Leur détention continue : le sort des prisonniers purgeant de lourdes peines au Bélarus

Il y a un an, le 4 août 2011, Ales Bialatski, défenseur connu des droits humains, était arrêté à Minsk, la capitale du Bélarus. Reconnu coupable de fraude fiscale, il a été condamné à quatre ans et demi d’emprisonnement. Amnesty International estime qu’il a été condamné en raison de ses activités en faveur des droits humains et l’a adopté en tant que prisonnier d’opinion.

L’organisation a écrit jeudi 2 août au procureur général de la République du Bélarus, pour lui faire part de ses préoccupations concernant le sort des prisonniers d’opinion dans ce pays et pour l’inviter à faire usage des pouvoirs qui étaient les siens pour enquêter sur la légalité des condamnations de ces derniers, en veillant à ce qu’ils soient relâchés immédiatement et sans conditions. Amnesty International appelle en outre les autorités bélarussiennes à faire en sorte que le bien-être physique et psychologique des personnes en détention soit préservé et que celles-ci puissent bénéficier des traitements médicaux que leur état de santé exige, conformément à la législation nationale et aux obligations internationales contractées par le Bélarus en matière de droits humains. Amnesty International rappelle aux autorités bélarusiennes que les membres de la société civile, et notamment les militants d’opposition, doivent pouvoir, aux termes du droit international, se réunir et exprimer pacifiquement et ouvertement leurs opinions, sans avoir à craindre d’être arrêtés arbitrairement ou maltraités.

Prisonniers d’opinion

Il existe au Bélarus un certain nombre de personnes qui ont été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement en raison de leurs opinions politiques ou de leurs activités en faveur des droits humains, et cela en violation de leur droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association. Outre Ales Bialiatski, quatre autres prisonniers d’opinion sont actuellement détenus pour avoir participé ou voulu participer à la manifestation du 19 décembre 2010, qui s’est déroulée pour l’essentiel sans violences. Il s’agit de Pavel Seviarynets, condamné à trois ans d’emprisonnement le 16 mai 2011 ; de Mikaïlov Statkevitch, condamné à six ans d’emprisonnement le 26 mai 2011 ; et de Zmitser Dachkevitch et Edouard Lobov, condamnés pour « hooliganisme » le 24 mars 2011, respectivement à deux et quatre ans d’emprisonnement.

Les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Bélarus est partie, protègent le droit de chacun à la liberté d’expression et de réunion.

Tout citoyen doit pouvoir participer librement aux activités légitimes de la société civile, sans avoir à craindre d’être menacé, arrêté ou placé en détention. L’article 33 de la Constitution de la République du Bélarus dispose que « toute personne jouit de la garantie de la liberté de pensée et de conviction, ainsi que du droit d’exprimer celles-ci librement ». Les articles 35 et 36 de la Constitution garantissent quant à eux le droit à la liberté de réunion et d’association.

Amnesty International appelle les autorités du Bélarus à libérer tous les prisonniers d’opinion immédiatement et sans conditions.

Les actes de harcèlement se multiplient dans les prisons

Selon les informations dont dispose Amnesty International, les prisonniers font fréquemment l’objet d’actes de harcèlement ou d’intimidation dans les différents établissements où ils purgent leurs peines. Ces actes visent souvent à les obliger à faire des « aveux » ou à introduire une demande en grâce. Ceux qui refusent de se soumettre sont traités plus durement encore, voire font l’objet de poursuites pénales supplémentaires. Ils sont régulièrement placés en cellule disciplinaire. L’administration demanderait également à leurs codétenus de ne pas leur parler. Trois des prisonniers d’opinion ont été accusés d’avoir « violé à dessein » le règlement de la prison, infraction qui entraîne la suppression de certains « privilèges » (réduction du nombre et de la durée des visites par la famille, limitation du nombre de colis et de versements d’argent autorisé). Amnesty International estime qu’aucun prisonnier d’opinion ne doit jamais être contraint de signer des « aveux » ou de solliciter une mesure de grâce.

Zmitser Dachkevitch purge actuellement sa peine dans la colonie pénitentiaire de Gloubokoe, dans le nord-ouest du Bélarus, où il a été transféré le 27 septembre 2011. Il devrait être libéré le 18 décembre 2012. L’administration pénitentiaire l’accuse cependant d’avoir « violé à dessein » le règlement de la prison et a saisi la Commission d’enquête de la République du Bélarus, pour que celle-ci ouvre une nouvelle procédure pénale contre lui, au titre de l’article 411 du Code pénal (« refus délibéré d’obéir aux autorités d’un établissement pénitentiaire »). En réponse, Zmitser Dachkevitch à écrit au directeur de la colonie pénitentiaire une lettre, dans laquelle il explique qu’il a sciemment refusé de se plier à certaines exigences du personnel carcéral, dans la mesure où il considérait celles-ci illégales. Depuis sa condamnation, en mars 2011, Zmitser Dachkevitch a été à plusieurs reprises soumis à des pressions de la part de l’administration pénitentiaire. En septembre 2011, il avait déjà fait huit séjours au cachot. Il y a passé l’essentiel de sa détention depuis. Les conditions de vie dans les cellules disciplinaires sont particulièrement difficiles : les prisonniers n’ont droit à aucune literie, alors que la température descend souvent à 15°C, ils ne reçoivent aucune visite et sont privés du droit d’entretenir une correspondance. En septembre, Zmitser Dachkevitch s’est vu proposer la possibilité de solliciter une mesure de grâce présidentielle, à condition qu’il reconnaisse sa culpabilité – proposition qu’il a rejetée.

Mikaïlov Statkevitch a été transféré en janvier 2012 de la colonie pénitentiaire n°17 de Chklov à la prison n°4 de Moghilev, pour avoir, selon les autorités, violé le règlement de la colonie. L’administration de la colonie accusait Mikaïlov Statkevitch d’avoir régulièrement enfreint le règlement, d’être d’un tempérament violent et de présenter des risques d’évasion. Ces accusations pourraient valoir à Mikaïlov Statkevitch une condamnation à une année d’emprisonnement supplémentaire, au titre de l’411 du Code pénal (« refus délibéré d’obéir aux autorités d’un établissement pénitentiaire »). Ce prisonnier a été placé au cachot du 6 au 16 juillet 2012, apparemment parce qu’il avait refusé de solliciter une mesure de grâce présidentielle, comme il y avait été invité le 18 juin.

L’administration de la colonie pénale a donné en avril 2012 un avis positif concernant la conduite de Pavel Seviarynets. Ce dernier s’est pourtant vu refuser le bénéfice d’une libération anticipée, apparemment parce qu’il n’avait pas voulu reconnaître sa culpabilité. Ayant purgé la moitié de sa peine sans avoir commis la moindre violation, il pouvait prétendre à une libération conditionnelle. On lui a officiellement refusé le bénéfice d’une amnistie le 26 juillet 2012.

Préoccupations concernant la santé des détenus

Amnesty International est par ailleurs préoccupée par l’état de santé des prisonniers, qui s’est sérieusement dégradé au cours de leur détention. Le Bélarus est tenu de respecter un certain nombre d’obligations internationales en matière de soins médicaux à apporter aux détenus. Aux termes de l’article 10(1) du pacte international relatif aux droits civils et politiques, « toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». Le droit de toute personne privée de liberté de jouir du meilleur état de santé possible est garanti par toute une série d’instruments internationaux, et notamment par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, auquel le Bélarus est partie. L’article 45 de la Constitution de la République du Bélarus garantit en outre le droit à la santé de tous et de toutes.

Siarheï Kavalenka, militant du Parti chrétien conservateur, une composante du Front populaire bélarussien (BNF), a été arrêté le 19 décembre 2011, parce qu’il n’avait pas respecté les conditions d’une condamnation avec sursis dont il avait fait l’objet en mai 2010, pour résistance à agent, sur la foi d’éléments contestables. Il a immédiatement entamé une grève de la faim, qui a duré deux mois, avec quelques courtes interruptions. Ce long jeun a entraîné la nécessité pour Siarheï Kavalenka de suivre un traitement médical. Or, pendant une quinzaine de jours, il n’a pas reçu les colis de médicaments et de vitamines que lui envoyait sa femme.

En juin 2012, Siarheï Kavalenka a passé 10 jours dans une cellule disciplinaire, parce qu’il se serait disputé avec un codétenu. En juillet, il a été accusé d’avoir « violé à dessein » le règlement de la prison. La quantité d’argent qu’il était autorisé à recevoir a été diminuée. Amnesty International a récemment appris que Siarheï Kavalenka avait demandé à bénéficier d’une mesure de grâce présidentielle, après avoir été soumis à des pressions psychologiques de la part du personnel pénitentiaire.

Edouard Lobov, qui purge actuellement sa peine au sein de la colonie pénitentiaire n°22 d’Ivatsevitchy, souffre de douleurs dentaires, qui nécessitent un traitement. L’établissement dans lequel il se trouve ne dispose cependant pas des médicaments nécessaires et, lorsque la mère du détenu a voulu lui envoyer un colis, les autorités carcérales s’y sont opposées. Elle a quand même pu lui faire parvenir des vitamines, mais les autorités ont refusé de prendre les médicaments destinés à traiter ses maux de dents, affirmant avoir reçu les produits médicaux nécessaires. Edouard Lobov continue pourtant de souffrir de douleurs dentaires.

Complément d’information

Ales Bialiatski

Ales Bialiatski, président du Centre de défense des droits humains Viasna et vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, a été arrêté le 4 août 2011 dans le centre de Minsk. Il a été condamné le 24 novembre 2011 à quatre ans et demi de prison pour « dissimulation massive de revenus » (article 243.2 du Code pénal de la république du Bélarus).

Les charges retenues contre lui étaient liées à son utilisation de comptes bancaires personnels en Lituanie et en Pologne pour soutenir le travail du Centre de défense des droits humains Viasna. Il purge actuellement sa peine dans la colonie pénitentiaire n°2 de la région de Moghilev. Amnesty International le considère comme un prisonnier d’opinion, car sa détention semble motivée par des considérations politiques et vise à faire obstacle à son travail légitime de défense des droits humains.

Les autorités bélarussiennes ont retiré à Viasna son statut officiel en 2003, lui niant par là même le droit d’ouvrir un compte bancaire en son nom dans le pays. Depuis, les autorités rejettent systématiquement les demandes d’enregistrement adressées par l’organisation. Amnesty International s’est à plusieurs reprises inquiétée du refus des autorités de reconnaître Viasna. Ses membres n’avaient pas d’autre choix que d’utiliser des comptes bancaires dans des pays voisins pour financer leurs activités.

Le procès d’Ales Bialiatski n’a pas été conforme aux normes internationales d’équité, à plusieurs égards. En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Bélarus a le devoir de garantir le droit de chacun à bénéficier d’un procès équitable (article 14 du PIDCP). Comme l’ont souligné plusieurs observateurs internationaux, un certain nombre d’irrégularités de procédure trahissent le caractère politique de ce procès. Bien souvent, les questions posées aux témoins ne concernaient pas les faits reprochés à Ales Bialiatski, mais ses activités de défense des droits humains, ainsi que leur propre engagement. Plusieurs importants défenseurs des droits humains et employés de Viasna ont été interrogés dans le cadre de cette affaire.

Les éléments de preuve soumis au tribunal par l’accusation comprenaient des copies de relevés de comptes qui n’étaient pas authentifiées, et certains documents ont été présentés comme provenant d’informateurs anonymes, ce qui est contraire à la procédure pénale bélarussienne. En outre, le parquet du Bélarus a demandé des informations à des banques polonaises et lituaniennes avant que les poursuites pénales contre Ales Bialiatski aient été engagées, en violation de l’accord entre les trois pays concernant l’échange d’informations dans les affaires pénales.

L’avocat d’Ales Bialiatski a fait appel de la sentence devant le tribunal de la ville de Minsk le 29 novembre 2011. Le 24 janvier 2012, ce dernier a confirmé la décision du tribunal de première instance et a donc rejeté cet appel.

Mikaïlov Statkevitch

Candidat d’opposition aux élections présidentielles de 2010, Mikaïlov Statkevitch a été condamné à six années d’emprisonnement le 26 mai 2011, pour « organisation de troubles de grande ampleur » (au titre de l’article 293.1 du Code pénal). Il lui était reproché d’avoir participé à des manifestations, au lendemain des élections, en décembre 2010. Amnesty International estime que les charges retenues contre lui sont infondées et que son seul tort est d’avoir voulu exercer de façon pacifique son droit à la liberté de réunion et d’expression.
Le directeur de la prison de Moghilev a déclaré en janvier que Mikaïlov Statkevitch avait des tendances suicidaires. Rien ne vient cependant étayer cette affirmation et la famille de Mikaïlov Statkevitch craint que les autorités ne cherchent en fait à préparer l’opinion, au cas où il lui arriverait quelque chose en détention. Le 27 juin, lors d’une audience devant une commission chargée des prisons, ce fonctionnaire a de nouveau affirmé que, selon lui, Mikaïlov Statkevitch avait des tendances suicidaires. Pourtant, selon sa femme, qui a pu s’entretenir avec lui au téléphone le 4 juillet, il avait alors un bon moral. Après l’audience de la commission, Mikaïlov Statkevitch a remis au directeur de la prison une lettre, dans laquelle il lui demandait de citer les éléments sur lesquels il fondait son opinion. Il lui demandait également si son intention n’était pas de se prémunir, au cas où il lui arriverait quelque chose en prison.

Zmitser Dachkevitch

Zmitser Dachkevitch, dirigeant du Front de la jeunesse, un mouvement d’opposition, a été condamné à deux ans de travaux forcés le 24 mars 2011 pour une agression qui aurait eu lieu la veille des élections, le 18 décembre 2010. Il a été reconnu coupable de « hooliganisme » (article 339 du Code pénal). Amnesty International considère que les charges retenues contre lui sont infondées et qu’elles ont été forgées de toutes pièces afin de l’empêcher de participer à la manifestation di 19 décembre 2010. Sa fiancée et son avocat ont pu le rencontrer le 25 juillet 2012. Ils avaient appris qu’il souffrait de pneumonie, peut-être en raison des conditions de vie auxquelles il avait été soumis en cellule disciplinaire. Il a été transféré à l’infirmerie de la prison le 24 juillet.

Edouard Lobov

Militant du Front de la jeunesse, Edouard Lobov a été arrêté en même temps que Zmitser Dachkevitch, la veille des élections présidentielles de décembre 2010. Accusé d’avoir agressé un passant , il a été condamné le 24 mars 2011 à quatre ans d’emprisonnement (au titre de l’article 339 du Code pénal, qui réprime les actes de « hooliganisme »). Amnesty International estime qu’il a été placé en détention pour l’empêcher de participer à la manifestation du 19 décembre. Zmitser Dachkevitch et Edouard Lobov affirment que l’altercation qui les a opposés aux forces de sécurité le 18 décembre 2010 a été provoquée par ces dernières. Un autre militant du Front de la jeunesse qui se trouvait avec eux au moment des faits a dit à Amnesty International que le groupe avait en réalité été attaqué. Il a affirmé que quatre hommes leur avaient demandé leur chemin, avant de donner des coups de poing à Zmitser Dachkevitch et Edouard Lobov. Des policiers seraient arrivés sur place quelques minutes plus tard dans un minibus des services spéciaux de la police et auraient arrêté les trois militants et deux des agresseurs sans poser de questions à qui que ce soit. Zmitser Dachkevitch et Edouard Lobov ont été déclarés coupables sur la base de déclarations faites par les deux agresseurs appréhendés en même temps qu’eux.

Edouard Lobov a informé sa mère en juin 2012 que l’administration de la colonie pénitentiaire dans laquelle il se trouvait avait fait un rapport le concernant, dans lequel il était accusé d’avoir enfreint le règlement de l’établissement. Il a finalement été accusé d’avoir « violé à dessein » le règlement de la prison, en violation de l’article 117 du Code d’exécution des peines, sanctionnant les atteintes graves au règlement des prisons. Il a reçu un blâme et la quantité d’argent que ses proches étaient autorisés à lui faire parvenir a été réduite.

Pavel Seviarynets

Militant d’opposition et membre de l’équipe de campagne de Vitali Rymachevski lors des élections de décembre 2010, Pavel Seviarynets est également coprésident du comité organisateur du parti de la Démocratie chrétienne du Bélarus. Il a été condamné à trois années d’internement dans un établissement pénitentiaire pour avoir, le 16 mai 2011 « organisé ou préparé des actes constituant des troubles à l’ordre public, ou participé à de tels actes » (article 342 du Code pénal). Il purge actuellement sa peine dans la prison ouverte n°7 de Koupline. Il est considéré par Amnesty International comme un prisonnier d’opinion, dont la condamnation est en réalité une punition sanctionnant ses activités politiques légitimes.

Siarheï Kavalenka

Siarheï Kavalenka a été reconnu coupable en mai 2010 d’avoir résisté à son arrestation le 7 janvier 2010, alors qu’il venait de placer l’ancien drapeau bélarussien au sommet d’un arbre de Noël de 35 mètres de haut installé sur la place Peramohi, à Vitebsk. Aucun témoin n’a assisté à cette arrestation, hormis les policiers impliqués. Siarheï Kavalenka nie avoir agressé un policier. Le tribunal du district Oktiabrski (Vitebsk) l’a condamné à trois ans de prison avec sursis. Le 24 février 2012, Siarheï Kavalenka a été condamné à deux ans et un mois de prison en vertu de l’article 415 du Code pénal pour non-respect des conditions de son sursis. Le tribunal régional de Vitebsk a rejeté son appel le 18 mai et Siarheï Kavalenka a été incarcéré le lendemain dans la colonie pénitentiaire n°19 de Moghilev.

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