Maroc et Sahara occidental - Rapport annuel 2020

carte Maroc et Sahara occidental rapport annuel amnesty

Royaume du Maroc
Chef de l’État : Mohammed VI
Chef du gouvernement : Saad Eddine El Othmani

Face à la pandémie de COVID-19, les autorités ont pris un décret-loi d’urgence sanitaire qui restreignait le droit de circuler librement, la liberté d’expression et la liberté de réunion, et ont utilisé ces dispositions pour poursuivre des personnes qui critiquaient la gestion gouvernementale de la crise ou enfreignaient les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence. Cette année encore, des défenseur·e·s sahraouis des droits humains ont été arrêtés ou ont fait l’objet d’actes d’intimidation et de harcèlement parce qu’ils avaient exprimé, pourtant pacifiquement, leurs opinions. Les femmes étaient toujours en butte à la discrimination, à des violences sexuelles et à d’autres violences liées au genre ; pendant la pandémie, elles ont rencontré des difficultés accrues pour accéder à la justice. Les relations sexuelles consenties entre adultes de même sexe étaient toujours considérées comme une infraction pénale et les autorités n’ont pas ouvert d’enquêtes sur des cas d’incitation à la violence contre des personnes LGBTI. Les droits des migrant·e·s ont été bafoués, notamment du fait de l’insuffisance des mesures de protection contre le COVID-19 dans les centres de détention pour étrangers. Le Front Polisario, qui administre en Algérie des camps pour les réfugié·e·s du Sahara occidental, a arrêté au moins une personne qui avait exprimé des critiques à son égard. Les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a eu lieu.

Contexte de la situation des droits humains au Maroc et Sahara occidental

Le Maroc a adopté en janvier des lois intégrant à son territoire maritime les eaux situées au large des terres contestées du Sahara occidental, étendant ainsi sa souveraineté sur les eaux comprises entre Tanger, au nord, et la ville de Lagouira, à la frontière mauritanienne.

Le gouvernement a déclaré l’état d’urgence sanitaire le 20 mars. Celui-ci était toujours en vigueur à la fin de l’année. Les autorités ont également imposé un confinement sur l’ensemble du territoire, qui a été progressivement levé en juin et remplacé par un ensemble de mesures, dont des restrictions à la liberté de circulation et des confinements localisés.

En octobre, l’ONU a renouvelé jusqu’à octobre 2021 le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), sans y ajouter de volet concernant la surveillance des droits humains, comme c’est généralement le cas pour les missions de maintien de la paix. Le territoire du Sahara occidental et les camps du Front Polisario étant restés inaccessibles aux organisations de défense des droits humains, la surveillance des violations des droits humains s’y avérait difficile.

En décembre, le gouvernement a signé avec les États-Unis un accord par lequel il acceptait l’établissement de relations diplomatiques complètes avec Israël en échange de la reconnaissance officielle par les autorités américaines de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.

Répression de la dissidence

Les autorités ont utilisé l’urgence sanitaire pour faire adopter des lois restrictives. Le gouvernement a adopté en mars le décret-loi no 2.20.292, rendant passible d’une peine de trois mois d’emprisonnement et d’une amende de 1 300 dirhams (environ 146 dollars des États-Unis) toute personne qui contrevient « aux prescriptions et aux décisions émanant des autorités publiques » ou qui « entrave l’exécution » de ces décisions « par des écrits, imprimés [ou] photos ». Les autorités se sont servies de ce texte pour engager des poursuites contre au moins cinq militants des droits humains et journalistes citoyens qui avaient émis des critiques sur les mesures mises en place par les pouvoirs publics face à la pandémie de COVID-19, les accusant d’« incitation à contrevenir aux décisions émanant des autorités publiques ».

Mohamed Bouzrou, Mohamed Chejii et Lahssen Lemrabti, administrateurs de la page d’actualité Fazaz 24 sur Facebook, ont été arrêtés et inculpés pour deux publications dénonçant la gestion de la pandémie de COVID-19 par les autorités locales. Mohamed Chejii a été remis en liberté peu après son arrestation, mais Mohamed Bouzrou et Lahssen Lemrabti sont restés en détention. Tous trois demeuraient poursuivis1.

En avril, la police de la ville de Nador, dans la région du Rif (nord-est du pays), a arrêté Omar Naji, représentant local de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Des poursuites ont été engagées contre lui pour diffusion « de fausses allégations ou de faits mensongers » dans le but de « porter atteinte à la vie privée ou de diffamer », et pour infraction à la loi sur l’état d’urgence sanitaire. Interpellé après avoir publié sur les réseaux sociaux un article dans lequel il reprochait aux autorités de Nador d’avoir confisqué des marchandises à des vendeurs exerçant sans autorisation pendant la pandémie, il a été remis en liberté sous caution le jour suivant. Il a été relaxé de tous les chefs par le tribunal de première instance de Nador le 17 novembre.

Liberté d’expression

Les autorités ont continué de réprimer la liberté d’expression au Maroc et au Sahara occidental, ouvrant des enquêtes et des poursuites contre un certain nombre de journalistes et de militant·e·s en raison des articles qu’ils avaient publiés en ligne.

Neuf hommes au moins, dont des rappeurs et des militants, ont été condamnés en janvier par divers tribunaux situés un peu partout dans le pays à des peines allant de six mois à quatre ans d’emprisonnement pour des propos diffusés sur YouTube ou Facebook. Tous étaient accusés d’« outrage » à des fonctionnaires ou à des institutions publiques en vertu du Code pénal2.

Le journaliste et militant sahraoui des droits humains Ibrahim Amrikli a été arrêté en mai à Laâyoune, au Sahara occidental, et maintenu en détention pendant plus de deux jours3. Des agents des forces de sécurité l’ont interrogé à propos de ses activités à la Fondation Nushatta, une organisation sahraouie de défense des droits humains ; ils l’ont frappé et insulté à plusieurs reprises. Ils l’ont forcé à signer des « aveux » dans lesquels il reconnaissait avoir jeté des pierres à des policiers en avril, une accusation dénuée de tout fondement. Ibrahim Amrikli a été inculpé deux jours plus tard d’infraction aux prescriptions liées à l’état d’urgence sanitaire et d’« outrage à des fonctionnaires publics » (article 263 du Code pénal). Son procès s’est ouvert le 18 novembre, mais a été ajourné, sans qu’une nouvelle date n’ait été fixée.

Dans un rapport publié en juin, Amnesty International a révélé que le téléphone du journaliste indépendant Omar Radi avait été piraté au moyen de technologies de surveillance produites par l’entreprise israélienne NSO Group4. Omar Radi a été convoqué pour être entendu par la police à plusieurs reprises après la publication de ce rapport. Il a été la cible d’une campagne de dénigrement de la part des médias d’État, qui l’ont accusé d’espionnage. Le 29 juillet, le procureur de la cour d’appel de Casablanca l’a inculpé d’agression sexuelle, de viol, d’« atteinte à la sûreté extérieure de l’État » et d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État », en vertu de différents articles du Code pénal. Bien que rejetant avec véhémence ces accusations, le journaliste a été placé en détention provisoire et à l’isolement. Il n’avait pas été remis en liberté à la fin de l’année.

En juillet, la police de Laâyoune a retenu arbitrairement Essabi Yahdih pendant 10 heures, avant de le libérer sans inculpation. Le fondateur de l’organe de presse Algargarat s’était rendu au poste de police pour y obtenir un certificat administratif. Il a déclaré avoir été insulté et menacé « d’arrestation, de viol et de mort » par les policiers, qui l’ont interrogé sur la ligne éditoriale d’Algargarat, sur les personnes travaillant dans cette publication et sur la façon dont elle était financée. Il a aussi été questionné à propos de contenus qu’il avait mis en ligne à titre personnel, en particulier un qui ironisait sur une publication d’un député marocain à propos du roi.

En décembre, après des années de harcèlement et de surveillance illégale, un universitaire et défenseur des droits humains, Maati Monjib, a été arrêté arbitrairement et placé en détention. Lui et des membres de sa famille étaient accusés de blanchiment d’argent et il attendait son procès à la fin de l’année.

Droits des femmes

Les femmes continuaient de subir des discriminations dans la législation et dans la pratique, et elles étaient toujours en butte à des violences sexuelles et d’autres violences liées au genre. Le Maroc a adopté en 2018 la Loi no 103-13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes, mais les mécanismes de mise en œuvre de ce texte demeuraient peu efficaces. Cette loi prévoit que les victimes doivent porter plainte pour obtenir une mesure de protection, une démarche qui s’est avérée pratiquement impossible pendant le confinement imposé en raison de la pandémie de COVID-19.

Des organisations de défense des droits des femmes telles que Mobilising for Rights Associates (MRA) ont fait état d’une dégradation de la situation des femmes victimes de violences pendant le confinement – beaucoup se sont ainsi retrouvées enfermées avec celui qui les brutalisait, bien souvent sans moyen de communication, et il leur était difficile d’accéder aux centres d’accueil. Selon les chiffres communiqués par le procureur général, le nombre de poursuites pour violences faites aux femmes a fortement diminué entre le 20 mars et le 20 avril, atteignant un niveau 10 fois inférieur à la moyenne mensuelle. Pour les autorités, cette tendance était le fait de « la stabilité de la famille marocaine ». Pour MRA, cependant, la baisse était due aux difficultés rencontrées par les femmes pour accéder à la justice pendant le confinement.

Droit à la santé

Personnel soignant

En août, les médecins ont lancé une grève nationale en signe de protestation contre leurs mauvaises conditions de travail, l’absence de mesures minimales de protection des professionnel·le·s de santé et le manque de traitements médicaux ou de dispositions permettant le confinement des travailleuses et travailleurs de première ligne ayant contracté le virus.

Le même mois, le ministère de la Santé a suspendu les congés annuels des médecins et des autres soignant·e·s de l’hôpital public, les contraignant à travailler sans prendre de vacances pour faire face aux besoins engendrés par la pandémie. Des centaines de médecins ont manifesté dans tout le pays pour protester contre cette mesure.

Châtiments cruels, inhumains ou dégradants

Des personnes ont été détenues dans des conditions difficiles, et notamment placées à l’isolement pour une durée indéterminée, en violation de l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements. Malgré les risques élevés de transmission du COVID-19 dans les prisons et les autres lieux de détention, les autorités ont incarcéré des personnes au seul motif qu’elles avaient enfreint les restrictions imposées dans le cadre de la pandémie.

Entre avril et août, le souverain a prononcé quatre mesures de grâce royale, au bénéfice de 8 133 détenu·e·s au total, dont 20 militants du mouvement pour la justice sociale (Hirak) dans la région du Rif.

En août, Nasser Zefzafi et Nabil Ahamjik, chefs de file de la contestation, ont observé une grève de la faim pendant 25 jours afin de protester contre le refus de permis de visite opposé à leurs proches et le fait que les détenu·e·s du Hirak du Rif étaient dispersés dans plusieurs prisons auxquelles les familles ne pouvaient accéder.

Soulaimane Raissouni, journaliste et rédacteur en chef du quotidien Akhbar Al Yaoum, était en détention depuis le mois de mai. Il ne bénéficiait que d’une heure de promenade quotidienne, qu’il effectuait seul dans la cour.

Condamnés en 2013 et 2017 à l’issue de procès inéquitables au cours desquels leurs allégations de torture n’ont pas été dûment examinées, dix-neuf militants sahraouis étaient toujours détenus dans les prisons d’Aït Melloul et de Bouizakarne, dans le sud-ouest du Maroc. Ils étaient incarcérés à des centaines de kilomètres de leurs familles et, du fait des restrictions liées au COVID-19, ne pouvaient recevoir la visite de leurs proches.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

L’article 489 du Code pénal érigeait toujours en infraction les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe.

Les autorités n’ont pas enquêté sur des cas d’incitation à la violence contre des personnes LGBTI ; elles ont aussi manqué à leur devoir d’accorder une protection aux personnes indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

En avril, dans le cadre d’une campagne manifestement concertée, des personnes inscrites sur des applications de rencontres entre personnes de même sexe ont vu leur orientation sexuelle ou leur identité de genre dévoilées contre leur gré par différents individus. Selon des organisations LGBTI, certaines ont été agressées et menacées à la suite de cette campagne d’« outing » ; un groupe Facebook d’Agadir a en outre lancé un appel au lynchage des travailleuses et travailleurs du sexe LGBTI. Les autorités n’ont pas condamné publiquement ces actes et ces propos, dont les médias officiels ne se sont pas fait l’écho.

Droits des personnes migrantes

Les autorités ont continué, tout au long de l’année, d’arrêter, de placer en détention et d’expulser des migrant·e·s. Au début de 2020, la délégation du gouvernement espagnol à Melilla a annoncé l’intention des autorités espagnoles de couper la route migratoire entre la côte septentrionale du Maroc et l’Espagne, et les autorités marocaines ont signalé avoir arrêté des migrant·e·s aux abords de la frontière avec l’enclave espagnole de Ceuta. Plusieurs ONG ont dénoncé l’absence de mesures de protection contre le COVID-19 dans les centres de détention pour migrant·e·s de Nador et de Laâyoune. Selon l’AMDH, une centaine de migrant·e·s ont été détenus pendant plus d’une semaine en mai sans avoir accès à un avocat, en violation de la Loi no 02-03 de 2003 relative à l’entrée et au séjour des étrangers, qui prévoit que, passé un délai de 24 heures, les migrant·e·s en situation irrégulière doivent être placés sous le contrôle d’un juge et être autorisés à consulter un avocat.

Liberté de religion et de conviction

Le droit marocain réprimait toujours l’« atteinte à la religion islamique », qui restait passible d’une peine de prison. La police de Casablanca a arrêté en mai l’acteur Rafik Boubker parce qu’il avait mis en ligne sur Facebook une vidéo dans laquelle il tournait en ridicule des rituels de la religion islamique. Inculpé d’« atteinte à la religion islamique », il a été remis en liberté le lendemain de son interpellation. Son procès s’est ouvert en novembre mais a été reporté à plusieurs reprises. En juillet, un tribunal de la ville de Safi, dans l’ouest du pays, a condamné Muhammed Awatif Qashqash à une peine de six mois d’emprisonnement en vertu de la même disposition. Cet homme avait mis en ligne une caricature représentant des personnages religieux, dont le prophète Mahomet.

Camps du Front Polisario

Dans les camps qu’il administre en Algérie, le Front Polisario, qui réclame l’indépendance du Sahara occidental et a constitué un gouvernement autoproclamé en exil, a arrêté au moins une personne ayant émis des critiques à son égard. Le 8 août, la police des camps a détenu pendant 24 heures le journaliste Mahmoud Zeidan et l’a interrogé sur des contenus publiés en ligne dans lesquels il critiquait la façon dont les autorités des camps géraient la distribution de l’aide apportée dans le cadre de la pandémie de COVID-19.

Le Front Polisario n’a pas pris les mesures nécessaires pour amener les responsables de violations des droits humains commises par le passé dans les camps qu’il contrôle à répondre de leurs actes.

Peine de mort

Les tribunaux ont continué de prononcer des condamnations à mort ; aucune exécution n’avait eu lieu depuis 1993.

1« Maroc et Sahara occidental. Il faut cesser de poursuivre des militant·e·s au titre de la nouvelle loi sur l’état d’urgence sanitaire » (communiqué de presse, 9 juin)
2« Maroc/Sahara occidental. La répression se durcit contre les militants qui critiquent le roi, les institutions publiques et les représentants de l’État » (communiqué de presse, 11 février)
3Halte aux poursuites visant Ibrahim Amrikli et aux arrestations arbitraires de journalistes et de militant·e·s dans le Sahara occidental (MDE 29/3111/2020)
4« Un journaliste marocain victime d’attaques par injection réseau au moyen d’outils conçus par NSO Group » (billet de blog, 22 juin)

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