Les droits humains des peuples autochtones toujours en danger

« Je ne sais même pas comment expliquer les dégâts que cela [le barrage] va causer. »
Georges Desjarlais, Premières Nations de West Moberly, Colombie-Britannique, Canada

Un barrage hydroélectrique massif actuellement en construction dans la province canadienne de la Colombie-Britannique illustre le décalage qui persiste entre les discours et la réalité lorsqu’il s’agit des droits humains des peuples autochtones dans les Amériques.

Amnesty International lance aujourd’hui une campagne internationale visant à stopper la construction du barrage du site C, qui priverait les peuples autochtones de la vallée de la rivière de la Paix de l’accès à des terres et des eaux vitales pour leur culture et leurs moyens de subsistance.

Le gouvernement fédéral du Canada et le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique ont approuvé la construction du barrage du site C sans obtenir le consentement des peuples autochtones directement touchés par le projet. Des responsables du gouvernement canadien ont ouvertement reconnu que le processus de prise de décision qui a conduit à approuver la construction n’a jamais pris en compte la compatibilité de ce projet avec les obligations légales de protection des peuples autochtones qui lui incombent en vertu de la Constitution canadienne, ni avec un traité historique conclu entre le Canada et les Premières Nations dans la région. La construction avance, alors que des recours en justice contestant la construction ont été déposés par les Premières Nations de West Moberly et Prophet River.

« Il ne suffit pas que les pays disent qu’ils respectent les droits des peuples autochtones, déclare Erika Guevara Rojas, directrice régionale d’Amnesty International pour les Amériques. Les États doivent prendre des mesures pour faire respecter ces droits. Sinon, ils perpétuent les politiques de racisme et de discrimination qui ont conduit à des siècles d’appauvrissement et de dépossession des peuples autochtones dans les Amériques. »

La construction de ce barrage est d’autant plus inquiétante que l’expansion des activités liées à l’exploitation du pétrole et du gaz et à l’extraction d’autres ressources dans le nord-est de la Colombie-Britannique a déjà fortement réduit les terres dont disposent les peuples autochtones pour tenir leurs cérémonies, récolter de la nourriture pour leurs familles ou transmettre à leurs enfants leur culture et leurs traditions.

La synthèse de campagne publiée mercredi 10 août reprend les propos de Roland Willson, chef des Premières Nations de West Moberly : « Nous n’avons jamais dit non à la production d’énergie. Nous disons, protégeons la vallée. C’est la dernière partie de notre territoire encore relativement préservée. »

« Malheureusement, le barrage du site C n’est qu’un cas emblématique d’un schéma plus généralisé de violations des droits des peuples autochtones dans les Amériques  », selon Erika Guevara Rosas.

En 2011, dans la synthèse intitulée « Quand les droits sont bafoués au nom du développement », Amnesty International a attiré l’attention sur le préjudice causé aux Autochtones dans les Amériques par la dichotomie erronée et dangereuse du « développement contre les droits des populations indigènes ». Cette synthèse indiquait que l’on estime fréquemment que les peuples autochtones doivent supportent les répercussions sociales, économiques et environnementales de projets d’exploitation des ressources menés au profit d’autres secteurs de l’économie. De plus, quand les communautés autochtones s’organisent pour réclamer le respect de leurs droits, l’État et d’autres acteurs les accusent de bloquer la croissance du pays tout entier.

Ce schéma régional mis en évidence en 2011 ne s’est pas amélioré. Au cours des cinq dernières années, des progrès considérables ont été accomplis sur le plan de la reconnaissance des droits des Autochtones de la part des États aussi bien que des entreprises. Cependant, comme l’illustre le cas du barrage du site C au Canada, il est malheureusement toujours courant dans la région que soient approuvés des projets d’exploitation des ressources extrêmement destructeurs au mépris de la volonté des collectivités autochtones touchées.

En juin, les États membres de l’Organisation des États américains ont approuvé un nouvel instrument régional de protection des droits humains : la Déclaration américaine des droits des peuples autochtones. Ils se sont explicitement entendus sur le fait que la Déclaration américaine serait comprise et interprétée en faisant fond sur les normes mondiales minimales établies en 2007 dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Les signataires de la nouvelle Déclaration réaffirment l’obligation de respecter le droit des peuples autochtones à donner leur consentement libre, préalable et éclairé concernant les mesures juridiques et administratives qui les affectent, ainsi que les projets qui touchent leurs terres et leurs ressources.

La confirmation du droit à donner ce consentement libre, préalable et éclairé, qui figure dans la Déclaration américaine, s’oppose au fait que la plupart des pays de la région n’ont pas encore intégré la notion d’un tel consentement à leur législation nationale. Au Pérou, par exemple, la loi ne garantit qu’un droit à être « consulté », dont le respect laisse d’ailleurs grandement à désirer.

« Les peuples autochtones des Amériques se sont longuement battus, avec acharnement, pour faire reconnaître leurs droits. De nombreux défenseurs des droits humains ont payé de leur vie pour qu’ils acquièrent le degré actuel de reconnaissance. Pourtant, le décalage entre la reconnaissance et l’application de ces droits reste énorme  », a fait observer Erika Guevara Rosas.

En 2015-2016, Amnesty International a attiré l’attention sur les violations des droits fondamentaux des peuples autochtones, notamment les agressions, les recours excessifs à la force et les meurtres, qui menaçaient leurs droits de disposer de leurs terres, territoires et ressources naturelles, ainsi que leur culture et leur existence même. Des milliers d’Autochtones étaient toujours en butte à la pauvreté, à l’exclusion, aux inégalités et aux discriminations, notamment en Argentine, en Bolivie, au Canada, au Chili, en Colombie, au Mexique, au Paraguay et au Pérou. Des peuples autochtones ont continué à être déplacés de force et chassés de leurs terres par des acteurs étatiques et non étatiques, notamment des entreprises et des propriétaires fonciers, pour des questions de développement économique.

Leur droit d’être véritablement consultés et de donner préalablement leur consentement libre et éclairé a été bafoué à maintes reprises par les responsables de projets de développement, notamment dans le secteur des industries extractives, ce qui a mis en danger leur culture et leur environnement et entraîné le déplacement forcé de communautés entières.

Dans ce contexte, les normes internationales relatives aux droits humains jouent un rôle déterminant en insistant sur l’importance de la participation des peuples autochtones aux décisions qui touchent leurs vies et leur avenir. Des principes comme celui du consentement libre, préalable et éclairé assurent une protection contre des décisions qui causeraient un préjudice encore plus grand aux collectivités déjà marginalisées et servent de tremplin aux peuples autochtones pour poursuivre leur développement économique selon leurs propres besoins et valeurs.

Les États des Amériques ne se sont pas dûment attaqués à la discrimination profonde à l’égard des peuples autochtones. Les Autochtones demeurent surreprésentés parmi les gens qui vivent dans la pauvreté dans la région. Rares ont été les réparations qui leur ont été accordées pour des siècles d’expropriation et de marginalisation. En l’absence de mesures concrètes visant à restaurer l’autosuffisance des collectivités autochtones, le déséquilibre des forces qui caractérise les négociations entre les peuples autochtones et les entreprises ou l’État se maintiendra, sans laisser de place à de véritables processus de consultation et de consentement.

Le nouveau document de synthèse d’Amnesty sur le barrage du site C dans la province canadienne de la Colombie-Britannique se penche sur les engagements médiatisés pris par le gouvernement fédéral à propos du respect des droits fondamentaux des peuples autochtones conformément au droit national et international. En tenant ses promesses, le gouvernement améliorerait considérablement la vie des peuples autochtones au Canada, mais il montrerait en outre l’exemple dans les Amériques et à travers le monde entier.

Le document fait référence aux propos de Lynette Tsakoza, chef de la Première Nation de Prophet River : « Il n’est pas trop tard pour changer de cap. Les dégâts causés à la rivière de la Paix ne sont pas encore irréversibles. En stoppant la construction du barrage du site C, le gouvernement a une occasion idéale de montrer à tous les Canadiens que la réconciliation lui tient à cœur. »

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