Expulsions et déchéances de nationalité

Amnesty International est très préoccupée par l’expulsion par Bahreïn le 21 février d’un citoyen bahreïnite et par la confirmation ce jour, 23 février 2016, par une cour d’appel de l’ordre d’expulsion visant un autre citoyen bahreïnite ; ces deux hommes ayant été déchus de leur nationalité le 31 janvier 2015.

L’organisation demande aux autorités de mettre un terme aux expulsions prévues de Bahreïnites, d’autoriser les personnes expulsées à revenir à Bahreïn et de s’abstenir de tout retrait de nationalité qui aurait pour effet de rendre des personnes apatrides.

Muhamad Hassan Ali Hussain Khojasat, un religieux chiite, et Hussain KhairAllah Mohamed Mahmood font partie d’un groupe de 72 Bahreïnites qui, d’après une déclaration du ministère de l’Intérieur, ont été déchus de leur nationalité le 31 janvier 2015. Ils avaient été accusés d’« activités portant atteinte à la sécurité et aux intérêts de Bahreïn et contraires à leur devoir de loyauté ». Ils n’ont pas d’autre nationalité et se retrouvent apatrides de fait. Hussain KhairAllah Mohamed Mahmood risque d’être expulsé de Bahreïn à tout moment.

Le 21 février à 14 heures, Muhamad Hassan Ali Hussain Khojasat a reçu un appel téléphonique lui enjoignant de se rendre immédiatement à la Direction générale de la nationalité, des passeports et du séjour du ministère de l’Intérieur. Il s’est rendu accompagné de son avocat au ministère où on lui a dit que les autorités voulaient exécuter l’arrêt de la cour d’appel rendu trois jours plus tôt et qui avait confirmé la décision d’expulsion prise à son encontre. Quand l’avocat de cet homme a demandé comment la décision serait appliquée, on lui a répondu de s’entretenir avec un fonctionnaire à l’écart de son client. À son retour il a constaté que Muhamad Hassan Ali Hussain Khojasat avait été arrêté et qu’il était gardé par deux policiers. Il n’a pas été autorisé à s’entretenir avec lui. Muhamad Hassan Ali Hussain Khojasat a embarqué vers 16 heures sur un vol à destination de Doha où il a pris un autre vol pour Beyrouth.

Muhamad Hassan Ali Hussain Khojasat s’est rendu au Liban avec un document de voyage délivré par la Direction générale de la nationalité, des passeports et du séjour qui l’autorisait à entrer au Liban le jour de son expulsion, les autorités lui ayant retiré son passeport en février 2015.

Il avait été condamné le 14 mai 2015 à l’expulsion pour « séjour irrégulier à Bahreïn » aux termes des articles 63 et 111 du Code pénal bahreïnite et des articles 2, 15 et 28 de la Loi relative aux étrangers. Hussain KhairAllah Mohamed Mahmood avait quant à lui été condamné trois jours auparavant pour le même motif. Les deux hommes se sont acquittés d’une amende de 100 dinars bahreïnites (soit environ 210 euros) afin de suspendre leur expulsion en attendant qu’il soit statué sur leur appel. La Haute Cour d’appel a confirmé, le 18 février 2016, la décision d’expulsion de Muhamad Hassan Ali Hussain Khojasat et ce jour, 23 février 2016, celle visant Hussain KhairAllah Mohamed Mahmood.

À la suite de la déclaration faite le 31 janvier 2015 par le ministère de l’Intérieur et qui dressait une liste de 72 Bahreïnites déchus de leur nationalité, Muhamad Hassan Ali Hussain Khojasat et un autre membre de ce groupe, Masaud Jahromi, enseignant à l’université, ont été convoqués le 5 février à la Direction générale de la nationalité, des passeports et du séjour pour remettre leur passeport et leur carte d’identité. Ils ont été contraints de signer des documents confirmant qu’ils devaient régulariser leur statut légal car ils étaient considérés comme des étrangers, ou à défaut quitter le pays. Muhamad Hassan Ali Hussain Khojasat a demandé le 15 avril à la Direction générale de la nationalité, des passeports et du séjour la rectification de son statut légal en affirmant qu’il était disposé à fournir un garant ou à quitter volontairement Bahreïn. Sa demande a été rejetée et on lui a dit qu’il devait prouver qu’il avait une autre nationalité et fournir un garant afin d’obtenir un permis de séjour.

Ce n’est pas la première fois que l’un des 72 Bahreïnites déchus de leur nationalité en janvier 2015 est expulsé. Farahat Khursheed Afrah Khursheed a été expulsé le 5 février 2015 vers le Qatar après qu’il eut été retenu avec sa famille à l’aéroport de Manama à leur retour d’Iran. La famille de cet homme a été autorisée à entrer à Bahreïn, mais il a été contraint d’embarquer pour le Qatar. Amnesty International craint que d’autres membres du groupe des 72 risquent d’être expulsés. C’est notamment le cas de Masaud Jahromi qui a fait appel de son ordre d’expulsion. La prochaine audience doit avoir lieu le 6 mars et, si la décision est confirmée, cet homme sera également expulsé.

D’autres personnes, dont 10 Bahreïnites privés arbitrairement de leur nationalité en novembre 2012, risquent elles aussi d’être expulsées. Ces 10 personnes, qui sont désormais apatrides, ont fait l’objet d’un ordre d’expulsion prononcé le 28 octobre 2014 par un tribunal de première instance de Manama. Leurs avocats ont formé un recours le lendemain et l’ordre d’expulsion a été suspendu en attendant qu’il soit statué sur leur appel. La date de la prochaine audience a été fixée au 8 mars.

Les autorités bahreïnites ont déchu 208 personnes de leur nationalité en 2015 contre 21 en 2014, ce qui révèle une tendance inquiétante. Outre les décisions de déchéance de la nationalité prises par le ministère de l’Intérieur, des juges prononcent de plus en plus souvent des condamnations assorties de la privation de la nationalité, essentiellement contre des accusés déclarés coupables d’infractions liées au terrorisme.

Amnesty International appelle une nouvelle fois le gouvernement bahreïnite à annuler la déchéance de nationalité des 72 personnes ; à suspendre l’expulsion de Hussain KhairAllah Mohamed Mahmood ainsi que d’autres personnes privées arbitrairement de leur nationalité bahreïnite ; et à permettre à celles qui ont été expulsées de revenir vivre à Bahreïn. Bien que certaines des activités présumées peuvent - si elles sont démontrées - constituer des infractions, d’autres sont des actes dont la sanction est contraire au droit international relatif aux droits humains. Il est difficile d’établir une distinction entre une infraction et l’exercice du droit de tout individu à la liberté d’expression en raison de l’imprécision des charges retenues. Les autorités doivent veiller à ce que le droit à une procédure équitable soit pleinement respecté même dans le cas où des personnes soupçonnées de comportement criminel font l’objet d’une enquête ou de poursuites. Si elles sont inculpées, elles doivent bénéficier d’un procès équitable excluant le recours à la peine de mort. La déchéance de nationalité, qui n’est autorisée par le droit international que dans des circonstances limitées, doit s’accompagner de garanties suffisantes d’une procédure régulière et du droit d’interjeter appel.

En tout état de cause, forcer une personne à s’exiler n’est pas un châtiment légal aux termes du droit international relatif aux droits humains. Les expulsions peuvent également avoir des conséquences négatives sur les droits au respect de la vie privée et familiale.

Priver des citoyens de leur nationalité sur la base d’allégations vagues en l’absence de garanties d’une procédure régulière constitue un acte arbitraire et une violation des obligations internationales de Bahreïn en matière de droits humains. L’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) ainsi que l’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel Bahreïn est partie, disposent que tout individu a droit à une nationalité dont il ne peut être arbitrairement privé. L’article 7 de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie interdit également, sauf très rares exceptions spécifiques, toute perte de la nationalité si cela engendre un état d’apatridie. Par conséquent, l’obligation d’empêcher l’apatridie est reconnue comme une norme du droit international coutumier.

Le droit international relatif aux droits humains prohibe également l’expulsion arbitraire et l’exil de personnes de leur propre pays. L’article 13 de la DUDH dispose : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Ce droit est réaffirmé à l’article 12.4 du PIDCP. Le Comité des droits de l’homme, qui surveille la mise en œuvre du PIDCP par les États parties, a expliqué [dans son Observation générale n° 27, § 20] que l’expression « son propre pays » est plus vaste que celle du pays de sa nationalité. Ce concept « s’applique pour le moins à toute personne qui, en raison de ses liens particuliers avec un pays ou de ses prétentions à l’égard d’un pays, ne peut être considérée dans ce même pays comme un simple étranger. Tel serait par exemple le cas de nationaux d’un pays auxquels la nationalité aurait été retirée en violation du droit international ».

Complément d’information

Le 31 janvier 2015, le ministère de l’Intérieur a annoncé avoir déchu de leur nationalité bahreïnite 72 personnes accusées d’avoir commis des « actes illégaux ». Parmi elles figuraient des anciens députés, des défenseurs des droits humains et des opposants politiques contraints de vivre à l’étranger en raison de leurs activités antigouvernementales. On trouvait également sur cette liste un certain nombre de personnes qui avaient, semble-t-il, combattu dans les rangs du groupe armé qui se fait appeler« État islamique » (EI). La décision du ministère signifie que les personnes figurant sur cette liste et qui ne possèdent pas d’autre nationalité que bahreïnite sont désormais apatrides.

La déclaration du ministère donnait comme exemple d’« activités illégales » un certain nombre d’infractions liées au terrorisme. Elle mentionnait également des actes tels l’« incitation et l’appel au changement de régime par des moyens illégaux », la « diffamation de pays frères » et la « diffamation de l’image du régime, l’incitation à la haine du régime et la propagation de fausses informations en vue d’entraver les dispositions de la Constitution ».

Des modifications d’un certain nombre de lois bahreïnites ont élargi les motifs pour lesquels un individu peut être privé de sa nationalité. C’est ainsi que, le 24 juillet 2014, la Loi de 1963 relative à la nationalité a été modifiée par un nouveau décret (21 de 2014). L’article 10 (paragraphe C) qui avait été utilisé pour déchoir de leur nationalité 31 personnes a été étoffé pour inclure « quiconque dont les agissements sont contraires à son devoir de loyauté envers le royaume ». Ces modifications habilitent le ministre de l’Intérieur à déchoir de sa nationalité tout citoyen bahreïnite qui adopte une autre nationalité (sauf celle d’un pays membre du Conseil de coopération du Golfe) sans l’autorisation préalable du ministère. Par ailleurs, des modifications apportées en juillet 2013 à la loi antiterroriste de 2006 accordent aux tribunaux les pouvoirs nécessaires pour priver les accusés de leur nationalité lorsqu’ils sont déclarés coupables d’infractions en relation avec le terrorisme. Ces modifications associées à l’utilisation d’une loi antiterroriste formulée en termes vagues ont entraîné une augmentation du nombre de décisions de justice comportant la déchéance de la nationalité.

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