L’accord de paix doit faire triompher la justice

La ratification de l’accord de paix marque le début d’un nouveau chapitre porteur d’espoir dans l’histoire de la Colombie, mais c’est maintenant que le vrai travail commence, a déclaré Amnesty International jeudi 1er décembre.

Mercredi 30 novembre dans la soirée, le Congrès a ratifié l’accord de paix conclu entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), après que l’accord initial a été rejeté à l’issue d’un référendum le 2 octobre.

Cette ratification prépare le terrain, en vue de la démobilisation et du désarmement des FARC dans le cadre d’un processus qui se déroulera sur une période de six mois.

L’accord révisé offre plus de clarté sur un certain nombre de points, notamment sur la forme que prendront les sanctions imposées aux responsables de crimes de droit international. Il force par ailleurs les FARC à livrer leurs avoirs, ce qui pourrait renforcer le droit des victimes à des réparations. L’accord contient cependant encore des lacunes concernant les garanties en matière de droits des victimes.

« La fin officielle d’un conflit armé sanglant ayant duré plus de 50 ans et fait quelque huit millions de victimes est un succès ne pouvant pas et ne devant pas être sous-estimé », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice pour la région Amériques à Amnesty International.

« Cependant, une grande partie des atrocités que les Colombiens ont été forcés à endurer pendant des décennies n’étaient souvent pas directement liées aux combats entre les forces de sécurité et les FARC. Des personnes œuvrant dans l’ombre, défendant les droits ou protégeant les ressources naturelles et les territoires ancestraux contre de puissants intérêts économiques continuent à être victimes de harcèlement et d’attaques meurtrières. Il est à craindre que l’accord de paix à lui seul ne puisse pas grand chose pour garder ces militants en sécurité. Ils ont besoin de mesures décisives, afin que les responsables de ces attaques soient présentés devant des tribunaux qui les amènent véritablement à rendre des comptes. »

Depuis 1985, près de sept millions de personnes ont été forcées à fuir leur domicile, plus de 267 000 ont été tuées, quelque 46 000 ont été victimes de disparition forcée, et environ 30 000 ont été prises en otage. Des milliers d’autres ont été victimes de torture, de violences sexuelles et de mines antipersonnel, tandis que 8 000 mineurs ont été recrutés de force par des groupes de guérilla et des groupes paramilitaires. Rares sont les responsables présumés qui ont été traduits en justice.

« Les séquelles de ces violations et l’impunité tenace qui caractérise la plupart des abus commis signifient que malgré l’accord de paix, un grand nombre de difficultés semble-t-il insolubles liées au conflit, qui se posent sur le plan humanitaire et des droits humains, persistent, et il existe un véritable risque que cela continue dans un environnement d’après conflit », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

Bien que les violences contre les civils dans le cadre d’affrontements aient nettement diminué, les attaques contre les défenseurs des droits humains, notamment les dirigeants de communautés indigènes, afro-colombiennes et paysannes, se poursuivent à un rythme alarmant, puisque plus de 70 ont déjà été tués cette année.

Nombre de ces attaques sont liées aux groupes armés qui cherchent à prendre le contrôle de terres riches en ressources appartenant à des communautés rurales, en vue de les exploiter à des fins de profit économique.

Si le conflit armé avec les FARC est officiellement terminé, d’autres conflits demeurent, notamment avec le groupe de guérilla Armée de libération nationale (ELN), tandis que les groupes paramilitaires continuent à représenter la menace la plus sérieuse pour les droits humains, en particulier dans les zones rurales.

Le processus de paix avec l’ELN devait commencer cette année, mais le refus du groupe de relâcher l’un de ses otages connus a retardé le processus.

« Si la Colombie entend réellement faire en sorte à long terme que le processus de paix fonctionne pour tout le monde, les autorités doivent veiller au respect du droit fondamental à la vérité, à la justice et à des réparations des millions de victimes que compte le pays », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

L’accord sur les victimes du conflit - un des pilliers de l’accord de paix, qui explique comment le droit des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations sera garanti par le biais d’un système de justice de transition - est indéniablement une avancée sur le terrain des droits des victimes, surtout lorsqu’on le compare aux précédents processus de paix en Colombie. Mais malgré les modifications apportées à l’accord, il n’est toujours pas conforme au droit international et aux normes internationales relatifs aux droits humains.

En particulier, Amnesty International a dénoncé à plusieurs reprises le fait que les sanctions ne sont pas en rapport avec la gravité de certains des crimes commis, et que la définition de la responsabilité de la chaîne de commandement pourrait permettre aux supérieurs, au sein des forces de sécurité comme des FARC, de se soustraire à leurs responsabilités concernant les agissements de leurs subordonnés.

« Il n’en reste pas moins que la Colombie doit respecter l’obligation qui lui est faite, aux termes du droit international relatif aux droits humains, de garantir le droit des victimes à la vérité, la justice et des réparations. Si l’on veut que la paix profite véritablement aux victimes, ce droit ne peut être compromis », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

Mais la condition, dans l’accord révisé, selon laquelle les FARC doivent abandonner leurs avoirs pourrait s’avérer importante au regard du droit des victimes à des réparations, mais seulement si des mesures sont mises en place afin que tous ces avoirs soient identifiés, cédés et véritablement utilisés pour soutenir les victimes.

« Cet accord doit déboucher sur la paix pour tous les Colombiens, y compris les victimes de violations des droits fondamentaux, les défenseurs des droits humains qui risquent leur vie pour défendre les droits des autres, les communautés rurales essayant de protéger leurs terres contre l’exploitation, et les femmes ayant connu des violences liées au genre qui se battent courageusement pour obtenir justice. Il faut que leurs voix se fassent entendre, à l’heure où la Colombie s’apprête à mettre en œuvre son processus de paix tant attendu », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

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