Finlande. Une enquête plus poussée doit être menée sur les vols affrétés par les États-Unis pour effectuer des « restitutions »

Amnesty International demande au gouvernement finlandais de mener une enquête exhaustive et efficace sur son rôle dans le programme de « restitutions » mené par les États-Unis, à la lumière des données aéronautiques dévoilées par les autorités finlandaises en octobre et novembre.

En effet, le 28 octobre et le 3 novembre, le ministère finlandais des Affaires étrangères a divulgué des informations laissant à penser que la Finlande avait participé de manière active aux programmes de « restitution » et de détention secrète conduits par l’Agence centrale du renseignement (CIA) des États-Unis. Les données aéronautiques qui ont été publiées indiquent qu’un certain nombre de vols de « restitution » auraient eu lieu entre 2001 et 2006 vers ou depuis la Finlande.

Amnesty International salue la publication de ces informations, mais déplore que certaines questions concernant l’implication de la Finlande dans les « restitutions » demeurent sans réponse. Il est désormais urgent que la Finlande mène une enquête indépendante, impartiale, approfondie et efficace sur la nature précise de sa participation à ces opérations.

En septembre, Amnesty International a présenté au gouvernement de nouveaux éléments attestant que plusieurs avions avaient atterri en Finlande dans le cadre du programme de « restitutions » de la CIA et a sollicité de plus amples informations sur d’autres vols.

Après avoir publié ces informations, le ministère finlandais des Affaires étrangères a affirmé que tous les vols figurant sur ces listes de données sauf un étaient de nature « civile », c’est-à-dire effectués par des compagnies aériennes privées et non gouvernementales, ni sur ordre du gouvernement américain.

Selon les autorités finlandaises, ces vols étaient sans rapport avec d’éventuelles activités illégales imputables aux États-Unis ou à tout autre État. Concernant le seul vol désigné comme « gouvernemental » – un aller-retour effectué en décembre 2002 d’Helsinki à la base aérienne de Manas, au Kirghizistan – les autorités finlandaises ont affirmé qu’elles demanderaient des éclaircissements aux États-Unis.

La distinction faite par le gouvernement finlandais entre aéronef « civil » et « gouvernemental » dans le contexte des « restitutions » est manifestement mensongère. Il est établi et largement reconnu que la CIA a affrété des avions privés – dont plusieurs apparaissent parmi les données récemment diffusées – dans le but de procéder à des « restitutions ».

Divers éléments montrent clairement que la CIA s’est intentionnellement cachée derrière des compagnies aériennes civiles pour ses opérations de « restitutions » secrètes, précisément dans le but de dissimuler le fait que les avions effectuaient des missions de transfert de terroristes présumés dans le cadre de la lutte mondiale contre le terrorisme menée par le gouvernement américain.

Amnesty International demande au gouvernement finlandais de reconnaître que si de nombreux vols effectués dans le cadre des programmes de « restitution » et de détention secrète de la CIA ont été affrétés par des compagnies privées, elles étaient sous contrat avec le gouvernement américain. Ainsi, les équipages de ces aéronefs ont officié en tant qu’agents effectuant pour le compte du gouvernement américain des missions officielles de « restitutions ». Aussi, tout vol figurant dans la liste de données publiées par le ministère finlandais des Affaires étrangères dont on soupçonne qu’il s’inscrit dans le cadre de ces programmes doit sans délai faire l’objet d’une enquête.

Au regard de l’examen poussé de ces données, plusieurs vols soulèvent des interrogations quant à l’éventuelle implication de la Finlande dans le programme de « restitutions ».

Parmi ces vols figurent notamment :

– le 25 mars 2006, un vol immatriculé N733MA se serait posé à Helsinki, lors même que, d’après les autorités lituaniennes, il a atterri en Lituanie le même jour. Le gouvernement lituanien a aussi admis avoir accueilli sur son territoire deux prisons secrètes de la CIA ayant été préparées pour recevoir des détenus. L’avion avait décollé à Porto, au Portugal, et, selon les données publiées par la Finlande, s’est posé à Helsinki à 20h37. On ne dispose pas de l’heure de départ ni de la destination, pas plus que de données de facturation. Le gouvernement finlandais a déclaré dans la presse que cet avion n’avait jamais atterri sur le sol finlandais. Des articles de novembre 2009 citaient un ancien agent de la CIA, dont l’identité n’était pas dévoilée, selon lequel les pilotes qui se rendaient en Lituanie déposaient des plans de vol « fictifs » avec atterrissage dans les pays voisins, le plus souvent la Finlande et la Pologne ;

– un vol de mai 2003, immatriculé N8213G, de Francfort à Helsinki. Le ministre finlandais de la Défense a déclaré dans un communiqué de presse le 25 novembre 2005 que l’avion avait atterri à Helsinki le 16 mai à 16h30, qu’il était affrété par Prescott Support et transportait 10 membres d’équipage et une cargaison destinée à l’ambassade américaine. Toutefois, d’après les données qui viennent d’être publiées, l’avion a atterri à Helsinki à 13h46, il ne transportait pas de cargaison et le vol a été facturé à l’armée de l’air ;

– en septembre 2004, un vol immatriculé N88ZL en provenance de Bagram (Afghanistan) et à destination de la Finlande, a atterri à Helsinki à 13h18 et est reparti pour Washington D.C. le lendemain matin vers 5 heures. D’après les nouvelles données, 13 passagers se trouvaient à bord de cet appareil et le vol a été réglé en liquide. Une étude sur les détentions secrètes rendue publique en 2010 par les Nations unies a indiqué qu’un avion en provenance de Bagram s’était posé en Lituanie le 20 septembre. D’après ABC News, l’avion qui s’est posé en Lituanie était immatriculé N88ZL ;

– un vol de juillet 2005, immatriculé N1HC, en provenance de Kaboul (Afghanistan) a atterri à Helsinki. Les documents de travail d’un rapport du Parlement européen datant de 2006 avaient établi que cet aéronef était lié au programme de « restitution ». Les données finlandaises indiquent qu’il est arrivé de Kaboul à 18h47 et est reparti vers Tulsa à 19h23. Aucune donnée n’indique comment cet aéronef s’est rendu des États-Unis jusqu’à Kaboul ; cependant, certaines informations suggèrent que l’avion est parti de Richmond, aux États-Unis, pour Bakou, en Azerbaïdjan, puis jusqu’à Helsinki via Kaboul ;

– un vol de mars 2004, immatriculé N510MG, a effectué le trajet Cleveland-Helsinki-Tunis-Helsinki : parti de Cleveland, l’avion a atterri à Helsinki le 8 mars à 2h13 sans aucun passager à bord, et est reparti pour Tunis à 3h31 avec six passagers à bord. Il est revenu à Helsinki le 11 mars à 17h45 depuis la Tunisie, avec huit passagers à bord, et est reparti le même jour pour Cleveland à 18h45, avec quatre passagers à bord. Le vol de Tunis à Helsinki a été réglé en liquide ; dans les données de facturation, aucune compagnie n’est répertoriée comme ayant versé cette somme. OM Group est la société facturée pour les autres étapes du voyage ;

– plusieurs autres vols, immatriculés N510MG, à destination de pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (Tunisie, Maroc, Égypte), où l’on sait que des victimes de « restitutions » ont été transférées pour y être incarcérées et interrogées.

Les autorités finlandaises doivent diligenter une enquête plus poussée sur chacun de ces vols afin de déterminer dans quelle mesure ces avions ont pris part aux opérations de « restitutions ». Par ailleurs, dans une lettre adressée à Erkki Tuomioja, ministre finlandais des Affaires étrangères, Amnesty International, tout en reconnaissant que les données publiées comportent les numéros d’immatriculation de certains aéronefs utilisés dans le cadre du programme américain de « restitutions », a déploré que des informations essentielles n’y figurent pas.

Les catégories d’informations qui n’ont pas été fournies de manière complète sont notamment : la provenance des données, les plans de vol complets, les éventuelles procédures de contrôle douanier ou de l’immigration effectuées, des informations détaillées sur le statut des vols et l’octroi de dérogations ou d’autorisations spéciales, des précisions sur les passagers, notamment le nombre de membres au sein de l’équipage et l’identité des passagers à bord de chaque vol qui sont réellement entrés sur le territoire finlandais. Amnesty International demande que ces informations soient recherchées et diffusées dès que possible.

Il convient également de s’interroger sur les raisons pour lesquelles ces informations n’ont pas été divulguées plus tôt, d’autant que ces révélations surviennent plusieurs années après que le Conseil de l’Europe et le Parlement européen aient soumis des requêtes au gouvernement finlandais dans le but d’obtenir des informations sur l’éventuelle implication de la Finlande dans les programmes de « restitution » et de détention secrète de la CIA.

Amnesty International invite une nouvelle fois le gouvernement finlandais à mener une enquête exhaustive et efficace sur la participation de l’État à ces programmes. Si elles constituent des pièces importantes du puzzle, les données publiées jusqu’à présent ne satisfont pas à l’obligation légale qui incombe à la Finlande de mener des investigations. Elles ne sont que la première étape d’un processus d’enquête complet qui doit faire toute la lumière sur cette affaire, en vue d’établir effectivement les responsabilités.

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