Les autorités arméniennes doivent protéger la libre expression et veiller à la sécurité des organisateurs d’un festival de films azerbaïdjanais

À la suite de violentes agressions ayant visé des militants de la société civile qui ont essayé d’organiser un festival de films azerbaïdjanais, Amnesty International demande aux autorités arméniennes de mener dans les meilleurs délais une enquête impartiale sur ces attaques et de traduire les responsables présumés en justice.

L’organisation déplore vivement que les autorités n’aient pas protégé les organisateurs du festival contre ces agressions ayant pour but de les empêcher de projeter des films azerbaïdjanais, et exhorte l’État à prendre les mesures qui s’imposent pour que ces militants puissent poursuivre ce projet de festival en toute sécurité.

Le festival « Stop » a pour objectif de mener un travail de sensibilisation à la culture azerbaïdjanaise en direction des Arméniens, dans l’espoir de rapprocher l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui s’opposent sur la souveraineté du Haut-Karabakh depuis un conflit survenu au début des années 90. Chacun des deux gouvernements attise régulièrement le sentiment nationaliste contre l’autre pays pour des raisons politiques.

Le 12 avril, le festival a été annulé à Gyumri (nord-ouest de l’Arménie), après que des dizaines de manifestants aient bloqué l’accès au lieu qui devait l’accueillir et s’en soient pris physiquement à Giorgi Vanyan, organisateur du festival et président de la branche locale du Centre du Caucase pour les initiatives en faveur de la paix. Les manifestants l’ont empêché de quitter la ville et l’ont obligé à annoncer publiquement l’annulation du festival. Le même jour, Giorgi Vanyan a publié une déclaration dans laquelle il affirmait avoir été menacé par les autorités arméniennes locales.

À la suite de l’annulation du festival à Gyumri, les organisateurs ont fait part de leur intention de projeter les films au bureau de la Helsinki Citizens’ Assembly (HCA) de Vanadzor (nord de l’Arménie), le 17 avril.

Cependant, la veille du festival, quelque 200 personnes, parmi lesquelles des étudiants, des militants politiques, d’anciens militaires et des représentants des autorités locales, se sont rassemblées devant les locaux de la HCA. Les manifestants étaient semble-t-il menés par Yerkarapah, un groupe de vétérans du conflit ayant opposé l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet du Haut-Karabakh, et ont crié, entre autres « traitres », « honte » et « Turcs ». Ils ont réclamé l’annulation de l’événement.

Certains sont entrés de force dans les locaux de la HCA. Artur Sakunts, directeur de la HCA, a déclaré à Amnesty International que les manifestants ont vandalisé des équipements de bureau et abreuvé le personnel de menaces et d’insultes.

Le personnel de la HCA a indiqué aux manifestants que les organisateurs avaient repoussé la tenue du festival. Les manifestants ont cependant exigé l’annulation de cet événement, et ont jeté des œufs et des pierres contre le bâtiment. Plusieurs fenêtres ont été brisées et un des employés a été blessé par une pierre l’ayant atteint à la jambe.

Plusieurs policiers accompagnaient les manifestants et ont été présents tout au long de cette action de protestation mais ne sont pas intervenus pour garantir la sécurité des membres du personnel ni mettre fin aux actes de violence. Artur Sakunts a déclaré à Amnesty International que des employés de la mairie et qu’au moins quatre policiers étaient présents sur place, mais qu’ils s’étaient contentés de regarder tandis que les attaques contre le bureau de la HCA se poursuivaient. L’organisation a par ailleurs appelé le poste de police de Vanadzor dès que des manifestants ont commencé à se masser devant ses locaux, afin de demander une présence policière renforcée, mais ces policiers supplémentaires ne sont arrivés que plusieurs heures plus tard, après que la foule se fut dispersée.

La police locale a ouvert une enquête sur les événements du 16 avril ; les organisateurs craignent toutefois que l’enquête ne soit pas impartiale, compte tenu de la nature politique de l’affaire et des déclarations empreintes de préjugés faites par les autorités chargées de l’enquête. Le 17 avril, la presse a relayé des propos qu’aurait tenus le procureur régional de Lori, selon lesquels « jeter des pierres et des œufs est une forme de protestation civile » ; il aurait ajouté que l’attaque contre cette ONG ne constituait pas une atteinte à l’ordre public ni un acte nécessitant l’intervention de la police.

Amnesty International rappelle aux autorités arméniennes qu’elles ont l’obligation positive, aux termes du droit international relatif aux droits humains, de protéger les personnes souhaitant exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression contre les tentatives de déstabilisation de ceux qui objectent à leurs messages. En s’abstenant de protéger les organisateurs du festival, les autorités arméniennes ont bafoué l’obligation qui est la leur, en vertu du droit international, de garantir la liberté d’expression à tous les citoyens, même lorsque ce qui est exprimé est vu comme polémique.

Complément d’information

Le Centre du Caucase pour les initiatives en faveur de la paix, basé à Erevan, a par le passé essayé à plusieurs reprises d’organiser des festivals de films azerbaïdjanais, en 2009, 2010 et 2011. À chaque fois, l’événement a été annulé pour des raisons de sécurité, et parce que les organisateurs et propriétaires des lieux censés accueillir le festival avaient semble-t-il été la cible de pressions. Le festival 2012 présentait quatre courts-métrages politiquement neutres réalisés en Azerbaïdjan en 2007 et 2008.

L’Arménie et l’Azerbaïdjan restent bloqués dans une dispute portant sur la région séparatiste du Haut-Karabakh. À la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, le conflit qui couvait en Azerbaïdjan a dégénéré en véritable guerre, faisant des milliers de morts et conduisant au déplacement de centaines de milliers de civils. Les autorités de la région du Haut-Karabakh ont déclaré unilatéralement l’indépendance de ce territoire en 1991, et maintiennent une autonomie de fait depuis un fragile cessez-le-feu entré en vigueur en 1994.

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