Guinée équatoriale. Arrestations et mort en détention d’un opposant politique


Déclaration publique

Amnesty International s’inquiète de la dégradation de la situation des droits humains en Guinée équatoriale à l’approche des élections législatives et municipales prévues le 4 mai 2008.

Des opposants politiques ont été récemment arrêtés, plusieurs d’entre eux sont toujours détenus dans avoir été inculpés ni jugés. Certains auraient été battus en détention pour qu’ils fassent des aveux.

Amnesty International est très inquiète après la mort en garde à vue, dans la nuit du 12 au 13 mars 2008, de Saturnino Ncogo Mbomio, membre du Parti du Progrès de Guinée équatoriale (Partido del Progreso de Guinea Ecuatorial – PPGE), un parti politique interdit. Aucune enquête sur sa mort n’a, à ce jour, été ouverte et il n’y a pas eu d’autopsie pour établir la cause de la mort. Amnesty International demande l’ouverture dans les meilleurs délais d’une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur la mort de Saturnino Ncogo Mbomio, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains.

Saturnino Ncogo Mbomio a été arrêté après la prétendue découverte, le 4 mars 2008, de trois armes dont une mitrailleuse, un vieux mousquet et des munitions dans le coffre d’une voiture d’occasion exportée du port de Sagunto, dans l’est de l’Espagne vers la Guinée équatoriale. Selon le gouvernement de Guinée équatoriale, les armes devaient servir à la préparation d’un coup d’État fomenté par Severo Moto, dirigeant du PPGE interdit, qui vit actuellement en exil en Espagne et a été arrêté par la police espagnole à Tolède, en Espagne, le 14 avril 2008 pour trafic d’armes.

Au moins sept autres personnes, membres présumés ou anciens membres du PPGE ont été arrêtées entre le 12 et le 14 mars 2008 à Malabo, capitale de la Guinée équatoriale.

Saturnino Ncogo Mbomio était, selon les autorités, chargé de réceptionner la voiture. Il a été arrêté par des membres de la police de la sécurité le 12 mars 2008 au matin à son domicile, dans la banlieue de New Building à Malabo. Ils l’ont accusé de « cacher des choses chez lui ». Il a d’abord été emmené au poste de police central de Malabo où il a été interrogé pendant plusieurs heures et où il aurait également été torturé. Dans l’après-midi, des policiers l’ont ramené à son domicile qu’ils ont perquisitionné. Selon les informations qui ont été communiquées à Amnesty International, Saturnino Ncogo Mbomio n’arrivait pas à se tenir debout pendant la perquisition de son domicile et devait être soutenu par deux policiers. Au cours de la fouille, les policiers ont trouvé des armes enfouies sous le plancher qui ont été ensuite montrées à la télévision nationale. Il y avait trois fusils d’assaut, un fusil sniper, un pistolet muni d’un silencieux et des munitions.

Saturnino Ncogo Mbomio a ensuite été ramené au poste de police pour y être de nouveau interrogé. Selon les informations dont nous disposons, la police lui aurait demandé de donner les noms des personnes impliquées dans le complot présumé, mais il aurait nié l’existence d’un quelconque complot. Plus tard dans la soirée, il a été transféré à la prison de Black Beach où il est mort dans sa cellule durant la nuit. Selon les autorités, il se serait jeté du lit le plus haut et se serait fracturé le crâne.

Sa famille n’a pas été informée immédiatement de sa mort. Son corps a été transféré de la prison à la morgue et placé dans une pièce dont l’électricité avait été coupée. Selon les informations dont nous disposons, deux jours plus tard, le 15 mars, le Premier ministre a appelé les proches de Saturnino Ncogo Mbomio pour les informer de son suicide ; il leur a montré des images de la chaîne de télévision centrale CCTV montrant Saturnino Ncogo Mbomio dans sa cellule avant sa mort mais pas au moment de sa mort. Le Premier ministre aurait demandé à la famille d’aller chercher le corps à la morgue pour l’enterrer au plus vite car il commençait à se décomposer. La famille a fait savoir qu’en raison de l’état avancé de décomposition du corps, la seule blessure visible était la fracture du crâne.

Amnesty International est préoccupée par le fait que les autorités n’ont pas mené d’enquête approfondie et impartiale sur la mort de Saturnino Ncogo Mbomio afin de déterminer la cause précise de son décès (voir normes internationales ci-dessous).

L’arrestation de Saturnino Ncogo Mbomio est intervenue après l’arrestation d’au moins sept autres membres présumés du PPGE. Trois ont été remis en liberté sans avoir été inculpés ni jugés après une période de détention allant de trois à douze jours. Ils n’ont pas été torturés ni maltraités pendant leur détention. Toutefois, quatre autres sont toujours détenus sans inculpation ni jugement. Trois se trouvent au poste de police central et le quatrième à la prison de Black Beach. L’un d’entre eux au moins aurait subi des actes de torture. Selon les informations reçues par Amnesty International, l’un de ceux qui sont détenus au poste de police central aurait eu les bras, mains et jambes attachés très serrés, avant d’être frappé à coups de matraque sur les fesses pour lui faire avouer qu’il savait que Saturnino Ncogo Mbomio détenait des armes. Gerardo Angüe, détenu à la prison de Black Beach, aurait reconnu qu’il connaissait Saturnino Ncogo Mbomio, mais aurait nié avoir eu connaissance de l’existence des armes ou d’un complot visant à renverser le gouvernement. Il n’a encore été inculpé officiellement d’aucune infraction mais on lui aurait dit qu’il serait jugé. Selon l’article 302 du Code de procédure pénale de Guinée équatoriale, les détenus doivent avoir été informés du motif de leur arrestation ou des charges pesant contre eux et comparaître devant un juge dans les soixante-douze heures pour que leur arrestation soit légalisée, conformément à ce que stipule l’article 497 du Code de procédure pénale. Selon les informations reçues par Amnesty International, Gerardo Angüe n’aurait pas été torturé ni maltraité.

En dépit de la promulgation en novembre 2006 d’une loi interdisant la torture (Loi n°6/2006 sur la prévention et la sanction de la torture du 2 novembre 2006 – Lei N°6/2006 sober la Prevención y Sanción de la Tortura, 2 de noviembre de 2006), celle-ci continue d’être pratiquée en toute impunité. En 2007, Amnesty International a eu connaissance d’allégations de torture ayant causé la mort dans au moins trois affaires.

À la connaissance d’Amnesty International, un seul policier a été traduit en justice pour avoir ordonné le passage à tabac d’un homme qui en est mort. Le policier, qui avait été arrêté en novembre 2007, a été jugé le 28 mars 2008 et condamné à six mois d’emprisonnement. Au moins trois autres policiers et soldats qui avaient également été arrêtés en novembre 2007 pour avoir été impliqués dans des actes de torture sur plusieurs détenus - trois en étaient mort – ont été remis en liberté sans inculpation et rétablis dans leurs fonctions.

Au regard du droit international, la Guinée équatoriale a obligation de veiller à ce que nul ne soit soumis à la torture ou d’autres mauvais traitements en quelques circonstances que ce soit. Toute personne a droit à un procès équitable.

En conséquence, Amnesty International appelle les autorités de Guinée équatoriale à mettre immédiatement fin à la torture et aux mauvais traitements de quelque nature qu’ils soient. Toutes les allégations de torture ou mauvais traitements doivent faire l’objet dans les meilleurs délais d’enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales, menées conformément aux règles du droit international ; les personnes soupçonnées d’être impliquées dans de tels actes doivent être poursuivies et jugées selon une procédure répondant aux normes internationales d’équité des procès.

En outre, l’organisation demande instamment que soit ouverte de toute urgence une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur la mort de Saturnino Ngoco Mbomio et que ses conclusions soient rendues publiques.

De plus, l’organisation demande que tous les détenus soient remis en liberté ou inculpés d’une infraction dûment reconnue par la loi et traduits en justice dans les meilleurs délais.

Complément d’information
L’Ensemble de principes des Nations unies pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement établit, dans le Principe 34, que si une personne détenue ou emprisonnée vient à décéder ou à disparaître pendant la période de sa détention ou de son emprisonnement, une autorité judiciaire ou autre ordonnera une enquête sur les causes du décès ou de la disparition et que les résultats de cette enquête seront rendus publics.

Selon le Principe 9 des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions : « Une enquête approfondie et impartiale sera promptement ouverte dans tous les cas où l’on soupçonnera des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, y compris ceux où des plaintes déposées par la famille ou des informations dignes de foi donneront à penser qu’il s’agit d’un décès non naturel ... L’enquête aura pour objet de déterminer la cause, les circonstances et le jour et l’heure du décès, le responsable et toute pratique pouvant avoir entraîné le décès, ainsi que tout ensemble de faits se répétant systématiquement. Toute enquête devra comporter une autopsie adéquate, le rassemblement et l’analyse de toutes les preuves physiques ou écrites et l’audition des témoins. L’enquête distinguera entre les morts naturelles, les morts accidentelles, les suicides et les homicides. »

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