Le gouvernement agite " la peur du terrorisme" pour modifier sa constitution

Le 26 avril, le gouvernement hongrois a présenté un ensemble de mesures, incluant un « sixième amendement » à la Constitution (Magyarország Alaptörvénye, la Loi fondamentale hongroise) et des modifications de la législation régissant la police, les services de sécurité nationaux et les forces de défense nationale, en vue de simplifier le processus permettant d’instaurer l’état d’urgence dans le pays. Cet ensemble de mesures, visant à accorder au pouvoir exécutif de très vastes pouvoirs en matière de lutte contre le terrorisme avec d’importantes possibilités de restriction des droits humains, est examiné cette semaine par le Parlement hongrois.

Une version antérieure de ce projet, qualifié à l’époque par Amnesty International de « draconien », a été divulguée en janvier 2016. Certains des points les plus inquiétants de cette version divulguée ont été éliminés, mais le projet d’amendement et de mesures révisé repose toujours sur la notion extrêmement vague et beaucoup trop large de « situation de menace terroriste » (terrorveszélyhelyzet) ; si une telle situation est déclarée, le pouvoir exécutif disposera alors de très larges pouvoirs qui risquent d’engendrer des violations des obligations internationales de la Hongrie en matière de droits humains. En particulier, la notion de « situation de menace terroriste » est tellement mal définie qu’elle viole le principe de légalité, au titre duquel la loi doit être formulée en termes clairs et non ambigus.

La proposition de « sixième amendement » prévoit que :

• le Parlement aurait la possibilité de déclarer une « situation de menace terroriste », sans durée maximum, qui permettrait au pouvoir exécutif d’autoriser et d’appliquer les mesures d’exception énoncées dans les lois connexes sur la police, les services de sécurité nationaux et les forces de défense nationale ;

• au cours de la période pouvant atteindre 15 jours qui s’écoule entre le moment où le gouvernement lance une proposition de déclaration d’une « situation de menace terroriste » et celui où le Parlement déclare en vigueur cette situation (ce qui nécessite une majorité des deux tiers), le pouvoir exécutif aurait le pouvoir d’adopter des mesures d’exception qui en temps normal ne seraient autorisées qu’en cas de « situation de menace terroriste », à condition qu’il en informe le/la président/e et tout autre comité concerné ;

• en cas de « situation de menace terroriste » déclarée par le Parlement, le pouvoir exécutif serait alors habilité à prendre des décrets pour suspendre certaines lois et adopter de nouvelles mesures d’exception ;

• l’armée pourrait être déployée pour accomplir des missions de maintien de l’ordre à l’intérieur des frontières avant même que le Parlement ne déclare une « situation de menace terroriste » si le pouvoir exécutif considère que la police et les services de sécurité nationaux ne suffisent pas.

L’ensemble de propositions inclut également des dispositions visant à permettre au gouvernement – une fois qu’il a initié le processus de déclaration de « situation de menace terroriste » – de prendre des mesures au cours des 15 premiers jours pour :

• restreindre le droit de circuler librement sur le territoire national ;

• permettre le déploiement des forces de l’armée et de la police pour protéger des institutions et des infrastructures considérées comme essentielles pour la défense du pays ;

• placer tout le trafic aérien sous le contrôle de l’armée ;

• geler les avoirs et restreindre les droits de propriété d’États, de personnes, d’organisations ou d’entités juridiques considérés comme représentant une menace pour la paix internationale ou la sécurité nationale ;

• interdire ou restreindre l’organisation d’événements et les rassemblements dans des lieux publics ;

• donner au gouvernement toute latitude pour appliquer les mesures d’exception – qui n’ont pas encore été précisées – visant à lutter contre le terrorisme.

Ces pouvoirs seraient élargis au bout de 15 jours en cas d’approbation par le Parlement de la déclaration d’une « situation de menace terroriste »

Les autres dispositions de cet ensemble de mesures modifient les lois relatives à la police, à l’armée et aux services de sécurité nationaux afin que ces forces respectent tous les ordres édictés dans le contexte d’une « situation de menace terroriste ». Elles visent aussi à permettre à l’armée d’utiliser des armes à feu pour prévenir tout acte de violence au cours de la situation d’urgence déclarée. Cela irait à l’encontre des normes et du droit internationaux relatifs à l’utilisation des armes à feu par les responsable de l’application des lois, aux termes desquels les États sont tenus, dans le cadre de leur obligation de respecter le droit à la vie, de veiller à ce que les forces de sécurité respectent ces normes en toutes circonstances, y compris en cas de circonstances exceptionnelles telles que l’état d’urgence.

La déclaration d’une « situation de menace terroriste » reviendrait en fait pour la Hongrie à déclarer l’état d’urgence et à profiter de cette situation pour appliquer des mesures d’exception qui violeraient ses obligations en matière de droits humains. La déclaration de l’état d’urgence et toutes les dérogations connexes aux obligations en matière de droits humains généralement applicables pour les États, sont soumises à de strictes conditions au titre du droit international. Elles ne peuvent être décidées que si elles sont nécessaires et seulement dans la mesure où un gouvernement en a besoin pour faire face à une situation exceptionnelle, identifiable, dangereuse et imminente qui menace la vie de la nation ; de plus, toute mesure spéciale imposée au titre de l’état d’urgence doit être nécessaire et proportionnée pour faire face à une telle menace ; de telles mesures doivent être prévues par la loi et doivent être appliquées de façon non discriminatoire. L’état d’urgence déclaré et les mesures qui l’accompagnent doivent être temporaires, et assortis de garanties solides afin d’empêcher qu’ils ne soient prolongés au-delà de la durée qui est absolument nécessaire pour répondre à la menace.

Telle qu’elle se présente actuellement, la proposition de « sixième amendement » et de modifications législatives connexes est formulée de manière si vague et imprécise qu’elle ne respecte pas les conditions strictes énoncées par le droit international relatif aux droits humains, notamment par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tant en ce qui concerne la déclaration de l’état d’urgence en soi que les mesures spécifiques décidées au titre de l’état d’urgence, qui ouvrent largement la voie à de très sévères restrictions des droits à la liberté d’association et de réunion pacifique, du droit au respect de la vie privée et du droit de circuler librement. Amnesty International reste préoccupée par le fait que des pouvoirs aussi larges, avec si peu de contraintes, pourraient être utilisés de façon arbitraire par le gouvernement pour s’en prendre à des opposants politiques, des défenseurs des droits humains, des militants des droits humains, de la défense de l’environnement et des droits des LGBTI, entre autres, ainsi qu’à des minorités raciales, ethniques ou religieuses, notamment. Amnesty International est en particulier préoccupée par les larges pouvoirs qui seraient accordés aux forces de sécurité concernant l’utilisation d’armes à feu dans des circonstances qui vont bien au-delà de celles prévues par le droit international et les normes internationales et qui, en cas de mort, pourraient se traduire par une violation du droit à la vie.

Les États ont le devoir de protéger les personnes se trouvant sur leur territoire contre les menaces imminentes contre la vie. Mais le droit international relatif aux droits humains prévoit des critères et des limitations clairs en ce qui concerne les mesures que les gouvernements peuvent prendre pour respecter cette obligation. Les lois rédigées en termes flous sont susceptibles d’être appliquées de manière arbitraire et de donner lieu à des abus. Amnesty International demande aux autorités hongroises de veiller à ce que toute proposition d’amendement de la Constitution ou de modification législative visant à lutter contre le terrorisme soit pleinement conforme aux obligations internationales de la Hongrie en matière de droits humains.

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