Des centaines de milliers de personnes risquent d’être déplacés

Une assistance humanitaire accrue est requise en urgence afin d’alléger les souffrances de millions d’Irakiens déplacés à travers le pays, et de fournir des services essentiels à des centaines de milliers de personnes qui risquent d’être déplacées par des opérations militaires visant à reprendre des territoires contrôlés par le groupe se faisant appeler État islamique, a déclaré Amnesty International mardi 16 août après une mission de recherche de trois semaines dans le pays.

Les organisations humanitaires éprouvent déjà des difficultés à répondre aux besoins les plus élémentaires des plus de 3,4 millions de personnes qui ont été forcées à fuir des zones où l’EI avait pris le pouvoir et où se déroulent des combats visant à reprendre des territoires au groupe armé. Une bataille imminente à Mossoul, la deuxième plus grande ville d’Irak et l’un des bastions de l’EI, devrait causer le déplacement de centaines de milliers d’autres personnes dans les mois à venir.

« Si l’aide humanitaire ne fait pas l’objet d’un financement, d’une planification et d’une mise en œuvre adaptés, le possible afflux de centaines de milliers de personnes déplacées fuyant les combats et les violations dans les zones aux mains de l’EI pousserait l’Irak dans le précipice et aurait des conséquences dévastatrices  », a déclaré Donatella Rovera, conseillère principale sur la réaction aux crises à Amnesty International, qui a dirigé la mission de recherche en Irak.

« Nous avons nous-mêmes constaté que la grande majorité des personnes déplacées vivant à l’intérieur de camps ou sur des chantiers de construction inachevés à travers le pays n’ont déjà guère, voire pas du tout, accès aux produits de première nécessité ni à des soins médicaux. La réaction des autorités irakiennes face à la situation des personnes déplacées est terriblement insuffisante, et une grande partie du monde se désintéresse de ce que celles-ci traversent. »

La communauté internationale consacre la majeure partie de ses ressources et de ses efforts au soutien à des opérations militaires visant à combattre l’EI.

« Si la communauté internationale - en particulier les États-Unis, les pays européens et d’autres - s’est montrée désireuse de fournir un soutien financier à la campagne militaire menée contre l’EI, elle s’est pour l’instant avérée beaucoup plus lente à apporter sa contribution aux efforts visant à limiter les conséquences sur la population civile. Les dirigeants mondiaux doivent renforcer de toute urgence l’aide humanitaire aux civils déplacés, dont certains ont été forcés à fuir en raison d’opérations militaires soutenues par la communauté internationale », a déclaré Donatella Rovera.

« Un financement international supplémentaire est requis de toute urgence afin de répondre aux besoins de base des millions de personnes déjà déplacées, et de se préparer à de nouveaux déplacements de grande ampleur causés par les opérations militaires visant à reprendre Mossoul et les zones environnantes. »

Des organes des Nations unies ont signalé qu’il leur manquait 53 % des financements requis pour pouvoir mettre en œuvre leur plan de réaction aux crises pour 2016.

Pour des personnes comme Ahmad, père de sept enfants, forcé de quitter la province de Ninive dans le nord-ouest de l’Irak, les conséquences sont désastreuses. Il a décrit à Amnesty International ses difficultés pour nourrir sa famille après que son logement et ses moyens de subsistance ont été détruits :

« La nuit, je m’endors en redoutant le matin, parce que je n’ai plus rien à offrir à mes enfants et que je ne supporte pas de les regarder dans les yeux  », a-t-il dit.

Cinq semaines après son arrivée avec sa famille dans un camp pour personnes déplacées aux abords de la ville de Dibega, dans le nord du pays, ils n’avaient toujours pas de tente. Les femmes et les enfants de la famille sont logés aux côtés de centaines d’autres à l’intérieur de l’école du camp, surpeuplée, à raison d’une cinquantaine de personnes dans chaque pièce. Les hommes sont livrés à eux-mêmes dans une zone voisine du camp où ils sont contraints de dormir dehors au milieu de tas d’ordures et d’égouts à ciel ouvert. La faible quantité de nourriture disponible ne peut être conservée compte tenu des températures élevées, qui peuvent dépasser les 50 degrés Celsius.

En quelques semaines, le camp pour personnes déplacées de Dibega a pris la taille d’une petite ville, et accueille désormais plus de 30 000 personnes ayant fui des zones contrôlées par l’EI.

Dans le gouvernorat d’al Anbar, à l’ouest de Bagdad, où plus de personnes ont été déplacées par le conflit que nulle part ailleurs dans le pays, la situation est tout aussi grave. Des camps tentaculaires établis dans le désert ploient sous la pression de l’afflux de 87 000 nouvelles personnes, déplacées depuis le début de l’offensive militaire visant à reprendre la ville de Fallouja et les zones environnantes, à la fin du mois de mai.

« Nous avons survécu à l’enfer sous Daesh (EI) et espérions obtenir de l’aide ici  », a expliqué Hala, mère de six enfants, à Amnesty International dans un camp de personnes déplacées de la zone de Khalidiya (province d’al Anbar).
Son époux manque à l’appel depuis son enlèvement par l’EI il y a deux ans.
« J’ai reçu très peu d’aide depuis mon arrivée ici, il y a deux mois. Pendant des semaines, on ne nous a rien donné pour le couchage. Maintenant nous avons une tente, mais rien d’autre », a-t-elle dit.

« Mais le pire, c’est que les souffrances de ces familles auraient pu être évitées si les autorités avaient été mieux préparées. Au lieu de cela, les personnes qui arrivent, épuisées par des trajets périlleux et des mois à subir l’état de siège, n’ayant d’autre possession que les habits qu’elles portent, sont forcées d’endurer de nouvelles épreuves », a déclaré Donatella Rovera.

Les mesures de sécurité qui aggravent la crise

Des mesures de sécurité et des restrictions, associées à des critères administratifs peu clairs ont également exacerbé la crise humanitaire.
Les personnes déplacées par des opérations militaires récentes ou en cours sont majoritairement membres de la communauté arabe sunnite et sont soumises à des contrôles de sécurité.

Tous les hommes considérés en âge de se battre (entre 15 et 65 ans environ) qui se sont échappés de zones sous le contrôle de l’EI sont séparés de leur famille, puis soumis à des vérifications et des interrogatoires, qui peuvent durer de quelques jours à plusieurs mois pour ceux qui sont relâchés et ne sont pas déférés à la justice ou dans le cas d’une enquête plus approfondie.
Ils sont incarcérés dans des sites de transit proches des camps de déplacés ou dans des centres de détention improvisés, où les conditions sont sordides, se caractérisant par un fort surpeuplement, un manque de latrines et d’autres équipements sanitaires, de faibles quantités de nourriture et une pénurie de biens de première nécessité. Certains sont détenus en extérieur, sans grande protection contre la chaleur accablante. Ceux qui se trouvent dans un centre de détention sont fréquemment privés du droit de communiquer avec leurs proches. Ces procédures de sécurité irrégulières et opaques sont employées par le gouvernement central et par les autorités du Gouvernement régional du Kurdistan.

Une femme se trouvant à Dibega a déclaré à Amnesty International qu’elle était sans nouvelle de son fils Hassan, un travailleur agricole âgé de 20 ans, depuis qu’il avait été emmené par les forces de sécurité alors qu’ils essayaient d’atteindre le camp.

« Je veux seulement savoir où il est ; c’est mon seul fils. Les officiers qui l’ont emmené m’ont dit qu’ils le ramèneraient avant la nuit tombée, mais c’était il y a un mois et j’ignore où il se trouve », a-t-elle dit.

La sécurité est également invoquée pour empêcher de nombreuses personnes déplacées de quitter les camps. Elles doivent trouver leur chemin parmi des procédures bureaucratiques onéreuses et doivent souvent obtenir un parrainage local avant de pouvoir demander l’autorisation d’entrer dans une ville.

D’autres n’ont pas pu retourner dans leur commune bien que celle-ci ait été reprise depuis longtemps à l’EI et sécurisée par des forces loyales au gouvernement irakien ou des peshmergas du Gouvernement régional du Kurdistan.

Au nom de la sécurité, les autorités imposent essentiellement ce type de restrictions dans les zones dites « contestées » du nord du pays. Ces zones se trouvent désormais de fait sous le contrôle de paramilitaires soutenus par les chiites ou du Gouvernement régional du Kurdistan, et font l’objet de disputes territoriales de longue date.

Ces restrictions, souvent appliquées de manière arbitraire, limitent grandement la capacité des personnes déplacées à accéder au marché du travail, ce qui les maintient dans une situation de dépendance humanitaire.
Ali, un paysan et père de plusieurs enfants se trouvant dans un camp de personnes déplacées à Guermawa, dans le nord-ouest de l’Irak, a dit à Amnesty International :

« Au village, nous avions une maison et je pouvais cultiver la terre et nourrir mes enfants. Ici nous dormons à même le sol et nous devons compter sur de rares aides, quand nous arrivons à en bénéficier. »

Si les autorités irakiennes ont le droit et le devoir de protéger la vie et l’intégrité physique des civils à l’intérieur des frontières, les procédures de sécurité doivent être conformes au droit international. Les restrictions arbitraires au droit des personnes déplacées de circuler librement, notamment lorsqu’elles sont relâchées après des contrôles de sécurité, doivent être levées.

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