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Euromaïdan : justice à retardement, déni de justice

Les affrontements qui ont éclaté entre les policiers et les manifestants lors du mouvement de l’Euromaïdan, à Kiev, il y a de cela un an environ ont fait au moins 77 morts et un millier de blessés graves.

Pour certains, ce ne sont que des statistiques impersonnelles, mais pour moi ces chiffres ont pris une toute autre dimension, faisant apparaître des cas individuels concrets d’injustice, quand j’ai assisté au lancement du rapport d’Amnesty International A year after EuroMaydan, justice delayed, justice denied qui s’est déroulé dans la capitale ukrainienne mercredi 18 février dans la matinée. L’une des victimes des violences policières lors des manifestations de l’Euromaïdan, Vladyslav Tsilytskiy, était présente.

Le combat pour la justice

Vladyslav, développeur informatique âgé de 23 ans, s’est rendu dans le centre-ville de Kiev, le 20 janvier 2014, pour se joindre à d’autres personnes qui manifestaient pacifiquement contre les violations systématiques des droits humains, la corruption et toute une série de lois draconiennes adoptées trois jours plus tôt. Nous avons assisté ce jour-là à l’une des opérations de répression les plus dures menées par la police contre les manifestants. Vladyslav a été capturé par des membres de la police antiémeutes. Après l’avoir menotté, ils l’ont frappé, attrapé par le visage et traîné sur le sol en le tenant par les lèvres. Ils ont aussi pulvérisé du gaz lacrymogène sur ses organes génitaux. Les violences qui lui ont été infligées ont été filmées.

Vladyslav a porté plainte à la suite des mauvais traitements subis mais, à l’image d’autres victimes de violences policières durant les manifestations de l’Euromaïdan, il n’a jamais été entendu en tant que victime et n’a reçu aucune information au sujet de l’instruction de sa plainte.

Des centaines de personnes ont été victimes de violences durant les manifestations de l’Euromaïdan, mais nombre d’entre elles sont restées silencieuses. J’ai demandé à Vladyslav pourquoi il avait fait entendre sa voix. Il a répondu qu’il se battait pour la justice. « Demander justice est le moins que je puisse faire. Mes efforts n’ont guère porté leurs fruits à ce jour, mais je ne compte pas abandonner. Je ne cesse de regarder la vidéo de mon passage à tabac pour rester en colère et continuer ainsi à me battre pour la justice. »

Maïdan aujourd’hui

Après la conférence de presse, je me suis rendu à pied jusqu’à Maïdan Nézalejnosti (la place de l’Indépendance, en ukrainien), ou « Maïdan » tout simplement, théâtre des affrontements entre policiers et manifestants un an plus tôt. Les débris ont été entièrement nettoyés, et Maïdan ressemble à n’importe quelle autre place d’une capitale européenne, bordée de somptueux bâtiments et agrémentée de statues rutilantes des fondateurs de la ville et de héros médiévaux.

On peut aussi voir sur Maïdan des autels en mémoire des héros ukrainiens modernes : les victimes qui se sont sacrifiées durant l’Euromaïdan pour un avenir meilleur en Ukraine. Devant leurs photos, les gens allument des bougies et prient.

Rien ne justifie les atermoiements de la justice

À quelque 600 kilomètres à l’est de Maïdan, le principal problème rencontré par le gouvernement ukrainien n’a toujours pas été résolu : l’accord signé tout récemment à Minsk semble bien fragile, les combats continuant de faire rage entre séparatistes pro-russes et forces pro-Kiev dans la ville de Debaltseve. Lors de mon séjour à Kiev, des représentants de la société civile m’ont indiqué que le gouvernement se servait du conflit comme excuse dès qu’il était accusé de retarder la justice dans les affaires concernant l’Euromaïdan. À cela venaient se greffer d’autres problèmes internes, tels que le manque de capacités et de ressources des organismes publics ukrainiens.

Kiev se prépare cette semaine à rendre hommage aux victimes de l’Euromaïdan, un an après les événements. Le gouvernement a installé une scène sur Maïdan où aura lieu un concert de commémoration et où des représentants de l’État feront des discours.

Je pense que, pour honorer la mémoire de ses héros, l’Ukraine devrait défendre les valeurs pour lesquelles les manifestants ont payé de leur vie, en menant une enquête sur les violences survenues durant l’Euromaïdan et en déférant les auteurs de ces violences à la justice. Un an après les faits, rien ne devrait justifier les atermoiements de la justice.

Le militantisme ukrainien est toujours bien vivant

Après le lancement du rapport d’Amnesty International, les journalistes se sont tournés vers Vladyslav pour l’interviewer. Quand ils lui ont demandé si l’Euromaïdan valait vraiment toute cette souffrance, sa réponse a été immédiate : « Oui, cela en valait incontestablement la peine. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas. »

Par Levan Asatiani, chargé d’action sur l’Ukraine à Amnesty International @levan_asatiani

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