemblée constituante népalaise s’apprêtent à prendre leurs fonctions, à la suite des élections du 10 avril, et dans l’attente de la formation d’un gouvernement de coalition d’ici quelques semaines, Amnesty International demande aux députés de respecter leurs promesses électorales concernant la création d’un « nouveau Népal », en saisissant l’occasion historique qui leur est offerte de placer la protection des droits humains au cœur de leur travail.

Jana Andolan, le mouvement populaire de masse d’avril 2006, a soulevé de grandes attentes en faveur d’un respect renouvelé des droits humains au Népal. Cependant, étant donné le climat d’impunité qui persiste dans le pays, ces attentes n’ont pas encore été satisfaites.

Amnesty International a conscience des défis économiques et sociaux considérables qui se présentent à la nouvelle Assemblée constituante et à la future coalition gouvernementale, mais elle considère qu’il est temps désormais de s’engager à faire bénéficier tout un chacun d’une protection efficace des droits humains au Népal.

S’appuyant sur les conclusions d’une visite approfondie et couvrant un champ très large effectuée en février et mars 2008, Amnesty International a défini des priorités sur lesquelles le futur gouvernement et l’Assemblée constituante sont invités à agir : l’obligation de rendre des comptes concernant les violations passées ; une réforme du secteur de la sécurité fondée sur le respect des droits humains ; la protection et l’intégration des minorités ; et des mesures urgentes pour mettre fin à la violence contre les femmes.

1. Il est temps pour le Népal de renouveler son engagement en faveur des droits humains

Le bon déroulement de l’élection des membres de l’Assemblée constituante est un jalon important pour le Népal. En étant chargée de rédiger une nouvelle Constitution, l’assemblée a la possibilité de garantir que l’évolution constitutionnelle au Népal ait pour objectif la réalisation des droits fondamentaux de tous les Népalais.

Amnesty International engage la nouvelle Assemblée constituante et le gouvernement à veiller à ce que :

• les femmes et les groupes marginalisés soient consultés pour l’élaboration de la Constitution ;

• la Constitution garantisse que la protection les droits humains est introduite dans le droit, les orientations politiques et les pratiques, notamment par le biais de la formation des agents de l’État, de l’établissement de mécanismes de suivi de l’application de ces droits et d’une coopération avec les organes chargés de ce suivi à l’échelle internationale.

2. Obligation de rendre des comptes pour les violations passées

Amnesty International demande aux membres de l’Assemblée de concevoir un plan d’action national concernant l’obligation de rendre des comptes, afin que la vérité soit connue, que la justice soit rendue et que des réparations soient accordées à toutes les victimes de violations des droits humains et d’atteintes au droit international humanitaire survenues pendant et après des années de conflit armé.

Le projet de loi actuel relatif à l’établissement d’une Commission vérité et réconciliation ne doit pas être soumis au Parlement tant qu’il ne sera pas conforme aux obligations du Népal aux termes du droit international. Amnesty International est vivement préoccupée par les initiatives visant à instaurer l’amnistie pour des violations graves des droits humains, perspective menaçant de renforcer l’impunité et de mettre à mal les droits des victimes. Le droit international proscrit clairement l’octroi d’amnisties dans les cas de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées.

L’Assemblée constituante a l’occasion d’élargir la consultation nationale relative à la création, au mandat et aux pouvoirs de la future Commission vérité et réconciliation. Il est nécessaire que la nouvelle assemblée écoute les groupes de victimes, qui ont établi que leur besoin le plus pressant était le suivant : que les auteurs de violations passées des droits humains soient tenus de rendre des comptes. Le risque demeure que, faute d’une vaste consultation nationale, les membres de la Commission vérité et réconciliation soient désignés et leur tâche définie sans la transparence et l’indépendance requises pour garantir un processus libre.

Amnesty International appelle la nouvelle Assemblée constituante et le gouvernement à :

• veiller à ce que la législation népalaise soit revue et modifiée de façon à permettre aux autorités nationales d’enquêter sur les crimes de droit international, tels que les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées, et d’engager des poursuites, dans le respect des normes internationales les plus strictes.

• accorder pleine réparation à toutes les victimes de graves violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains, sous forme de restitution, d’indemnisation et de réadaptation, assorties de garanties de non-répétition, conformément aux normes et au droit internationaux.

• faire en sorte que toute loi et tout règlement relatifs à la création d’une Commission vérité et réconciliation ne soient adoptés qu’à l’issue d’un processus complet de consultation de toutes les parties concernées : organisations de la société civile, népalaises et internationales ; victimes ; défenseurs des droits humains ; membres des minorités et des groupes vulnérables ; etc. Les différentes parties devraient pouvoir proposer des noms et procéder à une évaluation rigoureuse des compétences et de l’expérience de chacun des candidats envisagés ;

• veiller à ce que la loi portant création d’une Commission vérité et réconciliation ne prévoie pas d’amnistie pour les crimes internationaux qui permettraient aux auteurs de violences de se soustraire à la justice ;
• ratifier le Statut de la Cour pénale internationale sans délai.

3. Forces de sécurité et droits humains

L’Assemblée constituante doit procéder à une évaluation complète des forces de sécurité népalaise, afin de s’attaquer aux séquelles du conflit armé et aux causes des atteintes aux droits humains systématiques et généralisées.

Ce travail d’évaluation devrait garantir la stabilité de l’autorité des autorités civiles sur l’ensemble des forces de sécurité. Le futur des combattants des deux camps dans le cadre du conflit interne doit faire l’objet de discussions approfondies. Il y a actuellement deux armées au Népal : l’Armée népalaise et l’Armée populaire de libération (maoïste). Ayant toutes deux commis des atteintes aux droits humains pendant le conflit armé, il est urgent qu’elles soient tenues de rendre des comptes sous l’autorité d’un organe civil de surveillance.

La Force de police armée a été établie au début de l’année 2001 par l’État, qui l’a chargée des opérations anti-insurrectionnelles. La Force de police armée n’est pas suffisamment formée aux opérations de maintien de l’ordre, et il faudrait que son rôle fasse l’objet d’un examen minutieux. Les forces de sécurité, et en particulier la Force de police armée, ont eu recours à une force excessive lors des manifestations contre l’État qui se sont déroulées dans le Teraï en février 2008. Des délégués d’Amnesty International ont rencontré à Nepalgunj des groupes de victimes qui ont fait état des méthodes policières qu’ils ont observées lors d’une manifestation le 17 février 2008, au cours de laquelle au moins une personne a été tuée et 27 autres blessées lorsque la police a tiré à balles réelles sur la foule.

Les forces maoïstes englobent la Ligue de la jeunesse communiste. La Ligue fait office de système de justice parallèle ; selon certaines sources, elle serait également connue pour ses manœuvres d’intimidation visant les opposants politiques et ses représailles dirigées contre des journalistes.

En 2007, l’incapacité des institutions nationales, y compris la police, à protéger la vie et la sécurité des Népalais est devenue de plus en plus flagrante. Les nouveaux membres de l’Assemblée constituante doivent donner un degré de priorité élevé à l’amélioration des services de police népalais dans les domaines du recrutement, de la sélection et de la formation.

Les groupes marginalisés ont également revendiqué une meilleure représentation au sein de la police. Un accord passé entre les groupes issus de la communauté madhesi et le gouvernement en août 2007 a énoncé des principes selon lesquels la police devrait être représentative de la population selon certains critères clés comme l’origine ethnique, le sexe, la langue et la religion. Les minorités doivent être représentées de manière appropriée, et les personnes issues de ces groupes doivent être en mesure de poursuivre leur carrière en bénéficiant d’un traitement équitable et non discriminatoire. D’après Saferworld, au moment de la signature de l’Accord de paix global en novembre 2006, la police népalaise comptait environ 50 000 agents dont seuls 0,2 p. cent étaient issus de la communauté dalit ou d’autres castes ou groupes ethniques sous-représentés.

Le redéploiement de la police nationale depuis la fin du conflit interne n’a pas rassuré la population sur la question de la sécurité, la police ne disposant toujours pas de moyens de communication et de transport, d’armes, de locaux et de logements adéquats. Le vide sécuritaire apparu dans la région du Teraï, conséquence de la médiocrité des politiques de sécurité publique, a permis à des groupes armés de commettre des atteintes aux droits humains en toute impunité. La présence de plus d’une dizaine de groupes armés a été signalée dans le Teraï, parmi lesquels le Janatantrik Terai Mukti Morcha (JTMM) dirigé par le Jaya Krishna Goit (JTMM-G) et la faction Jwala Singh (JTMM-J). Des défenseurs des droits humains ont déclaré aux délégués d’Amnesty International qui se sont rendus dans la région en février que les interventions politiques en faveur de la libération de détenus, en particulier de membres de groupes armés criminels, étaient monnaie courante, et que dans de nombreuses zones du Teraï, les responsables de la police locale ne prennent aucune mesure contre les personnes soupçonnées d’activités au sein d’un groupe armé sans avoir obtenu l’accord des comités de l’Alliance de sept partis.

Amnesty International incite la nouvelle Assemblée constituante et le gouvernement à :

• veiller à ce que l’armée, la police et toutes les autres forces de sécurité soient tenues de rendre compte de leurs actes aux autorités civiles ;

• créer une instance indépendante chargée de recueillir les doléances, afin de garantir l’obligation pour la police de rendre des comptes face à la population ; il faudrait que cet organe puisse fonctionner au niveau local, et soit investi de l’autorité nécessaire pour procéder à une évaluation continue des mesures introduites par la police elle-même dans le but : d’agir en conformité avec les dispositions nationales et internationales concernant le recours à la force ; de prévenir la torture et la corruption ; d’enregistrer les plaintes ; d’enquêter de sa propre initiative sur les cas signalés et de mener des recherches sur les questions en rapport avec le maintien de l’ordre . Cet organe devra veiller à ce que les recrues actuelles et futures soient sélectionnées de manière à ce que soit garantie l’adhésion aux normes professionnelles et relatives aux droits humains au sein de la police ;

• garantir que tout recrutement par les forces de sécurité, y compris parmi les anciens membres de la Ligue de la jeunesse communiste, implique une formation approfondie aux normes internationales relatives aux droits humains et à leur application aux opérations de maintien de l’ordre ;

• s’assurer que la police népalaise et la Force de police armée soient représentatives de la population ; que les conditions de travail ne soient pas discriminatoires ; et que les évolutions de carrière et autres opportunités soient uniquement fondées sur le mérite ;

• veiller à ce que la police n’ait recours à la force que lorsque cela est strictement nécessaire et seulement au niveau minimum requis en la circonstance ;

• faire le nécessaire pour que des enquêtes indépendantes soient menées sur la réaction de la police et son recours excessif à la force lors du soulèvement madhesi, et pour que tout policier soupçonné d’avoir eu recours de manière excessive à la force contre les manifestants soit poursuivi.

4. Groupes marginalisés : un besoin de protection et d’intégration

Les pratiques discriminatoires anciennes se fondant sur la caste, le genre ou l’origine ethnique sont une des questions sensibles ayant fait leur apparition dans le cadre du processus de paix. L’Accord de paix global signé en novembre 2006 engage toutes les parties à respecter un ensemble de droits civils, politiques et économiques, et notamment à mettre fin à la discrimination. Cet engagement a incité divers mouvements identitaires à réclamer une meilleure intégration dans les structures étatiques, en particulier dans la région du Teraï, dans le sud du pays. Le soulèvement madhesi de janvier et février 2007 est sans doute celui qui a le plus contribué à mettre en avant le problème de la persistance de l’exclusion politique et sociale, mais des Tharus (principalement dans l’ouest du Teraï) et des Limbus (est du Teraï), entre autres, ont eux aussi revendiqué une meilleure représentation dans les institutions de l’État.

Le Népal a, aux termes du droit international, des obligations dans le domaine de la non discrimination. Dans son deuxième rapport au Conseil des droits de l’homme, en janvier 2007, la haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies a mis en avant le droit de chacun à participer à la conduite des affaires publiques, directement ou par le biais de représentants choisis.

Un militant des droits humains a dit aux délégués d’Amnesty International : « L’Accord de paix global, la Constitution de transition et l’accord en 22 points conclu avec le parti Madhesi Janadhikar Forum prévoient des mesures compensatoires préventives, visant à garantir la représentation proportionnelle de diverses communautés marginalisées, comme les Madhesis, à tous les niveaux des trois pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire. » Cependant, un certain nombre de personnes avec lesquelles les délégués se sont entretenus se sont plaintes du gouffre existant entre ces promesses et la réalité, déclarant que l’un des facteurs attisant la discorde réside dans l’incapacité des acteurs politiques traditionnels à associer des groupes marginalisés au processus de paix.

La question de la participation et de la représentation politiques est à l’origine d’une grève d’une durée indéterminée déclenchée le 13 février 2008 par le Front madhesi démocratique unifié dans le Teraï. Cette grève a conduit à la fermeture de services gouvernementaux, a perturbé les services publics et mené à l’imposition de couvre-feux dans certains districts. Les affrontements entre manifestants madeshis et forces de sécurité ont fait au moins cinq morts. Les organisations tant internationales que népalaises de défense des droits humains ont attiré l’attention sur le recours excessif à la force lors des opérations de maintien de l’ordre engagées pour faire face aux manifestations dans le Teraï.

La Loi sur la citoyenneté adoptée en 2006 a permis à plus de deux millions de personnes – dont de nombreux habitants du Teraï – d’obtenir un certificat de citoyenneté. Ce geste a été apprécié, mais il convient maintenant de se pencher sur des mesures à long terme visant à s’attaquer aux problèmes persistants en rapport avec les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes et de certains groupes madhesis, dalits et musulmans qui n’ont pas été en mesure d’obtenir un certificat.

Amnesty International exhorte la nouvelle Assemblée constituante et le gouvernement à :

• promulguer une loi d’habilitation afin de garantir que les discriminations se fondant sur l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle ne soient pas encouragées, et afin de rendre plus efficace le processus législatif visant à éliminer ces discriminations ;

• garantir le droit de groupes traditionnellement marginalisés à participer aux rouages de l’État ;

• travailler en urgence sur des textes permettant de résoudre le problème des droits des non citoyens.

5. La violence contre les femmes : un scandale des droits humains

La violence contre les femmes est un grave problème partout au Népal. Nombre de femmes et de jeunes filles craignent de signaler les viols et les autres formes de violence, non seulement en raison de l’hostilité et de l’opprobre de leur communauté, mais aussi à cause de l’inaction des autorités quand il s’agit de mener l’enquête, de lancer des poursuites et de sanctionner les auteurs par le biais du système judiciaire.

Les défenseurs des droits des femmes courent des risques spécifiques lorsqu’ils défendent le droit à la vie et le droit pour les femmes de ne pas être soumises à la violence, sexuelle ou autre. Plusieurs défenseurs des droits des femmes ont dit aux délégués d’Amnesty International qu’en raison de l’insécurité qui régnait dans le Teraï, les femmes étaient très exposées à la violence liée au genre. Parmi les atteintes signalées figurent : des viols perpétrés par des membres de groupes armés ; des cas de violence au sein de la famille, en particulier des coups donnés par un compagnon ; le viol ; des meurtres liés à la dot ; et d’autres pratiques culturelles violentes et discriminatoires à l’égard des femmes.

L’État est tenu de protéger les femmes de la violence, ainsi que le prévoit de manière explicite la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes adoptée par les Nations unies. Les États devraient mettre en œuvre « sans retard, par tous les moyens appropriés, une politique visant à éliminer la violence à l’égard des femmes » (article 4). Aux termes du droit international relatif aux droits humains, l’État a l’obligation non seulement de veiller à ce que ses agents et représentants ne commettent pas d’actes de violence à l’égard des femmes, mais également de protéger les femmes des actes de violence perpétrés par des personnes et entités privées, notamment les membres de leur propre famille et de leur entourage.

Amnesty International appelle la nouvelle Assemblée constituante et le gouvernement à :

• reconnaître et protéger les droits fondamentaux des femmes, dont le droit à la vie, le droit de ne pas être victime de discrimination et tous les droits protégeant les femmes de la violence liée au genre.

• appliquer l’ensemble des traités, déclarations, résolutions et recommandations internationaux et régionaux ayant pour vocation de condamner, prohiber et prévenir tous les actes de violence contre les femmes

• veiller à ce que les membres des forces de l’ordre et des autres instances gouvernementales soient pleinement informées du fait que violer des femmes placées en détention sous leur responsabilité constitue un acte de torture qui ne saurait être toléré en aucune circonstance ;

• encourager et soutenir la création de centres d’accueil et d’autres services d’aide aux femmes ayant connu la violence, en collaboration avec les organisations de défense des droits des femmes.

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