Renvoyer des Soudanais en enfer ne fera pas le bien des Belges Par Philippe Hensmans, Directeur général d’Amnesty International Belgique francophone

Monsieur le Premier ministre,

Vous serez d’accord avec moi : je ne vous écris pas souvent. En fait, j’envoie des courriers plus fréquemment à des chefs d’état qui saccagent les droits humains. Ou je demande aux membres du Conseil de sécurité, par exemple, de déclencher des procédures de poursuite de la Cour pénale internationale vis-à-vis de criminels de guerre responsables de massacres ou de génocide.

Comme nous l’avons fait pour le Président du Soudan, Omar Hassan Ahmad el Béchir. La CPI a depuis lancé des poursuites à son égard. Il faut dire qu’il n’arrête pas ; un rapport récent que nous avons publié montre qu’il n’hésite pas à recourir à des armes chimiques contre la population, y compris des enfants. Notre dernier rapport annuel rappelait que la situation sécuritaire et humanitaire est demeurée préoccupante au Darfour et dans les États du Nil bleu et du Kordofan du Sud, où les violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains étaient répandues. La liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique a été soumise à des restrictions arbitraires. Des détracteurs du gouvernement et des opposants présumés ont été arrêtés arbitrairement et incarcérés, entre autres violations de leurs droits. L’usage excessif de la force par les autorités pour disperser des rassemblements a fait de nombreuses victimes.

Il est vrai cependant que nous nous sommes adressés à votre secrétaire d’état à l’asile et à la migration, à plusieurs reprises et encore tout récemment, à propos de sa politique vis-à-vis des réfugiés et des migrants en général.
Sa vision de l’asile est très éloignée de l’esprit — en tous cas— des règlements internationaux : nous avons eu régulièrement l’occasion de manifester notre analyse.
Cette conception de l’accueil des personnes qui cherchent l’abri chez nous, après avoir échappé aux massacres dans leur pays et à la mort lors de leur trajet jusqu’à nos frontières, est malheureusement partagée par plusieurs pays européens.

Mais là où les bornes ont été dépassées, c’est lorsque nous avons appris que votre secrétaire d’état à l’asile et à la migration avait fait appel à des officiels soudanais pour identifier les migrants qui se trouvent à Bruxelles pour le moment. Ces personnes sont des agents qui collaborent activement avec le régime d’un criminel de guerre.

Votre gouvernement permet à celui-ci de repérer ses contradicteurs, les mettant en danger, ainsi que leurs familles. En janvier 2016, Amnesty International a ainsi interviewé 12 soudanais renvoyés de Jordanie. Après leur arrivée à Khartoum, ils ont été arrêtés par des agents du NISS (le service de renseignement), interrogés sur leur origine et accusés de rébellion pour avoir sali la réputation du Soudan. Ils ont déclaré avoir été battus et torturés.
Ces mesures d’identification lancées à Bruxelles sont un moyen d’empêcher ces fuyards de demander l’asile, par peur de représailles. Voilà qui n’est pas un moyen très joli de diminuer le nombre de demandeurs d’asile.

Mais il y a pire (si l’on veut) : ces agents de l’état soudanais ont tout intérêt à faire rentrer au pays leurs opposants, pour s’en débarrasser quand vous les aurez renvoyés.

Vous comprendrez que cette fois, Monsieur le Premier Ministre, je m’adresse directement à vous. Si c’est pour le bien des citoyens — et le mien au passage— que ces mesures sont prises, permettez-moi de vous dire que le mal que vous faites est bien largement supérieur aux avantages que les citoyens ici en retireraient.

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