L’impunité 5 ans après le soulèvement de 2011

Cinq ans après le soulèvement de 2011 à Bahreïn, durant lequel des manifestants non violents ont été frappés, blessés par balle et abattus dans la rue, les principales réformes introduites afin de lutter contre les violations des droits humains commises par les forces de sécurité n’ont toujours pas permis que justice soit rendue à la grande majorité des victimes et de leurs familles, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public lundi 21 novembre.

Ce rapport, intitulé Window-dressing or pioneers of change ? An assessment of Bahrain’s human rights oversight bodies, révèle les graves insuffisances de deux organes soutenus par le Royaume-Uni, mis en avant à plusieurs reprises par les autorités bahreïnites et britanniques comme preuve des avancées du pays sur le terrain des droits humains.

« On ne peut nier que le gouvernement baheïnite a fait un pas dans la bonne direction en établissant des institutions chargées d’enquêter sur les violations des droits humains et d’amener les responsables présumés à rendre des comptes. Malheureusement, ces réformes restent très insuffisantes. Les forces de sécurité continuent à recourir à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements dans un système d’impunité endémique notamment caractérisé par le manque d’indépendance de la justice », a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe des recherches au bureau régional d’Amnesty International à Beyrouth.

Les forces de sécurité continuent à recourir à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements dans un système d’impunité endémique

« Tout véritable changement doit aller au-delà de réformes cosmétiques. Les autorités bahreïnites ne peuvent continuer à tromper le monde avec un vernis de changement, alors que ceux qui ont rendu des comptes pour des violations sont rares et que les défenseurs des droits humains et les opposants continuent à faire l’objet d’arrestations arbitraires et de procès iniques, à être déclarés coupables et emprisonnés, à ne pas pouvoir se rendre à l’étranger ou à se voir déchus de leur nationalité. »

La répression brutale menée par le gouvernement bahreïnite durant le soulèvement de 2011 a suscité un tollé international. Sur la recommandation de la Commission indépendante d’enquête de Bahreïn, établie par le roi Hamad bin Isa al Khalifa, les autorités ont réagi en modifiant diverses lois et ont créé plusieurs institutions dont le rôle consiste à mener un suivi et enquêter sur les violations des droits humains, et à poursuivre leurs auteurs présumés.

Figurent parmi elles le bureau du médiateur du ministère de l’Intérieur et l’Unité spéciale d’enquête auprès du parquet, établis en 2012. Le Royaume-Uni, fidèle allié de Bahreïn, a dispensé des formations au personnel de ces instances et renforcé les capacités de celles-ci.

Si ces deux institutions comptent quelques réussites, le rapport d’Amnesty International souligne qu’elles ne sont pas parvenues jusqu’à présent à combattre les violations des droits humains de manière significative.

« En présentant le bureau du médiateur et l’Unité spéciale d’enquête comme des institutions modèles, le gouvernement britannique ne peut être sincère, compte tenu des défaillances pointées dans ce rapport. Au lieu de propager des demi-vérités dans le monde sur les progrès réalisés par Bahreïn, le Royaume-Uni et d’autres alliés internationaux doivent cesser de faire primer la coopération en matière de défense et de sécurité sur les droits humains », a déclaré Lynn Maalouf.

Le bureau du médiateur fait généralement preuve d’efficacité lorsqu’il transmet les plaintes pour torture et autres graves violations des droits humains à l’Unité spéciale d’enquête. Dans certains cas, cependant, il n’a pas agi promptement afin de protéger des détenus contre la torture et d’autres formes de mauvais traitements, ou pour enquêter sur leurs allégations ou garantir qu’ils puissent bénéficier de soins médicaux.

Par exemple, malgré les avertissements adressés par Amnesty International selon lesquels Hussain Jawad, un défenseur bahreïnite des droits humains, risquait d’être torturé après son arrestation le 16 février 2015, le médiateur s’est abstenu de lui rendre visite dans les meilleurs délais afin de prendre connaissance de ses conditions de détention et s’assurer qu’il ne risquait pas d’être torturé. Hussain Jawad a plus tard déclaré qu’on lui a bandé les yeux, qu’on l’a frappé tandis qu’il avait les poignets menottés derrière le dos et qu’on l’a menacé d’abus sexuels afin de lui arracher des « aveux ».

Le médiateur a par ailleurs repoussé pendant deux ans une enquête sur les allégations de torture formulées par Mohamed Ramadhan, un agent de sûreté aéroportuaire condamné à mort après avoir été déclaré coupable d’avoir été impliqué dans un attentat à la bombe, malgré les notifications adressées par la famille de cet homme et une organisation non gouvernementale internationale.

Si l’Unité spéciale d’enquête a avancé sur le terrain de l’obligation de rendre des comptes et a poursuivi 93 membres des forces de sécurité, seuls 15 officiers subalternes ont été déclarés coupables. Aucun haut-gradé ni haut-représentant en fonction alors que de graves violations des droits humains étaient commises durant le soulèvement de 2011 n’a fait l’objet de poursuites.

La grande majorité des cas présumés de torture et d’autres formes de mauvais traitements, de décès en détention et d’homicides illégaux n’ont pas été portés devant la justice par l’Unité spéciale d’enquête.

Sur les près de 200 cas enregistrés par Amnesty International depuis le soulèvement de 2011, moins de 45 ont ont déférés devant la justice.

Un de ces cas est celui d’Ali Hussein Neama, un garçon de 16 ans abattu par la police en septembre 2012. Si des éléments photographiques et son certificat de décès indiquent qu’on lui a tiré dans le dos, l’Unité spéciale d’enquête a conclu que le policier qui a fait feu avait agi en état de légitime défense et ne devrait pas être poursuivi, avançant que l’adolescent et un autre mineur avaient lancé des cocktails Molotov.

L’Unité spéciale d’enquête a par ailleurs fait preuve de lenteur lors de l’examen de plaintes. Dans un cas, les enquêteurs ont mis plus de deux ans pour recueillir des éléments de preuve auprès d’un prisonnier d’opinion affirmant avoir été torturé, ce qui signifie que certains éléments médicolégaux et autres qui auraient pu étayer ses affirmations étaient perdus.

Par ailleurs, ni le bureau du médiateur ni l’Unité spéciale d’enquête ne sont parvenus à gagner la confiance du public, en partie en raison de ce que celui-ci perçoit comme un manque d’indépendance et d’impartialité. Tous deux sont considérés comme trop proches du ministère de l’Intérieur et d’autres institutions gouvernementales, et ne tiennent pas les familles et victimes suffisamment informées de l’état d’avancement des enquêtes, ce qui alimente la méfiance.

Nazeeha Saeed, une journaliste, a décrit avoir été frappée, à coups de pied notamment, humiliée et soumise à des décharges électriques lors de son interrogatoire par les forces de sécurité en mai 2011. Trois ans plus tard, l’Unité spéciale d’enquête l’a ramenée dans la pièce où elle a été torturée, afin d’identifier ses tortionnaires, la laissant de nouveau traumatisée. Bien qu’elle ait identifié cinq des responsables présumés, aucun n’a eu à répondre de ses actes et l’affaire a été classée, « faute de preuves ».

Un cas emblématique est celui d’Ali Isa al Tajer, qui affirme avoir été torturé en détention pendant 25 jours. Le bureau du médiateur, qui n’a pas veillé à ce qu’il soit détenu dans un lieu sûr et protégé contre la torture, et l’Unité spéciale d’enquête, qui s’est abstenue de mener dans les meilleurs délais une enquête approfondie sur ses allégations de torture, notamment en n’effectuant pas rapidement d’examen médicolégal, ont manqué à leurs responsabilités envers lui. Les deux institutions n’ont par ailleurs pas réagi promptement aux informations selon lesquelles il était torturé, ni informé sa famille de manière adéquate quant à la progression de leur enquête.

« Ensemble, le médiateur du ministère de l’Intérieur et l’Unité spéciale d’enquête ont la capacité d’amener des changements fondamentaux et d’améliorer la situation globale des droits humains à Bahreïn. Mais pour être vraiment efficaces, ils doivent agir de manière prompte et transparente, et faire la preuve de leur indépendance. Cela devrait s’inscrire dans un processus plus large visant à mettre fin à l’impunité et aux pratiques répressives, notamment en garantissant l’indépendance de l’appareil judiciaire », a déclaré Lynn Maalouf.

« Le gouvernement bahreïnite a agi de manière cruciale en établissant ces institutions, et en leur accordant un mandat qui leur permettrait d’amener de véritables changements. Il doit désormais montrer l’exemple, en prouvant qu’il peut surmonter les obstacles politiques et juridiques à l’obligation de rendre des comptes dans le pays. Il doit faire preuve du courage et de la volonté politique requis afin de permettre au médiateur et à l’Unité spéciale d’enquête de devenir des institutions robustes et puissantes capables d’obtenir la confiance du public et d’agir comme des éléments dissuasifs contre les violations des droits humains. »

Complément d’information

Le rapport s’appuie sur plus de 90 entretiens recueillis depuis 2013 auprès de victimes de violations des droits humains, leurs proches et leurs avocats, ainsi que de défenseurs des droits humains, outre les informations obtenues par le biais d’une correspondance avec le gouvernement bahreïnite et les institutions locales concernées. Il se base aussi sur les résultats des recherches et du suivi continus menés par Amnesty International sur l’évolution de la situation des droits humains à Bahreïn.

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