Communiqué de presse

Kenya. Il faut respecter la procédure légale s’agissant de la Liste des soutiens présumés au terrorisme

Le gouvernement kenyan doit réexaminer sans délai l’inscription d’organisations de défense des droits humains sur la liste officielle des personnes et entités soupçonnées de soutenir le terrorisme et veiller au plein respect de la procédure légale, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch lundi 13 avril 2015.

Cette liste comporte 86 personnes et entités, dont deux organisations de défense des droits humains, Muslims for Human Rights (MUHURI) et Haki Africa. Elle a été publiée au Journal officiel le 7 avril, quelques jours après l’attaque menée contre l’Université de Garissa, dans le nord-est du Kenya, qui a coûté la vie à 147 personnes, dont 142 étudiants. Le groupe islamiste Al Chabab a revendiqué cette attaque.

« La liste du gouvernement kenyan soulève de nombreuses questions et fait craindre que Haki Africa et MUHURI n’aient été prises pour cibles parce qu’elles font un important travail de recensement des violations des droits humains commises par les forces de sécurité, a déclaré Leslie Lefkow, directrice adjointe pour l’Afrique à Human Rights Watch. Les autorités kenyanes doivent offrir les garanties d’une procédure légale à toutes les personnes et entités inscrites sur la liste et ne pas cibler les organisations de défense des droits humains en raison de leur travail légitime. »

Haki Africa et MUHURI sont des organisations très respectées qui s’attachent à recueillir des informations sur les atteintes aux droits humains imputables aux forces de sécurité kenyanes, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En novembre 2013, MUHURI et l’Open Society Justice Initiative ont publié un rapport exposant les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées de terroristes présumés et de dignitaires musulmans dans les régions côtières, actes imputables à l’unité de police antiterroriste. Le directeur exécutif de MUHURI alors en place, Hussein Khaled, a reçu des menaces de mort peu après la publication de ce rapport.

La publication de la liste suscite de vives inquiétudes quant à la procédure légale, notamment en termes de délai et de possibilité de contester l’inscription, et de droit d’être informé. Les directeurs de Haki Africa et de MUHURI ont déclaré à Amnesty International et à Human Rights Watch qu’ils n’avaient pas reçu de note officielle et avaient appris par les médias que leurs organisations figuraient sur cette liste. L’avis du Journal officiel donne aux personnes et entités inscrites un délai de 24 heures pour démontrer aux autorités « pourquoi elles ne doivent pas être déclarées en tant qu’entité désignée ».

Être déclaré en tant qu’« entité désignée » a de lourdes implications, au-delà du gel des comptes bancaires. Au titre de la Loi sur la prévention du terrorisme de 2012, les « entités désignées » sont assimilées à des « groupes terroristes ». Le fait d’appartenir à un groupe terroriste est passible d’une peine de 30 ans de prison.

Le gouvernement kenyan doit réexaminer l’inscription de Haki Africa et de MUHURI sur la liste et permettre aux défenseurs et aux organisations de défense des droits humains de faire leur travail efficacement, sans craindre de représailles.

Selon les normes internationales relatives aux mesures de lutte contre le terrorisme, les gouvernements doivent mettre en place une procédure transparente d’inscription sur la liste et de radiation de la liste, fondée sur des critères précis, avec une norme appropriée, explicite et appliquée de manière uniforme, ainsi qu’un mécanisme de révision efficace, accessible et indépendant pour les personnes et entités concernées.

La Loi sur la prévention du terrorisme ne prévoit pas de mécanisme permettant de faire appel de la décision de la Commission, ce qui est susceptible de violer la Constitution du Kenya et le droit international. L’article 47 de la Constitution du Kenya de 2010 prévoit une action administrative, qui soit rapide, efficace, légale, raisonnable et équitable au niveau de la procédure. Le droit international prohibe l’imposition de sanctions gouvernementales sans garanties d’une procédure régulière.

« Avec cette mesure, la charge de la preuve incombe à l’accusé, sans réel avis préalable ni possibilité de faire appel, ce qui bafoue le droit kenyan et les normes internationales, a déclaré Muthoni Wanyeki, directrice régionale pour l’Afrique australe à Amnesty International. Les États sont tenus de protéger leur population contre les attaques violentes, mais doivent veiller à ce que toutes les mesures antiterroristes respectent le droit international humanitaire et relatif aux droits humains. »

Dès la publication de la liste, la Banque centrale du Kenya a demandé aux banques de geler les comptes des personnes et entités y figurant, y compris des organisations de défense des droits humains. La Loi sur la prévention du terrorisme, sur laquelle se fondent les sanctions, interdit aux organisations de recevoir des financements de toute autre source.

En outre, elle autorise le représentant du conseil des ministres, de sa propre initiative ou à la demande d’une nouvelle commission, la Commission interministérielle contre le financement du terrorisme, à « prendre un décret gelant les biens ou les fonds d’une entité désignée, qu’elle soit détenue directement ou indirectement par l’entité ou par une personne agissant au nom ou sous les ordres de l’entité. »

La loi prévoit que les organisations et les personnes inscrites sur la liste soient informées des motifs de cette décision. Or, Haki Africa et MUHURI ont appris leur inscription par les médias, ce qui leur a été confirmé lorsqu’elles sont allées retirer des fonds et que la banque leur a expliqué avoir reçu des directives de la Banque centrale du Kenya concernant le gel de leurs comptes.

Haki Africa et MUHURI ont annoncé le 10 avril qu’elles allaient contester devant les tribunaux leur inscription sur la liste et le gel de leurs comptes bancaires.

Amnesty International et Human Rights Watch craignent que l’inscription de ces deux organisations ne soit le signe d’une hostilité plus générale à l’égard de la société civile de la part du gouvernement du président Uhuru Kenyatta, qui a des relations difficiles avec les organisations de défense des droits humains depuis qu’il est arrivé au pouvoir il y a deux ans.

Les organisations de défense des droits humains, au Kenya comme à l’étranger, se sont dites inquiètes face aux efforts déployés par la coalition Jubilée au pouvoir pour restreindre l’espace dédié à la société civile et limiter leur travail. Dans son manifeste, la coalition Jubilée proposait de limiter le financement des organisations non gouvernementales émanant de l’étranger. En décembre 2013, le Parlement a rejeté une loi prévoyant un tel plafonnement, ainsi que des amendements restrictifs. Il est à craindre que le gouvernement ne tente de réintroduire ces mesures.

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