Indonésie - Rapport annuel 2020

carte Indonésie rapport annuel amnesty

République d’Indonésie
Chef de l’État et du gouvernement : Joko Widodo

De nombreux soignant·e·s n’avaient pas accès aux équipements de protection individuelle dont ils avaient besoin ni à des tests de dépistage du COVID-19. La police nationale a restreint le droit à la liberté d’expression en émettant une directive qui érigeait en infraction le fait de critiquer la manière dont les autorités géraient la pandémie. De plus en plus de personnes ont été emprisonnées pour avoir simplement exprimé leurs opinions ou organisé des manifestations pacifiques. Des personnes non identifiées ont tenté d’intimider, par des voies de communication numérique, des universitaires, des étudiant·e·s, des militant·e·s, des défenseur·e·s des droits humains ou de la justice sociale et des journalistes afin de faire taire les critiques. Plusieurs journalistes ont porté plainte auprès de la police en août ; les enquêtes étaient toujours en cours à la fin de l’année. Au moins 35 prisonnières et prisonniers d’opinion étaient encore en détention. Les forces de sécurité ont commis des violations des droits humains en Papouasie et en Papouasie occidentale, souvent en toute impunité. La Chambre des Représentants du peuple a retiré de la liste des textes à examiner en priorité la proposition de loi sur l’élimination des violences sexuelles. La communauté LGBTI demeurait menacée, notamment en raison des déclarations trompeuses de plusieurs représentant·e·s de l’État invoquant des questions de « moralité ».

Contexte de la situation des droits humains en Indonésie

À la fin de l’année, l’Indonésie avait enregistré officiellement 22 138 décès imputables au COVID-19 (82 pour 100 000 habitant·e·s), ce qui la classait au troisième rang des pays de l’ANASE s’agissant du taux de mortalité lié à la maladie. La pandémie et sa gestion par les pouvoirs publics ont eu de lourdes conséquences sur les droits humains, en particulier les droits des soignant·e·s, le droit à l’information, les droits des travailleuses et travailleurs et le droit à la liberté d’expression. L’Indonésie n’a pas placé la protection des droits humains au cœur de ses politiques et activités de prévention, de préparation, d’endiguement et de soins.

Droit à la santé

Personnel soignant

À la fin de l’année, au moins 504 soignant·e·s avaient succombé au COVID-19 ou, pour certain·e·s, à l’épuisement causé par leurs longues heures de travail. En mars, le président de l’Association des médecins indonésiens a indiqué que le personnel soignant qui s’occupait des patient·e·s atteints de cette maladie ne disposait pas des équipements de protection individuelle nécessaires. La distribution de ces équipements, en particulier dans les régions reculées, était trop lente au vu de l’augmentation continue du nombre de cas. En avril, un médecin de Flores a signalé que certains de ses confrères et consœurs étaient contraints de laver, repasser et réutiliser des masques chirurgicaux jetables car ils avaient épuisé leur stock1.

Les soignant·e·s, de même que les membres de leur famille, avaient difficilement accès aux tests de dépistage nasopharyngés et devaient les passer à leurs frais2. En outre, ils étaient en butte à la discrimination en raison de leur profession. Le président de l’Association des infirmières et infirmiers indonésiens a indiqué que la population craignait que les soignant·e·s ne transmettent le virus. Au moins 19 soignant·e·s ont été expulsés de leur pension de famille ou s’en sont vu refuser l’entrée entre le 22 mars et le 16 avril. Faute de trouver un autre logement, certain·e·s ont été contraints de dormir sur leur lieu de travail, à l’hôpital.

Droit à l’information

En mars, après que l’État a confirmé les deux premiers cas de COVID-19 dans le pays, le ministère de la Santé a décidé de ne pas dévoiler certaines informations importantes sur les chaînes de transmission du virus, notamment sur le repérage des cas contact et l’historique des déplacements des cas présumés, au prétexte que cela créerait un climat de panique généralisé et nuirait à l’ordre public.

Des responsables gouvernementaux ont admis que les pouvoirs publics ne communiquaient pas suffisamment sur la pandémie. En avril, le porte-parole de l’Agence nationale de gestion des catastrophes (BNPB) a déclaré que celle-ci n’était pas en mesure de fournir des données précises car les statistiques du ministère de la Santé étaient incomplètes et ne correspondaient pas aux chiffres communiqués par les administrations provinciales.

L’État n’a pas fait preuve de transparence s’agissant de dévoiler le nombre de soignant·e·s infectés par le coronavirus et leur lieu de travail. L’Association des médecins indonésiens a critiqué l’attitude des autorités et a demandé que les données relatives aux patient·e·s atteints de COVID-19 soient communiquées aux autorités médicales compétentes afin de faciliter le repérage des cas contact et le traitement des malades.

Droits des travailleuses et travailleurs

La pandémie de COVID-19 a eu des répercussions négatives sur les droits des travailleuses et travailleurs, lesquelles ont pris plusieurs formes : pertes d’emploi, menaces de baisses salariales et de réduction des congés dans les secteurs durement touchés, et politiques problématiques en matière de distanciation physique et de télétravail.

Le 14 mars, le président de la République a annoncé qu’il était nécessaire d’instaurer des politiques de distanciation physique et de télétravail mais, dans certains secteurs considérés comme non essentiels, les employeurs ont néanmoins exigé la présence de leur personnel sur place. Certains ont même menacé de réduire le salaire et/ou les congés annuels des salarié·e·s qui ne se présenteraient pas sur leur lieu de travail. Les travailleuses et travailleurs informels des services de livraison, des usines de confection et des restaurants ont continué à travailler pendant la pandémie. Les employeurs de ces secteurs qui n’ont pas fourni de masques ou de quoi se laver les mains, ou qui n’ont pas mis en place de politique de distanciation physique, n’ont eu aucun compte à rendre à l’État.

En octobre, le Parlement a adopté une nouvelle loi relative à la création d’emploi (dite « loi omnibus ») qui affaiblissait la protection des droits des travailleuses et travailleurs. Plus particulièrement, ce texte supprimait les dispositions fixant une durée maximale pour les contrats de travail temporaires, modifiait le mode de calcul du salaire minimum et rehaussait la quantité maximale d’heures supplémentaires3.

Liberté d’expression

Les autorités ont réprimé des personnes qui critiquaient publiquement la manière dont l’État gérait la pandémie de COVID-19. Le 4 avril, la lettre télégramme no ST/1100/IV/HUK.7.1/2020, émanant du siège de la police nationale, a ordonné à la police de surveiller le cyberespace et de prendre des mesures contre les personnes qui diffusaient des « canulars » ou se livraient à des outrages au président de la République ou à son gouvernement. Au moins 57 personnes ont été arrêtées pour diffusion de « fausses informations » et outrage au président de la République et à son gouvernement.

Des personnes non identifiées ont tenté, par des voies de communication numérique, d’intimider des universitaires, des étudiant·e·s, des militant·e·s et des journalistes afin de susciter la peur et de faire taire les critiques. Ces manœuvres d’intimidation ont pris de nombreuses formes, notamment celle de menaces de violences physiques envoyées par SMS et, dans le cas d’étudiant·e·s abordant des sujets sensibles à caractère politique, d’une intervention de la direction de leur université.

Par ailleurs, des médias non conventionnels, dont les sites d’information féministes Magdalene et Konde, ont été la cible d’attaques numériques. Les coordonnées personnelles d’une des journalistes de Magdalene ont été piratées et cette femme a été harcelée par des personnes non identifiées, qui lui ont envoyé des images pornographiques et des messages dégradants pour les femmes4. Plusieurs des victimes d’attaques ou de harcèlement ont porté plainte auprès de la police ; les enquêtes étaient toujours en cours à la fin de l’année.

Liberté de réunion et d’association

Prisonnières et prisonniers d’opinion

Les autorités ont cette année encore engagé des poursuites contre des personnes qui n’avaient fait que participer à des activités politiques pacifiques, en particulier dans les régions où des mouvements indépendantistes étaient implantés de longue date, comme en Papouasie et aux Moluques, en s’appuyant sur le Code pénal et sur les dispositions relatives à la rébellion (makar). À la fin de l’année, au moins 48 prisonnières et prisonniers d’opinion de Papouasie et 10 des Moluques se trouvaient toujours derrière les barreaux. Ces personnes étaient inculpées de rébellion, alors qu’elles n’avaient fait qu’organiser des manifestations pacifiques et n’avaient commis aucune infraction reconnue par le droit international.

Le 25 avril, les autorités ont arrêté sept militants de la République des Moluques du Sud qui avaient organisé une cérémonie de levée du drapeau Benang Raja à l’occasion du 70e anniversaire de la fondation de cet État non reconnu. Le 23 mars, l’armée avait ordonné à chaque foyer des Moluques de lever le drapeau indonésien.

En septembre 2019, sept Papous arrêtés à Djayapura pour avoir participé à des manifestations pacifiques contre le racisme, organisées en soutien à des étudiant·e·s papous suivant leur cursus universitaire à Surabaya (Java-Ouest), ont finalement été libérés de la prison de Balikpapan (Kalimantan-Ouest), où ils avaient été transférés pour des raisons de sécurité. Le 17 juin, le tribunal de district de Balikpapan les a déclarés coupables et condamnés à des peines allant de 10 à 11 mois d’emprisonnement pour leur participation aux manifestations contre le racisme. À l’issue de leur peine, dont a été retranché le temps qu’ils avaient déjà passé en détention, ils n’ont pas pu bénéficier de l’aide financière que les autorités accordent normalement en ces circonstances, le ministère public ayant affirmé qu’il n’avait pas de quoi prendre en charge leur retour en Papouasie.

Défenseures et défenseurs des droits humains

Des défenseur·e·s des droits humains et des porte-drapeaux de la justice sociale (principalement des dirigeant·e·s associatifs œuvrant contre les expulsions forcées et sur d’autres questions relatives aux droits fonciers) ont cette année encore été la cible de menaces, d’agressions, de manœuvres d’intimidation et de poursuites arbitraires en raison de leurs activités légitimes. Les autorités ont souvent arrêté des personnes qui les critiquaient pour tenter de les réduire au silence.

Entre février 2019 et le 21 septembre 2020, Amnesty International a dénombré au moins 201 défenseur·e·s des droits humains et de la justice sociale ayant été victimes d’atteintes aux droits humains, en ligne ou non. Ces personnes ont été harcelées et soumises à des manœuvres d’intimidation pour avoir simplement critiqué les pouvoirs publics ou évoqué des questions politiques sensibles, telles que les atteintes aux droits humains commises en Papouasie. Ces manœuvres ont pris de nombreuses formes : vol d’identifiants et de mots de passe WhatsApp, appels intempestifs provenant de numéros étrangers inconnus, et harcèlement numérique (intrusions dans des discussions en ligne, par exemple, en particulier sur la question de la Papouasie).

Le 5 juin, un webinaire organisé par Amnesty International sur la question du racisme en Papouasie a été perturbé par des appels intempestifs et des intrusions. Trois intervenants ont été submergés d’appels automatiques provenant de numéros étrangers non identifiés.

En août, la direction du Fonds de dotation en faveur de l’éducation, un programme de bourses financé par l’État et coordonné par le ministère des Finances, a demandé à Veronica Koman, une avocate spécialiste des droits humains qui recueillait des informations sur les violations des droits humains commises en Papouasie, de rembourser la somme qui lui avait été octroyée pour ses études de master5. Depuis deux ans, elle était victime de harcèlement, d’actes d’intimidation et de menaces, notamment de mort et de viol ; elle s’était exilée en Australie.

Des différends fonciers entre la population locale et des entreprises ont donné lieu à des violations des droits humains. En août, dans la province de Kalimantan-Centre, la police a arrêté six villageois autochtones, dont Effendi Buhing, porte-drapeau de la justice sociale au sein de la communauté de Laman Kinipan, pour avoir défendu une forêt située sur leurs terres coutumières contre l’expansion de PT Sawit Mandiri Lestari, une entreprise de production d’huile de palme. Bien que ces personnes aient été arrêtées pour vol, les observateurs s’accordaient à dire que ces arrestations avaient un lien avec la résistance croissante aux expulsions forcées orchestrées par des sociétés productrices d’huile de palme. Entre janvier et août, au moins 29 défenseur·e·s autochtones des droits humains et de la justice sociale ont été placés en détention ou soumis à des violences physiques ou des manœuvres d’intimidation.

Les auteurs de violations commises par le passé à l’encontre de défenseur·e·s des droits humains demeuraient impunis, notamment dans les affaires concernant Fuad Muhammad Syafruddin (Udin), Wiji Thukul, Marsinah et le militant de premier plan Munir Said Thalib (Munir).

Violations des droits humains en Papouasie et Papouasie occidentale

Des groupes de défense des droits humains ont signalé des homicides illégaux et d’autres graves violations des droits humains perpétrés par les forces de sécurité, principalement dans le cadre d’un recours excessif à la force. Entre février 2018 et août 2020, 96 personnes ont été victimes d’homicides illégaux présumés dans 47 affaires imputables aux forces de l’ordre. Dans 15 de ces affaires, les auteurs présumés étaient des policiers et, dans 13 autres, des militaires ; la police et l’armée étaient soupçonnées d’être impliquées conjointement dans 12 affaires.

Yeremia Zanambani, dirigeant de l’Église chrétienne évangélique d’Indonésie dans le district de Hitadipa (département d’Intan Jaya, Papouasie), a été tué le 19 septembre. Aux dires de la police et de l’armée, son décès serait imputable à un groupe armé. Des militant·e·s de Papouasie en contact étroit avec la famille de ce prêtre ont rejeté ces affirmations et accusé l’armée d’avoir tué Yeremia Zanambani alors qu’elle était à la recherche de membres du groupe armé soupçonnés d’avoir tué deux soldats6. Au cours de cette opération militaire, de nombreuses personnes ont fui leur domicile et se sont réfugiées dans les forêts avoisinantes ou aux alentours.

Les gouvernements successifs ont limité la possibilité pour les observateurs internationaux des droits humains de se rendre en Papouasie. Les allégations d’homicides illégaux aux mains des forces de sécurité en Papouasie faisaient rarement l’objet d’enquêtes7.

Droits des femmes

Selon les données communiquées par la Commission nationale sur la violence contre les femmes en juillet, les signalements de violences sexuelles infligées à des femmes avaient bondi de 75 % depuis le début de la pandémie.

Il n’existait pas de loi exhaustive couvrant toutes les formes de violences sexuelles. Le Code pénal définissait de manière très restrictive les violences sexuelles, dans lesquelles il n’incluait que le viol et l’« adultère » (en violation du droit international), et n’offrait qu’une protection limitée aux victimes. Le 2 juillet, la Chambre des Représentants du peuple a retiré officiellement la proposition de loi sur l’élimination des violences sexuelles de la liste des textes à examiner en priorité pendant la législature. Ce faisant, elle a compromis l’adoption d’un cadre juridique complet susceptible de garantir que les auteurs présumés soient poursuivis et que les victimes bénéficient d’une protection adaptée.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Les personnes LGBTI étaient toujours victimes de harcèlement, d’actes d’intimidation, d’agressions et de discrimination. Les médias ont relayé les propos incendiaires, erronés et trompeurs de représentant·e·s de l’État qui prétendaient défendre la moralité publique. Des acteurs étatiques et non étatiques se sont rendus coupables d’actes de violence, de menaces, de manœuvres d’intimidation et d’autres formes de harcèlement visant des personnes LGBTI.

Le 1er septembre, la police a fait irruption dans un appartement du sud de Djakarta, la capitale, où des hommes s’étaient réunis à titre privé. Neuf personnes ont été arrêtées et inculpées de « facilitation d’actes obscènes » en vertu de la législation contre la pornographie – une infraction passible d’une peine maximale de 15 ans de réclusion8.

1COVID-19 and its human rights impact in Indonesia (ASA 21/2238/2020)
2“Unprotected, overworked, ailing Indonesian health workers face avalanche of COVID-19 cases” (communiqué de presse, 11 septembre)
3“‘Catastrophic’ Omnibus Bill on job creation passed into law” (communiqué de presse, 5 octobre)
4Indonesia : End wave of digital attacks on students, journalists and activists (ASA 21/2536/2020)
5“Financial punishment against human rights defender shows no respect for freedom of expression” (communiqué de presse, 14 août)
6“Investigate killing of priest in Papua” (communiqué de presse, 23 septembre)
7Indonesia : Civil and political rights violations in Papua and West Papua (ASA 21/2445/2020)
8“Men accused of holding ‘gay party’ face 15 years in jail” (communiqué de presse, 3 septembre)

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