Rapport annuel 2018

Syrie

République arabe syrienne
Chef de l’État : Bachar el Assad
Chef du gouvernement : Imad Khamis

Les parties au conflit armé ont commis des violations graves du droit international humanitaire, dont des crimes de guerre, et d’autres atteintes aux droits humains en toute impunité. Les forces gouvernementales et leurs alliés, parmi lesquels se trouvait la Russie, ont mené des attaques aveugles et des attaques visant directement des civils et des biens à caractère civil, procédant à des frappes aériennes et à des tirs d’artillerie qui ont fait des milliers de morts et de blessés. Ils ont notamment utilisé des agents chimiques et d’autres armes interdites par le droit international.
L’armée syrienne a soumis des zones densément peuplées à de longs sièges, empêchant des milliers de civils de recevoir l’aide humanitaire et médicale nécessaire. Le régime syrien et des gouvernements étrangers ont négocié des accords locaux qui ont entraîné le déplacement forcé de plusieurs milliers de civils après des sièges prolongés et des attaques illégales. Les forces de sécurité ont arrêté et maintenu en détention des dizaines de milliers de personnes, y compris des militants non violents, des travailleurs humanitaires, des avocats et des journalistes. Beaucoup parmi celles-ci ont été soumises à une disparition forcée, à la torture et à d’autres mauvais traitements.
Ces pratiques ont entraîné des décès en détention. Des groupes d’opposition armés ont procédé à des tirs d’artillerie aveugles contre des zones habitées par des civils et assiégé d’autres zones majoritairement peuplées de civils pendant de longues périodes, limitant l’accès à l’aide humanitaire et médicale. Le groupe armé État islamique (EI) a tué et bombardé illégalement des civils, et en a utilisé certains comme boucliers humains. Les forces de la coalition emmenée par les États-Unis ont mené des attaques contre l’EI qui ont fait des victimes parmi les civils, parfois en violation du droit international humanitaire. À la fin de l’année, le conflit avait causé la mort de plus de 400 000 personnes et provoqué le déplacement de plus de 11 millions d’autres, à l’intérieur du pays et à l’étranger.

CONTEXTE

Le conflit armé en Syrie est entré dans sa septième année. Les forces gouvernementales et leurs alliés, dont des combattants iraniens et des combattants du Hezbollah, ont repris la majorité des territoires contrôlés par l’EI et d’autres groupes armés, notamment dans les gouvernorats de Homs et de Deir ez-Zor. Ils ont bénéficié du soutien des forces armées russes, qui ont mené des attaques contre l’EI et d’autres groupes armés opposés au régime ; des civils auraient été blessés et tués dans ces attaques. Les Forces démocratiques syriennes, composées de milices kurdes syriennes et de groupes armés arabes, ont repris à l’EI le gouvernorat de Raqqa en octobre. Elles étaient soutenues par une coalition internationale emmenée par les États-Unis, qui a procédé à des frappes aériennes contre l’EI dans le nord et l’est du pays, tuant et blessant des centaines de civils. D’autres groupes armés d’opposition combattant principalement les forces gouvernementales, tels que Ahrar al Sham, Hayat Tahrir al Sham et Jaish al Islam, contrôlaient ou revendiquaient des territoires dans les gouvernorats de Rif Dimashq, d’Idlib et d’Alep ; il arrivait qu’ils se battent entre eux. Un certain nombre d’attaques soupçonnées d’avoir été menées par Israël ont visé le Hezbollah, des positions du gouvernement syrien et d’autres combattants en Syrie.
La Russie a continué de bloquer les efforts du Conseil de sécurité de l’ONU en faveur de la justice et de l’obligation de rendre des comptes. Le 12 avril, elle a opposé son veto à une résolution condamnant l’usage d’armes chimiques en Syrie et demandant que les responsables aient à en rendre compte. Le 17 novembre, elle a utilisé son droit de veto contre une résolution visant à prolonger le mandat du Mécanisme d’enquête conjoint de l’ONU et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, créé en 2015 par le Conseil de sécurité pour enquêter sur les attaques aux armes chimiques et établir les responsabilités dans l’utilisation de ces armes en Syrie.
Les négociations de paix engagées sous les auspices de l’ONU n’ont pas abouti, les parties au conflit et leurs alliés s’étant engagés dans de nouveaux pourparlers diplomatiques organisés à Astana, capitale du Kazakhstan, sous l’égide de la Russie, de l’Iran et de la Turquie. Ces pourparlers avaient pour objectif de renforcer l’accord de cessez-le-feu en Syrie négocié en décembre 2016 et de mettre en œuvre la feuille de route pour la paix détaillée dans la résolution 2254 de 2015 du Conseil de sécurité. En mai 2017, ils ont abouti à l’instauration de quatre zones de désescalade en Syrie, comprenant les gouvernorats d’Idlib, de Deraa, de Homs et de Rif Dimashq.
La Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2011 a poursuivi sa mission d’enquête et d’information sur les violations du droit international commises par les parties au conflit. Le gouvernement syrien l’empêchait toutefois toujours de se rendre dans le pays. En juillet, Catherine Marchi-Uhel a été nommée à la tête du Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger les personnes qui en sont responsables. Ce mécanisme avait été créé par l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 2016.

CONFLIT ARMÉ -VIOLATIONS PERPÉTRÉES PAR LES FORCES GOUVERNEMENTALES ET LEURS ALLIÉS, NOTAMMENT L’IRAN ET LA RUSSIE

Attaques aveugles ou ciblées contre des civils et des biens de caractère civil

Comme les années précédentes, les forces gouvernementales et leurs alliés ont commis des crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international humanitaire, dont des attaques aveugles et des attaques ciblées contre des civils et biens de caractère civil tels que des habitations, des hôpitaux et d’autres établissements médicaux. L’armée syrienne a attaqué des zones contrôlées ou revendiquées par des groupes d’opposition armés. Les bombardements aériens et les tirs d’artillerie auxquels elle a procédé ont blessé et tué des civils et endommagé des biens de caractère civil, en violation du droit international.
Selon l’ONG Physicians for Human Rights, des frappes aériennes menées le 19 septembre contre trois hôpitaux du gouvernorat d’Idlib par les forces du régime ont tué un membre du personnel, détruit des ambulances et endommagé les bâtiments. Le 13 novembre, les forces syriennes et russes ont bombardé en plein jour un grand marché d’Atareb, ville du gouvernorat d’Alep tenue par l’opposition, causant la mort d’au moins 50 personnes - des civils pour la plupart. Le 18 novembre, 14 personnes au moins ont été tuées dans des attaques aériennes et des tirs d’artillerie des forces gouvernementales visant des civils assiégés dans la Ghouta orientale (gouvernorat de Rif Dimashq).
Le 4 avril, l’aviation du régime syrien a utilisé des armes chimiques interdites par le droit international lors d’une attaque contre Khan Cheikhoun (gouvernorat d’Idlib), qui a fait plus de 70 morts et plusieurs centaines de blessés. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a conclu le 30 juin que les victimes avaient été exposées au gaz sarin, un agent neurotoxique interdit.

Sièges et privation d’aide humanitaire

Les autorités ont cette année encore assiégé pendant de longues périodes des zones essentiellement civiles. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies a indiqué que, sur un total de 419 920 personnes assiégées en Syrie, presque 400 000 l’étaient par les forces gouvernementales dans la Ghouta orientale. L’armée syrienne privait les habitants des zones assiégées de soins médicaux, d’autres biens et services de première nécessité et d’aide humanitaire, tout en les soumettant à des bombardements aériens et à des tirs d’artillerie réguliers, entre autres attaques. En octobre, l’UNICEF a annoncé que 232 enfants souffraient de malnutrition aiguë sévère dans la Ghouta orientale.

Déplacement forcés de civils

Entre août 2016 et mars 2017, les autorités syriennes et des groupes d’opposition armés ont négocié quatre accords dits "de réconciliation", qui ont entraîné le déplacement de milliers d’habitants de cinq zones assiégées : la ville de Daraya, l’est de la ville d’Alep, le quartier d’Al Waer à Homs, et les villes de Kefraya et de Foua. Les forces gouvernementales ont soumis ces zones densément peuplées à des sièges prolongés et à des bombardements illégaux, obligeant les groupes d’opposition armés à se rendre et à négocier des accords qui se sont traduits par l’évacuation des combattants et le déplacement massif de civils. Certains groupes d’opposition armés ont utilisé des méthodes similaires, dans une moindre mesure. Ces sièges et bombardements illégaux entraînant des déplacements forcés de civils se sont inscrits dans le cadre d’attaques systématiques de grande ampleur menées par le gouvernement syrien contre la population civile, et sont donc constitutifs de crimes contre l’humanité.

CONFLIT ARMÉ - EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES GROUPES ARMÉS

Attaques aveugles ou ciblées contre des civils

Les forces de l’EI ont mené des attaques visant délibérément des civils, et d’autres, aveugles, qui ont fait des morts et des blessés parmi la population. Pendant l’opération lancée en milieu d’année par les Forces démocratiques syriennes et la coalition dirigée par les États-Unis pour reprendre la ville de Raqqa, les forces de l’EI ont empêché les habitants de fuir et ont utilisé des civils comme boucliers humains. L’EI a revendiqué une série d’attentats- suicides et d’attentats à l’explosif qui visaient directement des civils, dont un en février à Alep qui a fait 50 morts et un autre en octobre dans la capitale, Damas, qui a tué 17 civils. Hayat Tahrir al Sham a revendiqué deux attentats-suicides survenus le 11 mars près d’un lieu de pèlerinage chiite de Damas, dans lesquels 44 civils ont perdu la vie et 120 autres ont été blessés.
En mai, des affrontements ont éclaté entre groupes d’opposition armés dans la Ghouta orientale. Ils ont duré plusieurs jours et ont fait plus de 100 morts, civils et combattants confondus. Dans cette même zone, des groupes d’opposition armés ont aussi procédé à des tirs de roquette et de mortier non ciblés sur des quartiers contrôlés par le régime, tuant et blessant plusieurs personnes durant l’année. En novembre, des groupes d’opposition armés ont tiré des roquettes imprécises sur Nubul, une ville du gouvernorat d’Alep tenue par le gouvernement, causant la mort de trois civils.

Homicides illégaux

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, l’EI a exécuté sommairement plus de 100 civils accusés de collaborer avec le régime dans la ville d’Al Qaryatayn (gouvernorat de Homs) avant sa reconquête par l’armée syrienne.

Siège et privation d’aide humanitaire

Des groupes d’opposition armés ont assiégé pendant de longues périodes des zones peuplées principalement de civils, limitant l’accès à l’aide humanitaire et médicale ainsi qu’à d’autres biens et services de première nécessité. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a indiqué que 8 000 personnes étaient assiégées par Hayat Tahrir al Sham et Ahrar al Sham dans les villes de Kefraya et de Foua, dans le gouvernorat d’Idlib.

CONFLIT ARMÉ - FRAPPES AÉRIENNES MENÉES PAR LA COALITION DIRIGÉE PAR LES ÉTATS-UNIS

La coalition emmenée par les États-Unis a poursuivi sa campagne de frappes aériennes contre l’EI. Ces bombardements, menés pour certains en violation du droit international humanitaire, ont fait des morts et des blessés parmi la population civile. En juin, les forces de la coalition ont utilisé illégalement des munitions au phosphore blanc dans des quartiers d’habitation de la périphérie de Raqqa. En mai, une série de frappes de la coalition contre une ferme située au nord- ouest de Raqqa a tué 14 membres d’une même famille - huit femmes, un homme et cinq enfants - et grièvement blessé deux autres enfants. En mai également, une frappe aérienne visant des maisons dans la banlieue nord de Raqqa a fait 31 morts. En juillet, les membres d’une famille, dont trois enfants, ont trouvé la mort lorsqu’une attaque de la coalition a touché un immeuble d’habitation situé à 100 mètres d’une cible de l’EI. Par ailleurs, les forces de la coalition ont pris pour cibles des bateaux qui traversaient l’Euphrate au sud de Raqqa, tuant des dizaines de civils qui tentaient de fuir les combats qui faisaient rage dans la ville. La coalition n’a pas mené d’enquêtes satisfaisantes sur les informations faisant état de victimes civiles ni sur les allégations de violations du droit international humanitaire.

CONFLIT ARMÉ - EXACTIONS COMMISES PAR L’ADMINISTRATION AUTONOME DIRIGÉE PAR LE PYD

L’administration autonome dirigée par le Parti de l’union démocratique (PYD) kurde syrien contrôlait toujours la plus grande partie des régions frontalières du nord du pays à majorité kurde. Elle a arrêté et détenu arbitrairement un certain nombre de militants d’opposition kurdes syriens, dont des membres du Conseil national kurde de Syrie. Beaucoup étaient maintenus en détention provisoire pendant de longues périodes, dans des conditions déplorables.

PERSONNES RÉFUGIÉES OU DÉPLACÉES

Entre 2011 et 2017, 6,5 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur de la Syrie et plus de 5 millions d’autres ont fui le pays, dont 511 000 ont obtenu le statut de réfugié en 2017, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires. La Turquie, le Liban et la Jordanie, pays voisins de la Syrie qui accueillaient presque la totalité des réfugiés (y compris les Palestiniens de Syrie), ont limité l’entrée de nouveaux réfugiés, exposant ceux-ci à de nouvelles attaques, à des violations et à la précarité en Syrie. Le nombre de places proposées au titre de la réinstallation et d’autres voies d’admission sûres et légales des réfugiés par les autres pays, notamment européens, a été largement inférieur aux besoins identifiés par le HCR. Certaines des personnes déplacées en Syrie vivaient dans des camps de fortune, où elles avaient un accès limité à l’aide humanitaire et aux produits de première nécessité, et où il leur était difficile d’assurer leur subsistance.

DISPARITIONS FORCÉES

Les forces de sécurité syriennes détenaient sans jugement des milliers de personnes, le plus souvent dans des conditions qui s’apparentaient à une disparition forcée. Des dizaines de milliers de personnes restaient soumises à une telle disparition, dans certains cas depuis le déclenchement du conflit en 2011. Parmi elles figuraient des détracteurs et des opposants non violents du gouvernement, ainsi que des proches de personnes recherchées par les autorités qui étaient détenus à leur place.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

La torture et les mauvais traitements étaient toujours pratiqués de manière systématique sur les détenus par les services de sécurité et du renseignement, ainsi que dans les prisons officielles. Ces actes ont cette année encore été la cause de nombreux décès en détention. Par exemple, un grand nombre de détenus de la prison militaire de Saidnaya sont morts après avoir été torturés à maintes reprises et privés systématiquement de nourriture, d’eau, d’air frais, de médicaments et de soins médicaux. Leurs corps ont été enterrés dans des fosses communes.

EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES

Les forces gouvernementales ont exécuté illégalement des personnes qu’elles détenaient à la prison militaire de Saidnaya, près de Damas. Quelque 13 000 détenus de cette prison ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires collectives, pratiquées de nuit par pendaison, entre 2011 et 2015. Il s’agissait principalement de civils perçus comme des opposants au gouvernement ; ils ont été exécutés après avoir été détenus dans des conditions s’apparentant à une disparition forcée. Avant d’être pendues, les victimes avaient été condamnées à mort lors de "procès" durant entre une et trois minutes, devant le tribunal militaire d’exception siégeant dans le quartier de Qaboun, à Damas. Ce tribunal était tristement célèbre pour ses procès à huis clos qui étaient loin de répondre aux critères minimaux fixés par les normes internationales en matière d’équité des procès.
La famille de Bassel Khartabil, développeur informatique, a appris en août qu’il avait été tué en 2015 après avoir été "jugé" et "condamné à mort" par le tribunal militaire d’exception de Qaboun. Bassel Khartabil avait été arrêté le 15 mars 2012 par le Service de renseignement militaire syrien, et maintenu en détention au secret pendant huit mois avant d’être transféré à la prison d’Adhra, à Damas, en décembre 2012. Il est resté à Adhra jusqu’au 3 octobre 2015, date à laquelle il a été transféré dans un lieu non révélé avant son exécution.

PEINE DE MORT

La peine de mort était maintenue pour de nombreuses infractions. Les autorités ne communiquaient guère de détails quant aux sentences capitales prononcées, et aucune information n’était disponible sur les exécutions.

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