La plupart des crimes relevant du droit international restent toujours impunis

Déclaration écrite d’Amnesty International qui sera présentée lors de la 33e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (du 13 au 30 septembre 2016)

En 2015, le Sri Lanka a coparrainé la Résolution 30/1 du Conseil des droits de l’homme sur la promotion de la réconciliation, de l’établissement des responsabilités et des droits humains au Sri Lanka. On constate des avancées positives depuis, notamment une plus grande ouverture dans le dialogue avec les procédures spéciales. Cependant, la lenteur des progrès dans la réalisation de nombreux aspects de l’ambitieux programme et le manque de transparence ont conduit des victimes et des défenseurs des droits humains à exprimer leur frustration.

La plupart des crimes relevant du droit international qui auraient été commis avant, pendant et après le conflit armé ayant longtemps opposé au Sri Lanka les forces gouvernementales aux Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE), qui a pris fin en 2009, n’ont pas fait l’objet d’investigations et sont restés impunis. En tant que co-parrain de la résolution, le Sri Lanka a promis de mettre en place des mécanismes destinés à rendre justice, à établir la vérité, à accorder des réparations et des garanties de non-répétition, conformément aux recommandations formulées dans le rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme sur le Sri Lanka. Parmi ces mécanismes figurent :

• un mécanisme judiciaire sous l’égide d’un conseiller spécial chargé d’enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits humains et de violations du droit international humanitaire ;

• une Commission pour la vérité, la justice, la réconciliation et la non-répétition ;

• un Bureau des personnes disparues ; et

• un Bureau des réparations.

Si des progrès ont été réalisés, beaucoup reste à faire.

Consultation publique

Les consultations publiques, sur lesquelles doit se fonder le processus de justice transitionnelle au Sri Lanka, sont en cours. Cependant, leur mise en œuvre est compromise par l’insuffisance des ressources du gouvernement, notamment pour faire connaître le processus auprès de toutes les populations touchées et pour mettre sur pied des mécanismes de protection efficaces afin que les victimes et leurs familles puissent participer en toute sécurité et en toute confiance. Il faut remédier à ces lacunes sans délai.

Bureau des personnes disparues

En août, le Parlement a voté une loi portant création d’un Bureau des personnes disparues pour aider les familles qui recherchent leurs proches.
Au moment de la rédaction de ce document, la version finale de la loi n’a pas été rendue publique. À la connaissance d’Amnesty International, elle contient de nombreux éléments positifs : une définition élargie des personnes disparues, de vastes pouvoirs pour mener des investigations avec la coopération des autorités nationales, un Département de protection des victimes et des témoins, la possibilité de fournir des certificats d’absence aux familles, des dispositions destinées à tenir les victimes et les familles informées des enquêtes, la création d’un délit d’outrage à l’autorité du Bureau, et un mandat permettant de recommander des réparations pour les victimes, notamment des garanties de non-répétition.

Bien que le Bureau ne soit pas habilité à engager des poursuites, il doit soumettre toutes les preuves liées à la responsabilité pénale individuelle concernant les disparitions, les enlèvements et d’autres crimes aux autorités compétentes, notamment au mécanisme judiciaire proposé, afin qu’elles ouvrent des informations judiciaires. Cette procédure est prévue par la loi.

Il importe que le Bureau des personnes disparues dise aux familles la vérité sur ce qu’il est advenu de leurs proches. Beaucoup craignent de ne pas connaître la vérité si la Loi sur le droit à l’information, adoptée récemment, ne s’applique pas aux informations confidentielles reçues par le Bureau. Le Bureau doit bannir la confidentialité sur toutes les informations qui priverait les familles de la vérité sur le sort ou la localisation de leurs proches, ou entraverait leur accès à la justice.

Le Bureau des personnes disparues reprendra les dossiers de la Commission présidentielle chargée d’enquêter sur les plaintes relatives aux personnes disparues (Commission Paranagama). Il doit bénéficier de ressources suffisantes afin de mener des enquêtes rapides, approfondies et efficaces. Des charniers et autres sites d’enterrement, qui contiendraient les restes des victimes de disparitions forcées, ayant été découverts, Amnesty International soutient la proposition du Centre pour des alternatives politiques (CPA), institut sri-lankais, de doter le Bureau des personnes disparues d’une expertise médicolégale afin d’enquêter sur les charniers, de superviser les exhumations et d’identifier les dépouilles.

Pour mettre sur pied d’autres mécanismes, le gouvernement peut tirer les leçons des failles du processus de rédaction de la loi portant création du Bureau des personnes disparues. Il a largement esquivé la consultation publique, ainsi que le débat parlementaire, ce qui a généré confusion et méfiance au sein de la population. Les tentatives de dernière minute visant à coopérer avec un petit nombre de « parties prenantes » triées sur le volet, avant la 32e session du Conseil des droits de l’homme, ont essuyé les critiques des militants et des familles de disparus, relayées dans le rapport du Groupe de travail sur la consultation au Sri Lanka.

Les familles des disparus, des militants et des Sri-Lankais affirment que le gouvernement n’a pas dûment expliqué son programme de réformes ni pris en compte les demandes d’une politique d’aide provisoire. Des proches de victimes actifs sur la question des disparitions forcées recommandent de nommer des représentants des victimes pour travailler avec le Bureau des personnes disparues, en vue de favoriser une participation accrue de la population.

Les Sri-Lankais doivent progresser sur les quatre piliers de la justice transitionnelle, et le gouvernement doit dès à présent prendre des mesures afin de rétablir la confiance de la population dans le processus.

Priorités pour de nouvelles avancées

Abroger la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA)

En juin, le président Maithripala Sirisena a ordonné à la police et aux forces armées sri-lankaises de se conformer aux directives publiées par la Commission des droits humains du Sri Lanka le 18 mai 2016, destinées à protéger les personnes arrêtées au titre de la PTA et d’autres dispositions d’urgence. Ces directives visent à mettre fin aux pratiques susceptibles de déboucher sur des violations des droits humains, telles que la non-identification des agents en charge des arrestations, le transport des suspects à bord de véhicules banalisés et la détention dans des lieux non officiels. En août, le Sri Lanka a présenté une déclaration en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture de l’ONU, reconnaissant la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par ou pour le compte de particuliers.

Ce sont des mesures positives visant à protéger les détenus, mais le gouvernement doit tenir sa promesse d’abroger la PTA, source de détention arbitraire, de torture et de disparitions forcées, et cesser tout recours à cette loi.

Réformer l’Ordonnance relative à la sécurité publique

En août, la Commission des droits humains du Sri Lanka a demandé aux autorités sri-lankaises de réviser l’Ordonnance relative à la sécurité publique, qui permet d’instaurer des dispositions d’urgence, afin de l’aligner sur les normes internationales. Désormais caduc, l’état d’urgence et les dispositions qui l’accompagnent ont repris de nombreuses dispositions de la Loi relative à la prévention du terrorisme et se sont souvent traduites par des périodes prolongées de détention.

Avancer sur des cas emblématiques de droits humains

Malgré les promesses répétées quant à l’avancement des investigations, l’impunité reste la norme dans la plupart des cas, notamment l’exécution extrajudiciaire en janvier 2006 de cinq étudiants à Trincomalee par les forces de sécurité sri-lankaises, l’homicide en août 2006 de 17 travailleurs humanitaires d’Action Contre La Faim, la disparition forcée du défenseur des droits humains Stephen Sunthararaj en 2009 après son enlèvement par les forces de sécurité, la disparition du dessinateur humoristique Prageeth Eknaligoda en janvier 2010 et la disparition des militants politiques Lalith Weeraraj et Kugan Muruganandan, aperçus pour la dernière fois à Jaffna en décembre 2011. Dans tous ces cas, les familles attendent depuis de nombreuses années d’obtenir vérité et justice.

Prendre des mesures énergiques pour protéger les défenseurs des droits humains et les journalistes

Les menaces visant les journalistes et les défenseurs des droits humains perdurent. Amnesty International a appris avec consternation que le journaliste Freddy Gamage avait été roué de coups le 2 juin par des partisans d’un responsable politique de Negombo. Blessé à la tête, il a dû être hospitalisé. Il avait reçu des menaces pour avoir écrit des articles dénonçant la corruption présumée de ce responsable politique et ses liens présumés avec le crime organisé. Freddy Gamage a déclaré à Amnesty International qu’il avait de nouveau été menacé par l’un de ses agresseurs présumés lorsqu’ils se sont retrouvés au tribunal, après qu’il l’a désigné lors d’une séance d’identification. Le gouvernement doit garantir sa protection.

Accorder des réparations provisoires aux victimes ayant besoin d’une aide immédiate

Élaborer un programme de réparations en consultation avec les victimes prend du temps. C’est pourquoi il faut mettre en place des mesures provisoires pour apporter de l’aide et des services à ceux qui en ont besoin de toute urgence – réadaptation, indemnisation et restitution des biens et des terres confisqués par l’armée durant le conflit notamment. Amnesty International salue la décision prise en août par le gouvernement, à savoir adopter une politique nationale visant à apporter des solutions durables aux personnes déplacées en raison du conflit armé, et l’encourage à la mettre en œuvre sans tarder afin de répondre aux besoins immédiats.

Afin de poursuivre les progrès, le système des Nations unies et les États membres doivent :

• fournir au Sri Lanka une assistance technique et un soutien financier pour mettre en place des mécanismes de justice, vérité et réparation conformes aux normes internationales, et des réformes légales et autres mesures afin de garantir la non-répétition ;

• insister sur les droits des victimes à des recours effectifs, en particulier l’accès des femmes à la justice, à la vérité et à des réparations, et sur des garanties de non-répétition qui remédient aux causes profondes des discriminations, liées au genre notamment ;

• insister pour que les nouveaux mécanismes se coordonnent et partagent des informations afin de garantir que les victimes obtiennent vérité, justice, réparations et des garanties de non-répétition ;

• aider les autorités sri-lankaises à mettre sur pied un système indépendant et efficace de protection des victimes et des témoins, conformément aux normes internationales ;

• conclure des accords avec le Sri Lanka pour réinstaller dans leurs pays les victimes et les témoins exposés à de gros risques en raison de leur coopération avec les mécanismes de justice, vérité et réparation ;

• aider le Sri Lanka à élaborer un programme rigoureux d’enquêtes liées aux droits humains pour les organismes chargés de l’application des lois et l’armée à des fins nationales, et veiller à enquêter sur tout le personnel sri-lankais participant aux opérations de maintien de la paix, formations ou programmes d’échange de l’ONU ;

• fournir une coopération et une assistance légale mutuelle afin d’appuyer les initiatives visant à poursuivre les auteurs présumés de crimes de droit international ou autres graves violations des droits fondamentaux, dans le cadre de procès équitables excluant le recours à la peine capitale.

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