Libérer les prisonniers d’opinion

Les arrestations et les autres formes de représailles dont font l’objet les employés et les bénévoles de la Fondation anticorruption (FAC) font partie des dernières manœuvres en date de répression des droits aux libertés de réunion et d’expression en Russie. Ces personnes font l’objet de la part des autorités russes de mesures d’arrestation administrative et de harcèlement pour avoir organisé la diffusion en direct des manifestations anticorruption organisées à travers la Russie le 26 mars, alors que les médias publics ont largement passé sous silence cet important événement politique. L’arrestation du personnel et des bénévoles de la FAC a en outre permis aux autorités de fouiller ses bureaux et de saisir les ordinateurs et des documents contenant des informations précieuses, et peut-être confidentielles. Les membres de la FAC ont été déclarés coupables d’infractions administratives à l’issue de procès iniques et motivés par des considérations politiques les 27 et 28 mars. Douze personnes qui ont été arrêtées sont des prisonniers d’opinion, et elles doivent en conséquence être remises en liberté immédiatement et sans condition. Les autorités russes doivent respecter les droits aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique, et s’abstenir de tout agissement visant à empêcher le personnel et les bénévoles de la FAC d’exercer légitimement ces droits.

Le 26 mars 2017, lors de ce qui s’est avéré être l’une des plus grandes manifestations organisées depuis des années en Russie, des rassemblements pacifiques ont eu lieu dans la rue dans tout le pays pour demander des enquêtes sur les allégations de corruption visant de hauts responsables du gouvernement.

Dans la plupart des cas, ces rassemblements n’avaient pas été préalablement autorisés par les autorités, alors que la législation russe indument restrictive l’exige, ce qui les a rendus « illégaux » aux yeux des autorités. Cette autorisation n’a été accordée que dans 21 des 99 villes où elle avait été demandée aux autorités. Dans de nombreuses communes, les rassemblements pacifiques ont été dispersés par la police, qui a souvent recouru à une force excessive.

La FAC a joué un rôle essentiel dans l’organisation et la couverture médiatique des manifestations. L’appel en faveur d’une enquête sur les allégations de corruption visant de hauts responsables du gouvernement est motivé par un rapport publié par la FAC selon lequel le Premier ministre, Dimitri Medvedev, a illégalement accumulé une immense fortune personnelle. De précédents documents publiés par la FAC faisaient état d’un haut niveau de corruption parmi les proches amis et les relations du président Vladimir Poutine et parmi les membres du parti au pouvoir, Russie unie. Le fondateur et dirigeant de la FAC, militant politique et anticorruption, Alexeï Navalny, a appelé ses nombreux sympathisants à descendre dans la rue le 26 mars, et profité de cette occasion pour rassembler des soutiens à sa candidature à l’élection présidentielle de 2018.

Durant ces rassemblements, la FAC a organisé une diffusion en direct sur Internet, depuis son bureau à Moscou, de la couverture des manifestations. Selon la FAC, elle a été suivie par 170 000 internautes, et son enregistrement a été vu 4,47 millions de fois. À deux reprises au cours de cette retransmission, des agents des forces de l’ordre sont venus dans le bureau pour forcer les militants à arrêter la diffusion de ces événements. La première fois, ils ont fouillé les locaux à la recherche d’explosifs. Deux membres de la FAC, qui étaient présents à ce moment-là, ont déclaré lors des procès qu’ils n’avaient pas été informés du fait que la visite de la police et la fouille des locaux étaient prétendument motivées par une alerte à la bombe. Cependant, comme tous les autres membres de la FAC, ils ont accepté la demande des policiers et leur ont permis de fouiller les locaux avec un chien pour rechercher des explosifs. La police n’a trouvé aucun explosif et elle a quitté les lieux. Or, vers la fin de la journée, des policiers sont retournés dans le bureau de la FAC avec des pompiers et ont ordonné à tout le monde de sortir en disant qu’un début d’incendie avait été signalé. Au cours du procès, des membres de la FAC ont expliqué que tout le monde avait obéi et était sorti dans le couloir. Dans le couloir, contrairement à ce qui se passe lors d’une véritable alerte incendie, où l’on demande aux gens d’évacuer l’immeuble, leurs passeports ont été vérifiés et les informations sur leur identité enregistrées par les policiers dans ce couloir (on peut voir cela sur une vidéo accessible au public). Après avoir enregistré les informations sur leur identité, les policiers ont arrêté les 14 membres de la FAC qui étaient présents, et ils les ont emmenés au poste de police local ; les militants y ont passé la nuit et le lendemain ils ont été conduits au tribunal pour passer en procès. Le bureau a été placé sous scellés par la police, et il est toujours sous scellés à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Les membres de la FAC pensent qu’après leur arrestation, les agents des forces de l’ordre ont fouillé leur bureau pendant les nuits du 27 et du 28 mars, et saisi des ordinateurs et des documents. Des vidéos accessibles au public montrent des hommes en civil et deux policiers en uniforme en train de prendre des ordinateurs et des boîtes dans les locaux de la FAC dans la nuit du 26 au 27 mars. Ces hommes sont suivis par des journalistes, mais ils ont refusé d’expliquer qui ils étaient.

Tous les membres du personnel et bénévoles de la FAC ont été inculpés pour avoir « désobéi aux ordres légitimes de policiers » au titre de l’article 19-3 du Code des infractions administratives. Chacun d’entre eux a été jugé individuellement et déclaré coupable.

Oksana Baulina, rédactrice en chef de la chaîne web NavalnyLive, et les membres du personnel et bénévoles de la FAC Rouslan Abliakimov, Vladimir Bouzine, Anton Glembo, Sergueï Gorkaïev, Ekaterina Kenareva, Alexeï Lapichev, Ekaterina Melnikova, Vladislav Mosine, Anna Revonenko et Konstantin Chirokov, ont chacun été condamnés à une peine de cinq à sept jours de détention administrative. Leonid Volkov, le chef de projet de la FAC et directeur de campagne d’Alexeï Navalny pour l’élection présidentielle, a lui été condamné à 10 jours de détention administrative. Alexeï Bakhrouchine et Maria Zakharova ont échappé à une peine de détention, peut-être en raison de leur état de santé, mais ils ont chacun été condamnés à une amende de 1 000 roubles (environ 18 USD).

Les procès ont eu lieu sur deux jours, les 27 et 28 mars. Un représentant d’Amnesty International était présent au tribunal le 27 mars pendant l’un des procès ; il a aussi parlé avec des accusés et des avocats concernant plusieurs autres affaires, et constaté des retards considérables. Les accusés et leurs avocats ont plaidé de façon convaincante, notamment en indiquant les circonstances de leur arrestation, décrites ci-dessus, en expliquant que leur placement en détention n’était pas fondé et que les deux descentes de police dans les locaux de la FAC n’étaient pas motivées par une alerte à la bombe ou un départ de feu, mais par la volonté délibérée de perturber les activités de la FAC. Le tribunal n’a toutefois pas tenu compte de ces arguments.

De plus, selon les avocats représentant le personnel et les bénévoles de la FAC, les fouilles opérées dans les locaux ont prétendument été des « examens du site d’un incident ». Or, la loi prévoit que l’examen des locaux d’une organisation considérés comme étant le site d’un incident doit être mené en présence du représentant de cette organisation, et limite les motifs pour lesquels des objets quels qu’ils soient peuvent être saisis sur ce site. Les fouilles opérées dans le bureau de la FAC n’ont pas respecté ces dispositions de la loi.

Amnesty International estime que les employés et bénévoles de la FAC ont été arrêtés de façon arbitraire, et que leurs procès et condamnation pour l’infraction administrative « désobéir aux ordres légitimes de la police » ont été entachés par plusieurs vices de procédure. En particulier, contrairement à ce que prévoit la législation russe, à la suite de leur arrestation, ils ont été maintenus en détention pendant plusieurs heures avant que cette « infraction » ne soit officiellement notifiée (avant qu’ils ne soient informés de cette soi-disant infraction administrative). Aux termes de la loi (article 28-5 du Code des infractions administratives), cela aurait dû être fait immédiatement après la commission de la prétendue infraction. En réalité, la notification a été faite plusieurs heures après. De plus, la police leur a pris les copies de ces notifications initiales et leur a donné à la place de nouveaux documents. Un seul mis en cause de la FAC a pu conserver à la fois la version initiale et la nouvelle version de ce document, et il les a présentées toutes les deux au tribunal. Le juge a accepté de verser ces deux pièces au dossier, mais il a malgré cela prononcé un verdict de culpabilité.

Contrairement à ce que prévoit la loi, ces « notifications » n’exposaient pas les raisons pour lesquelles les policiers avaient demandé à tout le monde de sortir du bureau de la FAC. La deuxième version de ces « notifications » contenait une description différente des raisons pour lesquelles la police s’était rendue au bureau de la FAC (l’une concernant une alerte à la bombe, et l’autre une alerte incendie). Dans au moins deux des procès tenus par des juges différents, le tribunal n’a pas autorisé la défense à présenter des preuves et à faire comparaître des témoins nommément cités, ce qui viole directement le droit à un procès équitable.

L’une au moins des personnes arrêtées, Ekaterina Kenareva, souffre de graves problèmes de santé, et elle a eu besoin de recevoir des soins médicaux d’urgence pendant son audience le 27 mars. Elle n’a toutefois été autorisée à être examinée par du personnel médical qu’après le prononcé de la sentence. Après que les infirmiers lui eurent administré des médicaments, elle a été maintenue en détention pour qu’elle purge sa peine.

Toutes les personnes qui ont été placées en détention sont des prisonniers d’opinion ; elles ont été privées de leur liberté d’exercer leurs activités d’information et d’enquête. De plus, la confiscation de leurs ordinateurs et de leurs documents vise peut-être non seulement à entraver le travail de la FAC, mais aussi à savoir qui sont ses sources, ces dernières risquant dès lors d’être poursuivies en justice pour avoir révélé des faits de corruption.

Amnesty International demande aux autorités russes de libérer immédiatement et sans condition tous les membres de la FAC maintenus en détention, et de mettre fin aux représailles exercées contre les journalistes d’investigation, les militants politiques et les manifestants pacifiques en Russie.

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