Chypre : à l’intérieur des centres de détention de migrants Par Giorgos Kosmopoulos, chargé de campagne Amnesty International en Grèce et à Chypre

Des centaines de migrants en attente d’éloignement sont détenus pendant des mois dans des conditions sordides, ne disposant que d’un accès limité à une assistance juridique et médicale.

Quelques pâles rayons de soleil filtrent à travers les fenêtres à barreaux des cellules du bloc dix de la Prison centrale de Nicosie. À peine à quelques kilomètres de là, une brise légère balaie le sable de grandes plages et des touristes flânent à loisir, libres de profiter de l’air pur et du soleil d’hiver.

Mais, à l’intérieur de la prison de Nicosie, l’air est étouffant et les murs crasseux renvoient les bruits de lourdes portes qu’on referme brutalement ainsi que les éclats de voix du personnel et des détenus, tandis qu’un téléviseur crache de la musique arabe à plein volume.

Deux ailes de la prison servent depuis plusieurs années de centre de détention à l’intention des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée et de migrants en attente d’être expulsés.

Jusqu’à trois personnes dorment dans de minuscules cellules à courants d’air. Certaines des fenêtres y sont cassées et les occupants les bourrent de chiffons pour empêcher l’air de passer.

Au moment de notre visite, début décembre, quelque 56 migrants étaient détenus dans la prison. Près de 200 migrants, originaires pour la plupart d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient, sont actuellement détenus à Chypre, ce qui représente un nombre considérable pour une aussi petite île. Bien que, selon le HCR, le nombre des demandes d’asile ait récemment chuté, Chypre reste au premier rang des 44 pays étudiés quant au nombre de demandeurs rapporté au nombre d’habitants.

Assis à une table près de la seule fenêtre de la pièce, nous nous sommes entretenus avec Osman Kane, un migrant de Sierra Leone qui a passé les onze derniers mois dans le bloc dix de la prison de Nicosie.

Il nous raconte que, pendant les dix années de guerre civile en Sierra Leone, il a servi de chauffeur à la femme du chef de l’une des factions en guerre.

À cause de son travail il a été ensuite torturé et persécuté par les partisans du camp opposé. Il a alors fui son pays et est arrivé à Chypre en 2000.

Il a déposé une demande d’asile, mais son dossier a été refermé en 2005, les autorités ayant prétendu qu’elles n’avaient pu le localiser pour examiner sa demande.

Au cours de ses quelques brèves périodes de liberté, il s’est souvent trouvé dans le dénuement et forcé de travailler illégalement.

Il a été arrêté quelques mois plus tard et les cinq tentatives pour l’expulser ont échoué au cours des trois années suivantes, qu’il a surtout passées en détention dans le bloc dix.

En août 2011, Osman a contesté la légalité de la durée de sa détention devant la Cour suprême de Chypre. Il a gagné et la Cour a ordonné sa libération immédiate. Il pensait alors être enfin libre, mais avant même de quitter les locaux de la Cour il a été arrêté et de nouveau détenu. Son moral et sa foi dans la justice ont été brisés.

« En 2000, des passeurs m’avaient fait croire que j’étais en sécurité dans un pays de l’Union européenne » déclare-t-il. « Maintenant j’ai encore été trompé et, cette fois, par les autorités. Qu’est-ce que je peux faire de plus ? », demande-t-il.

Amnesty International avait déjà fait part en 2007 de ses préoccupations aux autorités chypriotes d’immigration au sujet de la légalité et de la durée de sa détention.

Nous nous sommes rendus en tant que délégués d’Amnesty International dans trois lieux de détention différents de l’île et quasiment tous les détenus à qui nous avons parlé ont évoqué l’absence d’assistance juridique, les mauvaises conditions de vie et l’insuffisance des soins médicaux.

Bawa Kerimu vient du Nigeria et se trouve dans le bloc dix depuis plus de quatre mois. Il affirme avoir graduellement perdu la vue depuis qu’il est en détention. Les médecins ont écrit quelque chose en grec sur ses papiers, mais il ne reçoit pour le moment aucun soin médical satisfaisant, à part des gouttes pour les yeux.

D’après ce qu’il m’a décrit, ses yeux ont enflé et il est souvent incapable de dormir pendant plusieurs jours d’affilée et se déplacer est pour lui une véritable torture. Il était évident que, pendant notre entretien, il ne pouvait pas vraiment me voir. Je n’étais pour lui qu’une image floue qui posait des questions. Il craint maintenant de devenir aveugle pour le restant de ses jours.

Amnesty International exhorte les autorités chypriotes à remplir leurs obligations internationales et à respecter les droits des demandeurs d’asile et des migrants.

L’organisation estime que la détention de migrants en vue de leur éloignement ne devrait avoir lieu qu’en dernier recours et après l’examen d’autres solutions moins contraignantes que la détention.

Si détention il y a, alors il convient de mettre en place des garanties efficaces et d’assurer des soins médicaux suffisants. Les personnes qui ne peuvent pas être expulsées doivent être libérées.

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