Oui, mais… et les devoirs de l’homme, vous n’en parlez jamais ? Par Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International

Les présidents (souvent à vie), premiers ministres (parfois généraux), ou ambassadeurs auxquels nous rendons visite avec nos rapports évitent rarement cette réplique : « vous ne parlez jamais des devoirs de l’homme ».

C’est bien entendu leur rôle de rappeler à leurs concitoyens leurs obligations : rouler à une vitesse raisonnable, respecter les feux rouges, ne pas commettre de violences à l’égard des femmes, ne pas tricher avec le fisc,…

Et on peut comprendre qu’ils cherchent une réplique lorsqu’ils ne trouvent pas grand chose à répondre aux faits que nous étalons dans nos documents (et ces faits, comme vous savez, sont plus importants qu’un président, un ministre ou un ambassadeur).

J’aimerais pour une fois prendre le temps de leur répondre autre chose que « il s’agit là d’une fonction des puissants » (même si c’est aussi vrai).

Des devoirs inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme

À cette heure où l’on célèbre la Déclaration universelle des droits de l’homme (que nous avons distribuée dans toutes les boîtes aux lettres de la Fédération Wallonie Bruxelles cette semaine), il est quand même bon de rappeler que ces fameux devoirs s’y trouvent :

Article 29 :
1. L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seule le libre et plein développement de sa personnalité est possible.

2. Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique.

3. Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux principes des Nations Unies. »

Donc, oui, nous parlons aussi des devoirs des citoyen.nes. Et c’est là que la Déclaration est si belle, elle nous rappelle pourquoi ces devoirs sont importants : parce que la communauté est alors indispensable pour le libre et plein développement de la personnalité. Fondamentalement, la femme et l’homme sont libres (article 1), mais la dignité auquel ils ont droit n’est possible que dans un espace de vie qui la leur garantit… aussi parce que chacun.e respecte ces droits et libertés.

Le devoir... de se battre pour les droits des autres

Cette conception des devoirs des citoyens rejoint ainsi ces demandes massives exprimées ces derniers jours par de nombreuses personnes près de nous (et depuis longtemps par des personnes plus lointaines) : la dignité que nous désirons exige de nous de tout faire pour que celle des autres soient aussi garantie. Permettre que certains de nos semblables meurent de faim est… inhumain. Refuser de voir que certaines mamans seules avec leurs enfants ne peuvent plus aller chez le dentiste sans quoi leur progéniture en sera privée est cruel, inhumain et dégradant. Et pourtant (mais pourquoi dois-je ajouter « et pourtant » ?) cela se passe à quelques kilomètres de chez nous. La liste est longue malheureusement, et personne n’aurait voulu croire il y a quelques années qu’un enfant sur quatre vit en Wallonie sous le seuil de pauvreté. Aujourd’hui, cette réalité trouve comme réponse des campagnes philanthropiques copiées sur celles du 19° siècle, sans choquer grand monde. Enfin presque.

Il y a fort heureusement de nombreux compatriotes qui refusent d’accepter cet état de fait et se battent non seulement pour leurs droits, mais aussi pour ceux de leurs congénères qui cherchent un refuge, un espace de liberté. Ils leurs offrent cet espace de repos que l’état — et donc nous— leur devons.

Qu’on ne s’y trompe pas, cependant : ces engagements individuels réclament surtout des réformes structurelles qui garantissent enfin « l’exercice de ses droits et de la jouissance de ses libertés » pour tous. Pas question de se limiter à accueillir un migrant chez soi : si nos concitoyens peuvent le faire, un état responsable et organisé peut — et doit — le faire. Encore faut-il que ses dirigeants l’entendent. Sans condamner la solidarité.

Nos devoirs ne se limitent plus à la communauté dans laquelle nous vivons

Et lorsqu’ils vendent des armes à des états qui font mourir de faim des millions de gens, au nom de l’emploi, nos responsables politiques ne respectent pas leurs devoirs ! C’est notre devoir de citoyens de le leur rappeler.

Là où les choses ont évolué depuis 1948, date de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, c’est que nos devoirs ne se limitent plus à la communauté dans laquelle nous vivons, mais aussi au monde que nous allons laisser à nos enfants… Les milliers de personnes qui sont descendues dans la rue il y a quelques jours l’ont rappelé : nos devoirs ne se limitent pas au respect des règles de notre communauté actuelle. Nous sommes redevables devant les générations futures.

Alors oui, nous avons des devoirs. De rendre ce monde vivable pour tous, toutes les générations. Et digne.

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