République démocratique du Congo - Rapport annuel 2020

carte République démocratique du Congo rapport annuel amnesty

République démocratique du Congo
Chef de l’État : Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo
Chef du gouvernement : Sylvestre Ilunga Ilunkamba

Les ménages pauvres souffraient d’une insécurité alimentaire accrue du fait des restrictions liées à la pandémie de COVID-19 et la situation dans les prisons se caractérisait par une surpopulation chronique. Les conflits armés et les violences intercommunautaires se sont poursuivis dans certaines provinces, faisant des centaines de mort et entraînant le déplacement de centaines de milliers de personnes. Cette année encore, les graves atteintes aux droits humains, y compris les exécutions extrajudiciaires ou sommaires, imputables aux forces gouvernementales ou à des groupes armés sont demeurées impunies. Les violences sexuelles commises à l’encontre des femmes dans le contexte des conflits se sont multipliées. Les autorités ont continué de restreindre la liberté d’expression et la liberté de la presse. Des journalistes ont été emprisonnés et des défenseur·e·s des droits humains ont fait l’objet de menaces de mort et de poursuites judiciaires.

Contexte de la situation des droits humains en République démocratique du Congo

La situation des droits humains était toujours déplorable et les tensions au sein de la coalition au pouvoir ont persisté. L’intensification, en particulier dans l’est et le centre du pays, des violences imputables à des groupes armés, notamment de pays voisins, a exacerbé la crise humanitaire.

Des milliers de combattants de groupes armés, qui ont rendu les armes en début d’année dans les provinces du Nord-Kivu, de l’Ituri, du Sud-Kivu et du Tanganyika, se sont retrouvés dépourvus d’abri, de nourriture et de soins médicaux ; beaucoup d’entre eux sont finalement retournés dans leur groupe. Les pouvoirs publics étant concentrés sur la lutte contre la pandémie de COVID-19 et d’autres maladies, ils ont réduit leurs efforts de désarmement, de démobilisation et de réintégration.

Le 18 mars, le président de la République a annoncé des mesures destinées à endiguer la propagation du coronavirus, notamment des restrictions de circulation, la fermeture des frontières et l’interdiction des rassemblements de plus de 20 personnes. Le 24 mars, il a décrété l’état d’urgence pour 30 jours, avant de le prolonger le 23 avril. Cette mesure a été validée par la Cour constitutionnelle et le Parlement. Le 22 juillet, elle a été levée à la suite de la baisse du rythme des contaminations et des décès liés au coronavirus qui avait été observée en juin, et les restrictions ont été supprimées progressivement.

De nouvelles nominations ont eu lieu dans l’armée et l’appareil judiciaire mais le fonctionnement de ces institutions n’a pas été modifié en profondeur, ce qui demeurait un obstacle considérable à la protection des droits humains.

Le 23 novembre, la Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu a condamné le seigneur de guerre Ntabo Ntaberi, alias Sheka, chef de la milice Nduma Defence of Congo, à la réclusion à perpétuité pour de graves crimes perpétrés à l’encontre de la population civile dans le Nord-Kivu entre 2007 et 2017. Parmi les charges retenues contre cet homme figuraient les viols de quelque 400 femmes, hommes et enfants commis en 2010. Un membre des Forces démocratiques de libération du Rwanda a également été condamné à la réclusion à perpétuité. Deux collaborateurs de Sheka ont été condamnés à 15 ans d’emprisonnement à l’issue d’un procès qui a duré deux ans et auquel ont participé 178 victimes.

Droit à la santé

L’épidémie de COVID-19 a mis à rude épreuve le système de santé, déjà sous-financé et poussé à ses limites, ainsi que le personnel soignant, sous-payé, qui devait gérer en parallèle les épidémies d’Ebola, de rougeole et de choléra.

En septembre, les États-Unis, par l’intermédiaire de leur Agence pour le développement international (USAID), ont fait don de 50 respirateurs à la République démocratique du Congo (RDC) afin d’aider le pays à combattre la pandémie de COVID-19. Les cas avérés de COVID-19 et les décès imputables à cette maladie étaient au nombre de 18 153 et de 599, respectivement, à la fin de l’année.

En juin, le taux d’infection par le coronavirus avait baissé, mais la 10e épidémie d’Ebola, qui a débuté en 2018, avait touché au moins 3 470 personnes et fait quelque 2 287 morts, tandis que la rougeole avait tué environ 6 000 personnes.

Conditions carcérales

Dans les prisons, la surpopulation demeurait l’un des principaux problèmes et la pandémie de COVID-19 n’a fait qu’aggraver la situation. Les prisons de la RDC étaient parmi les plus surpeuplées au monde, le taux de remplissage de certains établissements atteignant plus du triple de leur capacité d’accueil. Certaines personnes détenues n’étaient pas nourries pendant plusieurs jours et d’autres ne bénéficiaient pas des soins médicaux dont elles avaient besoin, ce qui a entraîné des dizaines de décès. Vingt-cinq personnes détenues à la prison de Makala à Kinshasa, la capitale, sont mortes de faim ou faute de médicaments au début de l’année. En avril, les pouvoirs publics ont libéré au moins 2 000 personnes pour tenter d’atténuer le risque d’infection par le coronavirus dans les prisons. À la fin du mois, 43 personnes détenues à la prison militaire de Ndolo, à Kinshasa, ont été testées positives au COVID-19.

Droit à l’éducation

Les autorités ont ordonné la fermeture des écoles, des universités et des autres établissements d’enseignement à compter du 19 mars dans le cadre de la lutte contre la pandémie de COVID-19 ; cette mesure concernait environ 27 millions d’élèves et d’étudiant·e·s. Du fait de la fermeture des écoles, de nombreux enfants risquaient davantage d’être recrutés par des groupes armés, d’être victimes d’exploitation sexuelle et de mariages précoces ou de se trouver contraints de travailler dans des mines. Les écoles ont rouvert le 10 août.

Les conflits armés ont également perturbé la scolarité de milliers d’enfants, en particulier dans l’est du pays.

Droits économiques, sociaux et culturels

Les mesures de confinement et les autres restrictions liées à la pandémie de COVID-19 ont eu des conséquences négatives pour les ménages à faible revenu, bien que les pouvoirs publics aient pris des mesures pour leur venir en aide, notamment en assurant la gratuité de certains services essentiels, comme l’eau et l’électricité, pendant deux mois. Ces ménages, qu’ils vivent en zone urbaine, en milieu rural ou dans les régions frontalières, ont perdu des sources essentielles de revenu car la demande de main-d’œuvre a diminué dans l’économie informelle et le secteur du commerce transfrontalier.

L’État persistait à ne pas appliquer la réglementation destinée à protéger l’environnement et les droits des travailleuses et travailleurs du secteur minier, souvent exposés à une pollution toxique, laquelle entraînait des anomalies congénitales chez les enfants de personnes travaillant dans des mines de cobalt ou de cuivre1. Dans certaines mines, hommes, femmes et enfants travaillaient sans le matériel de protection le plus élémentaire, tel que des gants et des masques. Ils se plaignaient de maladies respiratoires et d’infections urinaires, entre autres problèmes de santé. Le travail des enfants, les expulsions forcées dont l’objectif était de libérer de l’espace au profit de projets miniers, le manque de transparence quant à l’octroi des droits miniers, la corruption, l’évasion fiscale et les prix de transfert abusifs étaient des pratiques courantes2.

Recours excessif à la force

Les grands rassemblements publics ont été interdits dans le cadre de la lutte contre la pandémie de COVID-19 et les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive pour disperser des manifestations pacifiques. Le 9 juillet, des manifestations de grande ampleur contre la nomination du nouveau président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ont eu lieu dans plusieurs villes. Bien que ces manifestations se soient globalement déroulées de manière pacifique, la police a eu recours à une force excessive, tuant au moins un manifestant à Kinshasa et deux à Lubumbashi. De nombreuses autres personnes ont été blessées.

Homicides illégaux

Le conflit armé et les violences intercommunautaires se sont poursuivis dans les provinces du Sud-Kivu, du Nord-Kivu et de l’Ituri, dans l’est du pays, et ont fait des centaines de morts. Les attaques menées par des groupes armés ont contraint des centaines de milliers de personnes à fuir. Selon la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), des combattants de tous les groupes armés ont exécuté sommairement environ 1 315 personnes, dont 267 femmes et 165 enfants, pendant les six premiers mois de l’année.

Les violences attribuées aux Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe armé opérant en RDC et en Ouganda, se sont multipliées au cours de l’année, après que les autorités ont lancé des attaques préventives contre ce groupe. Les ADF ont tué 40 civil·e·s dans le territoire d’Irumu (province de l’Ituri) entre le 25 et le 26 mai et seraient également responsables des homicides de sept civil·e·s perpétrés le 15 août et de la mort de 58 personnes survenue lors de deux attaques lancées en septembre dans la même zone. La MONUSCO a accusé les ADF de crimes de guerre.

Les forces gouvernementales, quant à elles, ont été accusées d’avoir tué 14 civil·e·s et d’en avoir blessé 49 au premier semestre. Elles ont également arrêté et détenu arbitrairement 297 civil·e·s.

Entre mars et juin, des milices ont lancé des attaques motivées par des considérations ethniques qui ont fait environ 444 morts parmi la population civile en Ituri et entraîné le déplacement de plus de 200 000 personnes. La plupart des homicides ont été perpétrés par des combattants de l’ethnie lendu et la majorité des victimes appartenaient aux ethnies hema et alur.

Des violences intercommunautaires opposant les Alurs aux Hemas ont été signalées en mai et juin en Ituri. Des affrontements entre les Twas et les Bantous dans la province du Tanganyika ont fait au moins 100 morts.

Violences faites aux femmes et aux filles

Les violences sexuelles à l’égard des femmes et des filles ont connu une augmentation, en particulier dans le contexte du conflit dans l’est du pays. En mai, la MONUSCO a signalé 79 cas de violences sexuelles commises par des groupes armés à l’encontre de femmes (elle en avait enregistré 53 en avril). Si les groupes armés étaient les principaux auteurs, les forces de sécurité ont aussi été accusées d’être impliquées dans au moins 26 cas de violences sexuelles ayant visé des femmes entre avril et mai.

Exécutions extrajudiciaires

Les exécutions extrajudiciaires étaient encore une pratique courante dans tout le pays. Des groupes armés en étaient responsables dans la majorité des cas, mais des agents de l’État ont aussi commis des homicides de ce type, en particulier dans les zones en proie à un conflit. La MONUSCO a indiqué que des agents de l’État s’étaient rendus responsables des exécutions extrajudiciaires d’au moins 225 personnes, dont 33 femmes et 18 enfants, au cours du premier semestre.

Rien qu’en juillet, les forces de sécurité ont procédé à 55 exécutions extrajudiciaires au moins, dont celles de 11 femmes et de deux enfants. Sur la même période, des groupes armés ont exécuté sommairement 248 personnes, dont 34 femmes et 11 enfants. Les auteurs de ces atrocités et d’autres atteintes aux droits humains, qu’il s’agisse d’agents de l’État ou de combattants de groupes armés, faisaient rarement l’objet de poursuites. L’insuffisance des moyens financiers et l’absence d’indépendance du pouvoir judiciaire constituaient toujours des obstacles importants à l’obligation de rendre des comptes.

Défenseures et défenseurs des droits humains

Cette année encore, les autorités ont pris pour cible des défenseur·e·s des droits humains et des organisations de défense des droits humains pour les empêcher de mener leurs activités. En juillet, Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix, a reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux, par téléphone et par messages directs après avoir demandé des comptes et réclamé justice pour les atteintes aux droits humains commises en RDC3. Toujours en juillet, le président du Sénat a menacé Jean-Claude Katende, avocat et président de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO), de le faire sanctionner par le barreau de Kinshasa et traduire en justice. Ces menaces étaient en rapport avec des messages que cet avocat avait publiés sur les réseaux sociaux et dans lesquels il demandait que le président du Sénat soit traduit en justice pour diverses charges.

En septembre, Dismas Kitenge, responsable du groupe Lotus, une ONG qui recueille des informations sur les violations des droits humains à Kisangani, et les membres de sa famille ont reçu des menaces de mort émanant de sources non identifiées. Ces menaces sont intervenues peu après que Dismas Kitenge a rencontré le ministre des Droits humains, avec lequel il a évoqué le fait que son ONG envisageait de dénoncer l’impunité dont jouissait un militaire de haut grade qui était soupçonné d’avoir commis de graves violations des droits humains à Kisangani entre 1998 et 2002.

Cinq défenseurs locaux des droits humains ont été inculpés pour avoir émis des critiques à l’encontre d’une entreprise produisant de l’huile de palme dans la province de la Tshopo. Iswetele Eswetele Mokili, Dominique Kamatinanga Zuzi, Antoine Swimbole Lingele, Robert Esumbahele et Franck Lwange Etiota avaient manifesté pacifiquement contre cette entreprise car elle n’avait pas respecté l’accord par lequel elle s’était engagée à construire une école, un centre de santé et un système d’approvisionnement en eau avant d’exploiter les terres utilisées par la population locale. Ils ont été détenus dans des conditions déplorables à la prison centrale de Kisangani, à 300 kilomètres de leur domicile, pendant plus de six mois avant d’être libérés sous caution, le 27 mars. À la fin de l’année, ces cinq personnes demeuraient en instance de jugement.

Liberté d’expression

Des professionnel·le·s des médias ont subi des menaces, des manœuvres d’intimidation, des actes de harcèlement, des violences, des arrestations et des détentions arbitraires, ainsi que des poursuites de la part des autorités. Celles-ci ont accusé des journalistes et des organes de presse de troubler l’ordre public et de ne pas respecter la déontologie. De nombreux journalistes ont été arrêtés sur des charges forgées de toutes pièces.

Le 7 février, Dek’son Assani Kamango, journaliste à Radio Omega, a été arrêté pour « outrage à l’autorité provinciale » du Maniema. Le 9 mai, Christine Tshibuyi, une journaliste installée à Kinshasa, a reçu des menaces par téléphone après avoir publié un article au sujet d’agressions qui avaient visé des journalistes à Mbuji-Mayi (province du Kasaï-Oriental). Le même jour, un véhicule tout-terrain du même type que ceux couramment utilisés par la Garde républicaine a percuté sa voiture par l’avant, la projetant contre un mur. Un homme accompagné de quatre agents des forces de sécurité a alors giflé Christine Tshibuyi jusqu’au sang. Celle-ci a déclaré avoir signalé les faits aux autorités, mais aucune enquête n’a été menée.

Le 17 juin, les autorités de la province de la Mongala ont radié 13 journalistes, ordonné la fermeture temporaire de cinq stations de radio et suspendu la diffusion de plusieurs émissions de télévision et de radio considérées comme politiques.

Droits des peuples autochtones

Les autorités n’ont pas honoré les engagements qu’elles avaient pris à l’égard du peuple autochtone twa. En effet, elles ont expulsé de force des membres de cette ethnie du parc national de Kahuzi-Biega, dans l’est du pays. Depuis 1975, les Twas sont expulsés par vagues ; les autorités leur ont promis de leur offrir des terres de qualité égale, un accès à l’éducation et des débouchés professionnels, de leur permettre de bénéficier de services de santé et de libérer tous les membres de leur ethnie ayant été arrêtés pour avoir pénétré dans le parc. Pendant ce temps, les négociations entre la direction du parc et les représentants des Twas au sujet des terres que ceux-ci devaient se voir attribuer sont restées au point mort.

En février, six hommes twas, dont Jean-Marie Kasula, principal négociateur, et deux femmes de la même ethnie ont été déclarés coupables d’avoir mené des activités illégales dans le parc. Lors de leur procès devant un tribunal militaire, qui n’a duré qu’une journée, les normes internationales d’équité n’ont absolument pas été respectées ; ils ont été condamnés à des peines allant d’un à 15 ans d’emprisonnement. Quatre de ces huit personnes ont été libérées sous caution de la prison de Bukavu en août. À la fin de l’année, l’appel interjeté contre leurs déclarations de culpabilité n’avait pas encore été examiné.

1« RDC. Des recherches montrent les dommages à long terme de l’exploitation du cobalt » (communiqué de presse, 6 mai)
2« Afrique du Sud. Le grand rendez-vous du secteur minier doit aborder la question des violations des droits humains » (communiqué de presse, 3 février)
3« RDC. Il faut prendre des mesures concrètes pour protéger Denis Mukwege, cible de menaces de mort » (communiqué de presse, 4 septembre)

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