GUINÉE ÉQUATORIALE/ NIGÉRIA - Inquiétudes concernant un procès inique, des actes de torture et des « disparitions » présumées

Index AI : AFR 24/017/2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International est préoccupée par les allégations de torture et le procès inique de quelque 70 personnes inculpées de diverses infractions dans le cadre d’une supposée tentative de coup d’État en Guinée équatoriale, le 8 octobre 2004. L’organisation redoute également que trois des personnes inculpées par contumace ne « disparaissent » ou ne soient soumises à des actes de torture ou autres mauvais traitements.

Vingt-deux hommes et une femme ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement par un tribunal militaire (Consejo de Guerra) de Bata, en Guinée équatoriale. Pas moins de six ont été jugés par contumace. Le procès, qui s’est déroulé du 6 au 19 septembre 2005, n’a respecté ni le droit international ni les normes internationales d’équité. Les accusés déclarés coupables n’ont pas le droit d’interjeter appel.

Ces 23 personnes faisaient partie d’un groupe de quelque 70 soldats, anciens soldats et proches de l’instigateur présumé de la tentative de coup d’État, dont plusieurs femmes. Ils ont été inculpés d’avoir porté atteinte à la sûreté de l’État et tenté de renverser le gouvernement, mais aussi de rébellion, trahison et faute lourde. Le ministère public avait requis la peine capitale à l’encontre de six d’entre eux, dont au moins trois ont été jugés par contumace : le lieutenant-colonel Cipriano Nguema Mba, instigateur présumé, le lieutenant-colonel Florencio Elá Bibang et Felipe Esono Ntumu, alias « Pancho ».

Neuf personnes, dont celles jugées par contumace, ont été condamnées à une peine de trente ans d’emprisonnement, pour avoir porté atteinte à la sûreté de l’État et tenté de renverser le gouvernement. Onze autres, dont Florencia (ou Florentina) Nchama Mba, une femme, ont été reconnues coupables de complicité (encubridores) dans ces mêmes crimes et condamnées à vingt-et-un ans d’emprisonnement. Francisco Mba Mendama, alias « Efe Pulé », également déclaré coupable d’avoir porté atteinte à la sûreté de l’État et condamné à une peine de trente ans, et deux autres prévenus, ont été reconnus coupables de trahison et condamnés à vingt-cinq ans d’emprisonnement. Un autre s’est vu infliger une peine de prison de douze ans.

Amnesty International note avec satisfaction que le tribunal n’a pas prononcé de peine capitale.

Toutefois, l’organisation de défense des droits humains est préoccupée par les faits suivants :

 Le tribunal n’a pas tenu compte des allégations de torture, qui n’ont fait l’objet d’aucune enquête. La plupart des accusés avaient été arrêtés dans le district de Mongomo, situé dans l’est de la région continentale du Río Muni, en octobre et novembre 2004, et avaient depuis été détenus au secret dans la prison de Bata. Des déclarations qui auraient été arrachées sous la torture durant cette période de détention au secret ont été retenues à titre de preuve, en violation du droit international. Tous les accusés sauf deux auraient déclaré lors du procès avoir été torturés en détention et certains portaient encore, semble-t-il, des marques visibles. Selon certaines sources, un homme toujours incapable de marcher a dû être porté jusqu’à la salle d’audience. En outre, une femme souffrirait de saignements vaginaux consécutifs aux tortures subies. Amnesty International demande que les allégations de torture fassent de toute urgence l’objet d’enquêtes impartiales et indépendantes, et que les personnes soupçonnées d’y avoir participé soient traduites en justice.

 Le procès n’a pas respecté les normes internationales d’équité. Au moins six personnes ont été jugées par contumace, en violation du droit national et international. Dans toutes ces affaires, les avocats de la défense n’ont pas reçu l’acte d’accusation intégral, mais uniquement les déclarations de leurs clients. En outre, ils se sont vus refuser le droit de procéder au contre-interrogatoire des accusateurs. Les accusés déclarés coupables n’ont pas le droit d’interjeter appel de la déclaration de culpabilité et de la peine.

 La sécurité de trois des personnes condamnées par contumace est gravement menacée. L’organisation redoute que l’ancien capitaine de la marine Juan Ondó Abaga, condamné à trente ans d’emprisonnement, l’ancien lieutenant-colonel Florencio Elá Bibang et Felipe Esono Ntumu « Pancho » n’aient en fait « disparu ». Le 20 septembre, annonçant leurs condamnations, la radio nationale équato-guinéenne a déclaré qu’ils se trouvaient hors du pays. Pourtant, selon les informations reçues par Amnesty International, ils ont été maintenus en détention à la prison de Black Beach, à Malabo, depuis qu’ils ont été enlevés dans le courant de l’année au Bénin et au Nigéria. L’ancien capitaine de la marine Juan Ondó Abaga, réfugié résidant au Bénin, aurait été enlevé dans ce pays par les forces de sécurité équato-guinéennes en janvier 2005 et conduit à la prison de Black Beach, où il aurait été torturé. L’ancien lieutenant-colonel Florencio Elá Bibang et Felipe Esono Ntumu « Pancho » avaient fui la Guinée équatoriale en octobre 2004. Ces deux hommes, ainsi qu’Antimo Edú, qui n’a semble-t-il pas été jugé, ont été interpellés à Lagos, au Nigéria, fin avril 2005. Ils ont ensuite été maintenus en détention au secret, tout d’abord au siège des services de renseignements militaires à Lagos, puis dans les locaux du Service de sécurité de l’État à Abuja. Ils auraient ensuite été enlevés le 3 juillet 2005 par des membres des services de sécurité équato-guinéens - semble-t-il avec la complicité des forces de sécurité nigérianes. Selon certaines sources, ils ont été sauvagement torturés à la prison de Black Beach. On sait également que Florencio Elá Bibang est atteint d’une hépatite C.

Amnesty International engage les autorités de Guinée équatoriale à révéler immédiatement où se trouvent ces hommes et à les autoriser à recevoir la visite de leurs familles et de leurs amis, ainsi que des avocats et des médecins de leur choix.

Déplorant que les autorités nigérianes ne les aient pas protégés contre cet enlèvement, l’organisation leur rappelle qu’elles sont tenues, en vertu de la Convention de l’Organisation de l’unité africaine sur les réfugiés de 1969 et du droit international coutumier, de ne pas renvoyer de force une personne vers un pays où elle risque d’être victime de graves atteintes aux droits humains.

Enfin, Amnesty International invite les autorités nigérianes à mener sans délai une enquête indépendante et impartiale sur l’enlèvement au Nigéria de ces trois hommes, à traduire tous les responsables présumés en justice et à accorder pleine et entière réparation aux victimes.

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